Kader Arif

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Discours du 2 février 2014

Kader ARIF, Ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens Combattants

Je dois vous dire que c’est avec une sincère émotion que je suis aujourd’hui parmi vous pour rendre hommage à François Verdier, celui dont l’engagement, le sacrifice et l’abnégation ont été sans réserve. Pour dire aussi, à travers lui, jusqu’où peut s’exprimer le courage des hommes.

Ce courage, c’est celui qu’il fallut à François Verdier pour affronter le regard de sa femme et de ses enfants à qui les agents de la Gestapo l’arrachent dans la nuit du 13 au 14 décembre 1943.

Ce courage, c’est celui qu’il lui fallut pour refuser de mettre un genou à terre et de rester debout dans sa cellule de la prison Saint-Michel, face à la torture que lui imposèrent pendant six semaines les officiers nazis.

Ce courage, c’est le silence qu’il opposa à ses bourreaux pendant ces six semaines. Le silence comme seule réponse à l’horreur. Sous les coups et les humiliations, il ne livre aucun de ses secrets, il ne trahit aucune de ses promesses, celles faite à ses camarades, celles faite à la France.

En janvier 1944, depuis sa cellule, François Verdier écrit à sa femme et à ses enfants :

« Si je pouvais sortir, j’irais loin, très loin de ces mensonges, des dénonciations, mais je ne sais rien de ce qui m’attend. Je suis à toutes les minutes près de vous, avec vous. Je suis comme fou. Je vous aime et mon cœur est tout déchiré ! Ah savoir d’où vient, de qui vient tout ce mal ».

Quelques jours plus tard, le 27 janvier 1944, celui que l’on appelait Forain est assassiné par des agents de la Gestapo, ici même dans la forêt de Bouconne, d’une balle dans l’abdomen. Le bruit, déchirant le ciel, de l’explosion de la grenade placée dans sa bouche laisse place au silence. Celui de l’horreur, celui de l’incompréhension aussi.

Aujourd’hui, Monsieur Alain Verdier, vous rompez le premier ce silence par des mots forts et émouvants. Vous avez rendu un bel hommage à votre grand-père, celui qu’il espérait depuis sa cellule alors qu’il demandait par écrit à sa famille, je le cite encore, « d’aimer sa mémoire s’il lui arrivait malheur ».
C’est ce que vous avez fait aujourd’hui, « aimer sa mémoire », et de la plus belle des manières. Aux côtés de Françoise, sa fille, Yann et Matthieu, ses autres petits-fils, dont je salue la présence, vous nous avez invités à partager ce moment, je tenais à vous en remercier.

Le sacrifice de François Verdier, et de beaucoup de ses camarades, est le terreau sur lequel refleurirent, ici en Haute-Garonne il y a 70 ans, la Liberté et les valeurs de la République.

Républicain, François Verdier l’était viscéralement et tout autant qu’humaniste. Ce sacrifice, il avait été prêt à le faire auparavant pour ces mêmes valeurs universelles de liberté et de démocratie et pour le respect des droits de l’Homme.

Il avait été prêt à le faire pour les antifascistes italiens fuyant l’Italie mussolinienne et réfugiés à Toulouse. Il avait été prêt à le faire pour les juifs polonais et allemands exilés dans le Sud de la France. Il avait été prêt à le faire pour les réfugiés espagnols qui quittaient leur pays dévasté par une guerre civile.
En 1940, suspendu par le régime de Vichy du Tribunal de Commerce en raison de son appartenance à la Franc-maçonnerie, il est prêt à faire une nouvelle fois le sacrifice de sa vie, cette fois-ci pour la France et les valeurs de la République alors foulées au pied par l’antisémitisme, la haine raciale, la xénophobie et le totalitarisme.

Dès cette année-là, il entre en Résistance et fonde un petit groupe appelé Vérité qui le conduira ensuite à intégrer le Mouvement Libération Sud. En novembre 1942, l’Occupant nazi envahit la zone sud ; l’heure est à l’organisation et à l’unification de la Résistance. La force de conviction et le courage de François Verdier sont reconnus par tous. En juin 1943, il est nommé Commissaire de la République et chef des Mouvements Unis de la Résistance dans la région.

Il s’entoure alors de personnes en qui il a entièrement confiance avec qui il mène des actions clandestines, assure le renseignement et le contact avec les Alliés, organise le recrutement de résistants, tout en poursuivant sa vie de commerçant en machines agricoles jusqu’à ce jeudi 27 janvier 1944.
Si je reviens aujourd’hui sur le parcours et la personnalité de François Verdier, c’est pour rappeler l’histoire derrière le nom.

Ce nom dont Toulouse porte la trace au fil de ses rues. Ce nom que les passants lisent chaque jour sans connaître l’exceptionnel courage des femmes et des hommes de la région qu’il rappelle.

L’une des plus belles allées de la Ville porte son nom. A son extrémité, c’est le cœur de la mémoire de la Résistance. Le musée de la Résistance, la stèle des Justes parmi les Nations, la stèle commémorative de la 35e brigade Francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée et le mémorial de la Shoah concluent les allées Forain-François Verdier.

A son extrémité, c’est aussi le lieu du souvenir de l’horreur puisque l’ancien siège de la Gestapo occupait une ancienne villa du quartier.

En remontant ces allés François Verdier, c’est toute l’histoire de la Résistance toulousaine qui nous est contée. Dans le Bulletin municipal d’octobre 1944, l’écrivain et résistant Jean Cassou, alors réfugié à Toulouse, écrivait : « Oui, de tous les coins et recoins de la ville gracieuse, nonchalante, éloquente et cordiale, les souvenirs se lèvent, et il en est de terribles qui sont ceux qu’il faudra le moins oublier. Car le rose de Toulouse a bien souvent tourné au rouge sang ».

Ce rose de Toulouse, qui s’assombrit dans les Années Noires et retrouve tout son éclat à la Libération, a été immortalisé à plusieurs reprises par l’appareil photo de Germaine Chaumel, Toulousaine et l’une des premières femmes reporter-photographe en France.

Des femmes, il y en a eu beaucoup d’autres qui jouèrent un rôle déterminant auprès de Forain dans la Résistance toulousaine. Parmi elles, Marie-Louise Dissard dite «Françoise», qui tenait une boutique rue de la Pomme. Chef d’un réseau d’évasion, elle organisa les passages clandestins vers l’Espagne de plus de 700 résistants.
Je ne saurai rendre hommage à toutes les femmes et tous les hommes qui ont fait la fierté et l’honneur de la France ici en Haute-Garonne en suivant les pas de leur chef. Mais je dois rendre hommage, à travers la figure de François Verdier, à cette terre d’exil et de refuge qui a accueilli des Italiens, des Allemands, des Polonais, des Espagnols, puis d’autres encore venus de partout dans le monde.

Cette terre qui, pendant quatre années, a donné naissance à une Résistance de toutes les couleurs, de toutes les origines sociales et culturelles, de toutes les nationalités et de toutes les sensibilités politiques.

Une Résistance faite d’intellectuels remarquables, d’immigrés, de francs-maçons, de militants politiques.

Une Résistance qu’incarnaient l’Italien Vincenzo Tonelli, républicain combattant de la liberté en Italie, en Espagne puis ici à Toulouse qui s’est éteint en 2009 ; le Républicain espagnol Francisco Ponzan Vidal venu embrasser à Toulouse la cause de la France résistante ; l’intellectuel Raymond Navès, professeur de Lettres à l’université de Toulouse et « mort pour la France » au camp d’Auschwitz le 15 mai 1944 ; le syndicaliste toulousain Julien Forgues ; le professeur de mathématiques et militant Raymond Badiou, membre du comité départemental de Libération de la Haute-Garonne élu maire de Toulouse en 1945 puis député l’année suivante ; Achille Viadieu enfin, comptable aux chemins de Fer de Toulouse qui infiltre pendant plus d’un an les milieux collaborationnistes et est assassiné par la Gestapo dans les rues de Toulouse en juin 1944.

Le silence et le sacrifice de François Verdier, c’est la survie de toute cette Résistance en Haute-Garonne, et c’est la Libération de Toulouse survenue le 19 août 1944.

Derrière leur différence, c’est l’idéal de liberté, d’égalité, de fraternité qui réunissait tous ces hommes mais aussi une immense foi et confiance en l’humanité. Célébrer aujourd’hui François Verdier, c’est célébrer tout un combat antifasciste européen qu’il a mené aux côtés d’autres grandes figures de la région, à l’image de Marcel Langer, ce Polonais membre d’une section de la Main d’Œuvre Immigrée, arrivé à Toulouse en 1931, résistant de la première heure et mort à la prison Saint-Michel le 23 juillet 1943.

Il n’y a pas plus bel endroit pour célébrer aujourd’hui ces valeurs, universelles et intemporelles, de la Résistance.

Il n’y a pas plus bel endroit pour rappeler que c’est toujours au nom de cet idéal que nous devons combattre les extrémismes et autres idéologies fascisantes qui trouvent encore un écho dans la France d’aujourd’hui.

Il n’y a pas plus bel endroit pour dire combien la diversité fait la richesse, combien la diversité fait la force, combien la fraternité, celle qui rassemble ceux que la vie a voulu éloigner ou opposer, est prête à tous les combats.
Elle est la garantie de la liberté et de l’égalité avec qui elle forme le triptyque de notre belle République.

Il y a 70 ans, dans la clairière de la forêt de Bouconne où nous sommes réunis aujourd’hui résonnait le bruit strident et tonitruant du nazisme. Aujourd’hui, le silence, celui imposé par François Verdier à ses bourreaux, résonne plus fort. Et je remercie le mémorial Forain-François Verdier de faire renaître ce silence chaque année en organisant cette cérémonie.

« Quoi qu’il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas », avait dit le général de Gaulle dans son appel du 18 juin 1940. En gardant le silence, François Verdier a tenu cette promesse et les lumières de la ville rose se sont rallumées 7 mois plus tard.

Nous plaçons aujourd’hui cette flamme, ravivée par les souvenirs rappelés à notre mémoire, entre les mains de la jeunesse représentée ce matin par les collégiens de l’établissement Victor Hugo de Colomiers.

Chers élèves, cette flamme n’a jamais quitté l’esprit et le cœur des résistants qui ont survécu à cette guerre. Ils n’ont jamais cessé de résister, après 1945, contre toute forme de racisme et de haine.

Cette flamme n’a pas de couleur, pas de religion, pas de nationalité. Elle n’est ni riche ni pauvre, ni jeune ni vieille. Elle est le symbole de la fraternité et de l’espoir. Il nous appartient, il vous appartient, chers élèves, de l’entretenir, de la nourrir et de la faire grandir.

C’est une promesse que nous devons nous faire, à nous, à la France, à l’Europe pour ne jamais oublier, comme l’a écrit Romain Gary que « Le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens » et que « Le nationalisme, c’est la haine des autres ».

Je vous remercie.