Dimanche 4 février 1945, Jean-Gabriel Barlangue

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Jean-Gabriel Barlangue

Membre du Comité départemental de Libération

 

BARLANGUE Jean-Gabriel dit « Lacoste » (1894-1968)

Chef du mouvement « Vérité » puis des groupes francs de Combat, en 1943 il est désigné responsable régional des services économiques des MUR sous les ordres directs de François Verdier. Il est chargé en particulier du ravitaillement des maquis.

C’est l’année dernière, à pareille époque, ici même, que le corps de notre chef régional et ami, Forain, fut retrouvé affreusement mutilé par l’ennemi qui, en même temps, nous accusait d’avoir fait le coup.

Pour nous qui étions à l’affût des moindres nouvelles pouvant nous parvenir de la prison Saint-Michel, l’épreuve fut dure et la consternation régna chez chacun de nous.

Notre chef régional Forain Verdier n’était plus.

Il y avait longtemps que je connaissais Verdier, aussi je ne fus pas surpris lorsqu’en juin 1943, Thierry me le présenta comme son successeur. J’étais alors et depuis l’origine chef départemental du mouvement de Résistance Combat.

Tout de suite Forain donna la mesure de ses moyens et de son activité, et il y avait fort à faire. Les Mouvements de Résistance étaient en pleine ascension, pour en septembre 43 fusionner et former les MUR. C’est là peut-être que Verdier fut le plus habile car, en effet, pour faire cette fusion, il fallait bien connaître les hommes, avoir de la diplomatie, de la patience, pour ne mécontenter personne, en même temps que de la fermeté pour faire respecter les décisions prises ou les ordres venant du Comité directeur de Paris.

Verdier fut inlassable, audacieux même. Chaque jour les réunions succédaient aux réunions, de sa maison transformée en P.C., les ordres partaient, dans toutes les directions, transmis par de jeunes et dévoués agents de liaison à l’épreuve.

Et qu’il me soit permis ici de retracer un épisode important des derniers jours de son activité à Combat, au cours de laquelle nous nous étions encore plus liés d’amitié.

C’était le vendredi 10 décembre, chez Viadieu, rue de Metz, nous avions au cours de l’après-midi une réunion très importante et nombreuse des MUR. Quel beau coup de filet si la police avait su. Nous y étions tous. La réunion dura une grande partie de l’après-midi. Nous sortîmes par petits paquets.

Forain, Bouconne et moi, sortîmes ensemble et, prenant le trottoir côté hôtel d’Assézat, nous dirigeâmes vers sa voiture qui stationnait devant chez Sicre, chemin faisant, me prenant le bras, Forain me dit alors : « Je suis brûlé, la Gestapo est sur mes traces, trouvez-moi une cachette. » J’offris aussitôt la mienne à Tournefeuille, chez mon ami Rouch, et en fis la description.

Elle fut acceptée et je faisais en même temps connaître que je ne pouvais l’y accompagner de suite, devant en effet partir pour aller traiter une affaire importante à Nice le soir même. Pensant qu’il n’y avait cependant pas urgence, nous fixâmes rendez-vous pour mon retour le mardi 14, au matin ; c’était une absence de trois jours à peine. Après nous être serrés la main, Forain, Bouconne et moi prîmes congé l’un de l’autre.

[…]

Forain était pris.

Et, avec lui, une grosse partie de l’État-major résistant sur les départements de la région.

C’était le commencement du calvaire. Pendant plusieurs mois, nous fûmes tous obligés de couper les liaisons et de nous cacher, la nuit surtout, sans trop changer notre train de vie journalier.

La Résistance avait été frappée en plein, elle fut longue à se relever.

Mais la Résistance était dans tous les cœurs. Votre exemple, Forain, le sacrifice de votre vie pour la libération et le salut de la Patrie avait ébranlé bien des gens.

Ce fut un signal.

A partir de ce jour, les dents serrées, dans une atmosphère de fièvre, chacun a travaillé dans notre province à la libérer de l’emprise ennemie.

Ce jour est enfin venu récompenser les efforts de beaucoup d’entre nous.

Forain vous étiez à la peine, vous manquiez à la fête.

Mais, lequel d’entre nous, le 19 août n’a pas eu une pensée pour vous ; pour ma part, j’ai vu plusieurs amis, qui comme moi, ont séché une larme en évoquant votre nom.

Forain François Verdier, que ce nom, passé dans notre histoire locale, reste parmi les plus vénérés.

Les allées Forain, la stèle qu’aujourd’hui nous inaugurons, sont de bonnes choses pour le souvenir. Mais il faut faire mieux.

Bon nombre d’entre nous à la tête grisonnante, les soirs d’hiver, lorsque nos petits-enfants viendront sur nos genoux, auront mieux à faire qu’à raconter des contes de fée.

Il faudra former ces enfants, tremper leur âme d’un acier pur, créer des caractères. Nous n’aurons rien de mieux à leur apprendre que de leur dire ce que fut le sacrifice de votre vie, Forain, pour contribuer à sauver la Patrie.