Pierre Cohen

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dimanche 30 janvier 2011

Pierre Cohen, député-maire de Toulouse

Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec le silence.

Tout au long de cette commémoration, nous serons amenés à faire silence pour nous recueillir.

Le silence est le langage des morts. En l’observant nous cherchons à nous mettre en lien avec la mémoire de celles et ceux qui nous ont quitté.

C’est dans une démarche empreinte de recueillement que je m’adresse à vous.

Aujourd’hui nous avons rendez-vous avec le silence, le silence qui a recouvert cette clairière de la forêt de Bouconne au matin du 27 janvier 1944 après qu’ait explosé au visage de François Verdier la grenade de ses assassins.

Geste cruel, soulignant et signant la barbarie que les nazis et leurs alliés, collaborateurs et miliciens étendaient sur l’Europe.

N’oublions jamais ces années terribles du milieu du 20° siècle, où, au nom d’idéologies qui ont encore cours aujourd’hui, furent massacrés des millions de personnes choisies sur des critères ethniques, religieux ou politiques.

N’oublions jamais ces années, celles où malgré le silence imposé aux combattants de l’armée de l’ombre et aux militants de l’espoir républicain, fut élaboré le programme politique le plus progressiste et le plus ambitieux qu’ait connu la France depuis la révolution de 1789, le programme du Conseil National de la Résistance

Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec le silence que François Verdier a opposé à ses bourreaux durant 40 jours et 40 nuits. Pour dire l’attitude de François Verdier, je voudrais citer quelques vers de la poéte allemande Ingeborg Bachmann

« Les questions infâmes vont à présent seulement aux torturés. Aux questions infâmes, elle arrive un jour, la silencieuse, l’active réponse. »

La silencieuse réponse de Forain venait pour protéger l’active réponse de la résistance au nazisme et au pétainisme qu’il participait à construire depuis 4 ans déjà.

A l’heure où les bourreaux nazis le torturent, François Verdier Forain est le chef des MUR, les Mouvements unis de la résistance. Cette unification des trois principaux mouvements de la résistance, Libération, Combat et Franc-tireur a été longue et difficile. D’autant plus difficile qu’il s’agissait d’unifier dans la clandestinité des combattants de l’ombre, des femmes et des hommes d’origines et de cultures politiques diverses.

Le talent de François Verdier fut reconnu par tous. C’était un rassembleur, le créateur de la résistance régionale en Midi-Pyrénées, comme le fut Jean Moulin à l’échelle nationale.

Le silence de François Verdier Forain fait peur aux nazis. Ils comprennent qu’ils ne réussiront pas à démanteler les réseaux régionaux, malgré la rafle de 110 résistants qu’ils viennent d’opérer. Quelques mois plus tard, ils jugent les risques d’encerclement de leur armée au pied des Pyrénées trop importants.

Ils battent en retraite, bousculés, harcelés et pourchassés par les bataillons de la résistance sous les ordres de Serge Ravanel. Cette organisation militaire, les FFI, est l’aboutissement du travail d’unification politique mené par François Verdier.

La retraite, les nazis la menèrent avec la barbarie qui les caractérisait,tuant, pillant massacrant. Ainsi le 17 août, la veille de la libération de Toulouse, ils assassinèrent Francisco Ponzan dit Vidal et 53 autres prisonniers. Fusillés, ils furent brûlés sur un bûcher, à la lisière de la forêt de Buzet sur Tarn.

Le silence, expression de la résistance de François Verdier est aussi une de nos conquêtes politiques : la liberté d’expression est garantie lorsque est reconnue la liberté de se taire. C’est encore un combat d’aujourd’hui.

Né en 1900, François Verdier connaît à trente ans une réussite sociale indéniable.

Confronté aux tourments de l’histoire, il va choisir l’engagement. Au début des années 30, François Verdier est un commerçant en machines agricoles dans une région à l’agriculture florissante. Reconnu par ses pairs il deviendra juge au tribunal de commerce alors qu’il n’a pas quarante ans. Mais l’histoire qui gronde autour de lui l’appelle.

C’est, en France, la République attaquée par les ligues d’extrême droite,

C’est, en Italie, le fascisme de Mussolini qui contraint à l’exil les républicains, les antifascistes italiens. Un grand nombre d’entre eux trouve refuge à Toulouse, dans les campagnes du Gers, de la plaine de la Garonne, du Lauragais.

C’est en Allemagne, la montée d’Hitler et le début de l’exode des républicains et des juifs polonais ou allemands.

C’est, au-delà des Pyrénées, la répression des Asturies, puis la République et la guerre civile qui provoque en 1939 l’arrivée massive des réfugiés espagnols notamment à Toulouse.

François Verdier répond à cet appel de l’histoire par un double engagement.

Engagement politique dans la défense des réfugiés. Il devient en 1939 le secrétaire fédéral de la section toulousaine de la ligue des droits de l’homme. Dès 1934 il organise des liens et des échanges avec les républicains espagnols.

Engagement personnel qui le conduit en 1934 au Grand Orient de France et à une défense sans faille de la République et de sa devise Liberté Egalité Fraternité. Il approfondit sa réflexion humaniste, son regard sur l’autre, forcément différent.

Son engagement maçonnique lui vaut d’ailleurs d’être démis en 1941 de ses fonctions de juge consulaire, car le régime de Pétain a fait des juifs, des francs-maçons, des étrangers, la cible de ses attaques contre la République.

Ces deux qualités de républicain et d’humaniste vont lui permettre d’assurer l’unification et la direction des mouvements unis de résistance.

Les historiens rendront compte un jour de la spécificité de la résistance toulousaine qui a su conjuguer la résistance des intellectuels et des étrangers d’ici avec l’humanisme de la franc-maçonnerie. Quelques noms comme autant de symboles :

Silvio Trentin, Rosina Bet, Marcel Langer, Francisco Ponzan Vidal, quatre étrangers, italien, juif polonais et catalan au milieu d’intellectuels venus d’ailleurs comme Raymond Naves, Maurice Dide, Albert Lautman, Georges Canguilhem, Ariane Fiksman, Jean Cassou, Jean-Pierre Vernant et de Toulousains comme le capitaine Louis Pélissier, Lucien Béret, Maurice Fonvielle, Camille Soula, Marie-Louise Dissard dite Françoise, Albert Carovis, Pierre Bourthoumieux vont former une résistance généreuse, intelligente, cosmopolite, une résistance à l’image de Toulouse.

François Verdier Forain, j’insiste, a été l’homme du rassemblement de ces groupes épars. Reconnu par tous pour ses qualités de chef, ses qualités de cœur, ses qualités d’organisateur, il est aimé pour son courage et son désintéressement.

Aujourd’hui dans le silence de cette clairière, puissent les voix de toutes ces femmes et de tous ces hommes, héros reconnus ou artisans modestes de la résistance, puissent ces voix nous parler encore pour nous insuffler courage devant l’avenir incertain et pour éclairer notre chemin.

Je salue Alain Verdier, sa famille et ses amis, qui tous les ans permettent ce rassemblement, je salue les survivants avec chaleur et reconnaissance, je salue les morts avec recueillement et gratitude.

Je vous demande à vous qui êtes ici aujourd’hui, et particulièrement à vous la jeunesse qui êtes notre avenir aujourd’hui représentée par les élèves du Collège Jean-Jaurès de Colomiers, je vous demande de toujours garder au cœur et à la mémoire l’histoire du courage et de la clarté d’engagement que symbolise François Verdier Forain.

Alors le mot testament destiné à sa femme et à sa fille, qu’il avait dissimulé dans la doublure de sa veste prendra une valeur universelle :

« Soyez heureuses dans un monde calmé »

Je vous remercie