Discours de Georges Méric, président du Conseil départemental de la Haute-Garonne
Dans cette forêt de Bouconne se mêlent dans nos mémoires, à la fois le souvenir d’un homme d’exception au destin tragique et les remarquables allocutions de nombreuses personnalités qui se sont succédées à ce pupitre pour évoquer l’engagement de Forain.
Étant un enfant de l’après-guerre et n’étant pas historien, c’est avec humilité et émotion que j’interviendrais, en évitant de me lancer dans une grande fresque historique, mais en évoquant les valeurs de la Résistance en notre temps troublé, dangereux, dans un monde en bascule.
Notre temps, est en effet traversé de crises multiples : Crises terroristes. Crises économiques et financières. Crises politiques. Crises environnementales. Crise de valeurs.
Un présent qui nous convoque, nous tous, à relever de formidables défis :
- Défis contre la volonté de ceux qui souhaitent diviser et soumettre par la peur,
- Défis contre le repli sur soi, mettant en avant un individualisme forcené et le repli identitaire,
- Défis contre les dérives communautaires,
- Défis contre la montée des populistes xénophobes,
- Défis contre ceux qui divisent l’humanité, en fidèles et hérétiques, en blancs et noirs, en riches et pauvres, en gens d’ici et gens d’ailleurs,
- Défis contre la misère sociale et la désespérance,
- Défis contre les atteintes aux valeurs, principes et vertus de la République.
C’est dans cette société profondément troublée, divisée, qu’il nous revient de nous ressourcer aux valeurs de la Résistance, aux devoir de mémoire des engagements exemplaires à l’image de François Verdier.
Durant les années de ténèbres, les années sordides, dangereuses, inhumaines, années de l’occupation nazie, années de la collaboration, de la servitude, oui, des femmes et des hommes se sont levés, pour dire non, non à l’inacceptable, non à l’intolérable, non au fascisme, au nazisme.
Mes chers amis, le seuil de l’intolérable est atteint lorsque la dignité humaine est bafouée, foulée aux pieds. Le seuil de tolérance est rompu au non-respect de la personne humaine, par ignorance, par peur, par xénophobie, par racisme, par irresponsabilité.
« Il nous faut donc réclamer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l intolérant. » Karl Popper.
Rendons hommage aux femmes et aux hommes de la Résistance, qui ont su dire non à l’intolérable, qui ont su faire vivre les valeurs de la République, qui ont su affirmer le nécessaire respect de la dignité humaine, qui ont osé faire face à l’occupant nazi, à sa doctrine d’asservissement raciste et fasciste, à l’outrance de la barbarie, à la volonté d’oppression de soumission.
Ils ont su résister face à la peur, au danger, à la terreur, à l’épouvante totalitaire. Ils se sont dressés au péril de leurs vies, de celles de leurs familles, de leurs proches, de leurs amis.
Face à la terreur ils ont su opposer le propre de l’humain, leur esprit, leur faim de connaissances, de liberté, d’amour.
Ces femmes et ces hommes venant d’horizons politiques, philosophiques, métaphysiques différents, de conditions sociales différentes, des prolétaires et des bourgeois, ont su créer une fraternité de combat et de souffrance parce que la Résistance est un état d’esprit de liberté, de tolérance et de respect de l’humain.
La Résistance est aussi cette volonté de transgression d’un ordre établi créé par l’ambiguïté de la constitution de l’état français de Vichy.
Ces combattants de l’ombre, ces héros trop souvent ignorés, se sont unis devant l’essentiel : les valeurs de la République fondées sur la devise : Liberté-Egalité-Fraternité.
Commémorer la Résistance, n’est pas seulement parler du passé et assumer un devoir de mémoire, mais c’est aussi s’inscrire dans l’espérance pour demain.
Car aux cris des torturés, au silence des assassinés, à l’absence des disparus, aux marques indélébiles des survivants, doit faire écho aujourd’hui la conscience responsable des citoyens et l’espérance en l’avenir par la volonté de rencontre, de partage, de fraternité, d’amour.
« Le passé est fondement de notre présent et garant de notre avenir. »
La Résistance, cette armée de l’ombre, cette unité des diversités dans la difficulté et la souffrance, cette fraternité des différences dans l’engagement, est un enseignement qui fonde l’avenir et apporte une lumière qui éclaire nos comportements, nos engagements, notre éthique.
Forain François Verdier étaient l’un d’eux.
Qui était donc cet homme ?
C’est par son engagement professionnel que François Verdier s’est d’abord révélé. En dirigeant une entreprise de grossiste en machines agricoles. Son sens de l’organisation, sa volonté, sa capacité de travail lui permettent de réussir. Devenu un notable, il est reconnu par ses pairs, et devient juge au tribunal de commerce de Toulouse.
Mais, François Verdier est un humaniste, il s’engage au sein de la Ligue des droits de l’homme et entre en Franc Maçonnerie au sein de la loge les « cœurs réunis » du Grand Orient De France à l’Orient de Toulouse.
Les temps de guerre vont lui permettre de démontrer son courage, sa détermination, son opiniâtreté fondés sur ses valeurs humanistes, universalistes et républicaines, mettant en danger sa famille, sa femme Jeanne et ses enfants, ses proches, ses biens.
Déjà engagé auprès des Républicains espagnols en participant à la collecte et à l’envoi de matériels en Espagne, en insoumis à l’occupant, en défenseur en droits universels, il entre en Résistance.
Il démontre son efficacité au sein du NAP, le Noyautage des Administrations Publiques, avant de prendre d’autres responsabilités au sein du mouvement Libération-Sud.
A partir de mai 1943, il relève le défi d’unifier la Résistance. Forain est désigné par le général de Gaulle pour être le commissaire de la République dans la région, il devient le chef des Mouvements unis de Résistance. Volontaire, rigoureux, méthodique, il crée une organisation efficace.
Comme d’autres grands résistants, tels Achille Viadieu ou Raymond Naves, François Verdier mène une double vie entre activités clandestines et vie officielle rangée.
Il est arrêté dans la nuit du 13 décembre 1943 par la police allemande, lors d’une vaste opération de la gestapo, contre la résistance régionale. 110 personnes sont arrêtées cette nuit-là.
Pendant 44 jours et 44 nuits, il endurera, sans parler, l’épouvante des interrogatoires de la gestapo en cette demeure maudite des avenues Frédéric Mistral, il sera assassiné le 27 janvier 1944 en ces lieux et retrouvé défiguré par l’explosion d’une grenade dans la bouche. Mais son organisation de résistance restera opérationnelle. Sa femme Jeanne fut déportée au camp de Ravensbrück.
Ainsi, dans des circonstances extraordinaires, la guerre, un notable de province, humaniste, universaliste, républicain, au caractère bien trempé, est devenu un héros. Forain demeure avec toutes les femmes et hommes de la Résistance des exemples, nous permettant de nous ressourcer en ces temps difficiles et dangereux.
Merci à eux, pour leur engagement, leur abnégation, leur fidélité aux valeurs, principes, vertus de la République, ils nous ont appris, « qu’il est des temps si difficiles où pour vivre il faut parfois mourir. »
Je souhaiterais ici devant la stèle de François Verdier rendre hommage à Louis-Marie Raymondis.
Il est des rencontres éclairantes, décisives, déterminantes.
Il est des rencontres fondatrices, émancipatrices, qui enrichissent votre esprit, ouvrent de nouvelles portes, des rencontres marquantes qui permettent d’avancer vers une complétude, un accomplissement toujours en devenir.
J’ai pu vivre trois ou quatre rencontres de ce type, lorsque, un inconnu, qui est un phare pour la conscience réfléchie, devient un rendez-vous. Rendez-vous qui fait mûrir, rendez-vous qui fait grandir dans un entendement émancipateur.
Ces phares de l’esprit qui marquent une vie, sont des êtres de caractère, à la vie particulière, originale, accomplie. Ils dégagent une puissance et une aura intellectuelle éclairante, mais demeurent d’un abord facile, avec une disponibilité, une humilité. Ils développent un discours limpide avec une maîtrise des concepts et des idées, ils savent écouter pour comprendre et échanger.
Louis-Marie est un de ces phares, un de ces rendez-vous qui éclaire la vie, avec sa fabuleuse facilité de communication, sa connaissance encyclopédique, avec sa bienveillance et la clarté de son propos qui mettent en confiance et tirent vers le haut.
Avec sa volonté de partage, d’échange, surtout quand vos choix montrent une divergence avec les siens. Il avait cette capacité de rassembler ce qui semble épars dans une volonté de compréhension et de complémentarité, en allant à l’essentiel, faisant évanouir les oppositions en dessinant une co-existence dans une unité.
Louis-Marie est un intellectuel puissant et lumineux, disponible et affable, mais aussi un révolté, un transgresseur qui a su dire non à l’intolérable, un chrétien authentique dégagé des oppressions cléricales (des conformismes), un humaniste qui vivait l’Agapè avec humilité et bienveillance, il portait une lumière qui éclairait vos vies.