Dimanche 2 février 1947, Louis Mercadier

Françoise Verdier "Mounette" et Maître Paul Mercadier
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Louis Mercadier

Président de l’association « les Amis de François Verdier »

Maître Louis Mercadier était l’homme de confiance de François Verdier.

Je dois exprimer les regrets de Monseigneur l’Archevêque de Toulouse, Monsieur le Conseiller de la République Avinin, Monsieur Pierre Dumas, Monsieur le Professeur Soula, Monsieur le Doyen Calvet, Monsieur Bugnard, Monsieur l’Abbé Naudin, de n’avoir pu être, ici, avec nous aujourd’hui

L’an dernier, nous éprouvions quelque amertume à constater que le très grand François Verdier n’avait pas encore eu le témoignage de la reconnaissance de la Nation, qu’un Gouvernement se devait de lui donner.

Grâces aux interventions répétées de M. le Président Vincent Auriol, de M. Le Préfet Baylot, de M. Badiou député-maire de Toulouse, cette injustice est réparée. Nous leur adressons nos sincères remerciements.

Par décret du 22 août 1946, notre si regretté ami, qui avait, déjà, reçu la médaille de la Résistance, a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur, à titre posthume, avec citation suivante, qui comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec Palme :

« Combattant volontaire de la Résistance, s’est lancé dans la lutte contre l’ennemi, depuis l’armistice de 1940. A créé et organisé les premières chaines de passage des Pyrénées. A rendu, en outre, au cours des années 1941-1942, les plus éminents services dans la recherche et la transmission de renseignements. En 1943, a pris la direction de la Résistance dans le sud-ouest de la France, et l’a remarquablement organisée. Arrêté par la Gestapo, le 14 décembre 1943, et soumis, pendant plus d’un mois, à d’affreuses tortures, a gardé, jusqu’au bout un silence héroïque. Massacré dans d’horribles conditions, est mort pour la France le 27 janvier 1944. Admirable exemple de patriotisme. »

Nous espérons que la main présidentielle remettra, ces prochains jours, à Mme François Verdier, qui fut la si digne et si courageuse compagne de notre ami, qui a connu, pendant quinze mois, les souffrances de la déportation au Camp de la Mort, la croix qu’elle a si bien méritée. […]

Trois ans déjà que notre grand François Verdier a été massacré ici, une nuit de janvier, par les bourreaux de la Gestapo, et qu’il a supporté le sacrifice suprême, avec le même courage tranquille qu’il opposait, depuis plus d’un mois, aux horribles tortures que ces barbares savaient infliger.

Héroïsme sublime, et sans témoin, dans la solitude la plus cruelle qui n’a eu que le soutien de sa propre conscience, celui de son devoir envers soi-même. Quelle mesure de l’homme, quelle grandeur ! Quel glorieux et tragique destin !

Mais honorer la Résistance et de tels martyrs, ce n’est pas seulement saluer des tombes et des stèles, c’est garder l’enseignement des Morts, car les Morts restent vivants, quand ils demeurent dans notre souvenir, lorsque nous n’oublions pas les grands exemples qu’ils nous ont donnés.

Et on éprouve quelque tristesse à penser que, malgré de tels héroïsmes, tant de larmes et tant de sang, un tel patrimoine de douleur et de gloire, notre pays se débat, encore, dans les difficultés qui l’oppressent.

Hélas, le sursaut magnifique de la Résistance n’a pas pu tout résoudre. Mais il doit, au moins, laisser en nous, ce qui a été son esprit : le courage individuel dans le silence et la discipline, la volonté de tout sacrifier pour que la France retrouve sa force morale, et tout son prestige, pour que, dans le monde nouveau qui se prépare, elle puisse garder ce qu’il y a de plus sacré : la liberté personnelle, et les éternelles valeurs morales.

Comme l’a si bien dit Léon Blum, dans son livre admirable, « A l’échelle humaine », où il a, entre les murs des geôles, mesuré la portée et tracé la route de la tâche immense qui s’impose :

« L’obstination partisane, l’étroitesse corporative, le chauvinisme, sont de même essence que l’intérêt personnel. Cette renonciation aux rivalités, aux prétentions fondées sur la divergence des intérêts immédiats, ce sacrifice spontanément consenti a une volonté plus haute cette conscience d’une relation constante, et d’une dépendance vis-à-vis d’un ordre de réalité supérieur qui, d’assisse en assise, s’élève jusqu’à l’idée la plus extensive, c’est ce que Socrate ou Platon appelaient la sagesse, et ce qu’un penseur chrétien, comme Pascal, nomme l’humilité. Mais cette humilité doit être une force, et la conscience que l’homme prend d’elle, doit être un orgueil. Les siècles passés en ont fait une raison de croire, et de se soumettre, nous devons en faire une raison de croire et d’agir. »

L’heure n’est plus des luttes stériles, des idées abstraites, et des slogans des partis, des intérêts et des égoïsmes. C’est l’avilissement des cœurs qui menace le plus la France. Chaque Français doit, aujourd’hui, apporter à son Pays plus qu’il ne doit lui demander.

Voici donc le devoir du Français, a dit Jean Giraudoux : « Il n’est pas, cette fois, d’appeler la France à son secours. Il n’y a pas d’autre chose à faire : courir comme à un incendie. »

Ainsi, seulement, nous serons dignes de nos héros, et de nos martyrs, comme de tous nos morts glorieux. Ainsi seulement, nous ne risquerons pas d’entendre leurs appels angoissés.

Et, nous pourrons, dans une République plus juste et plus fraternelle, celle qu’ils ont voulu, par la souveraineté de la Nation et l’autorité de l’État démocratique, assurer le destin, toujours plus grand, de la France Éternelle.