Louis-Marie Raymondis

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Dimanche 27 janvier 1974,

Louis-Marie Raymondis, Président de l’association du « Mémorial François-Verdier Forain–Libération-Sud »

 

La Nuit du 13 au 14 décembre 1943.

Une centaine de résistants sont conduits vers les prisons de Toulouse, de Pamiers, d’Auch et d’un peu partout dans la région. Environ 150, semble-t-il, les chiffres connus ne sont pas encore absolument certains.

La Résistance savait depuis novembre que la Gestapo préparait un grand coup de filet.

Mais, comment éviter d’être pris sans cesser de travailler ? Après quelques semaines de prudence tous s’étaient remis au travail.

En particulier, le Chef Régional François Verdier dit Forain (il vendait des machines agricoles, en principe) devait tout organiser, tout prévoir car la libération, c’était ses hommes et lui qui devaient la faire, dans quelques mois.

Ce commerçant avisé, à l’allure impétueuse mais aussi, très nuancée de méridional, plus secret que livré, était né à Lézat avec le siècle.

Il est arrivé au point où il va pouvoir prendre un peu de distance, se mettre à travailler ailleurs, à « prendre d’autres contacts », avant l’action décisive.

Il a choisi un à un les responsables qui conduiront l’assaut au moment voulu. Ceux, aussi, qui éviteront le vide du pouvoir à la libération. Il ne veut d’aucun désordre, d’aucune improvisation, à cette heure. Il a préparé pour Alger la liste complète des postes qui seront assurés.

A 43 ans, il connaît à peu près tout du terrain où l’on pourra se battre. Il connaît même très bien cette forêt où il ne sait pas qu’il va mourir. Il connaît les hommes, ceux que Vichy a laissé encore travailler dans les arcades du pouvoir et qui seront utiles le moment venu… pour transmettre et dire ce qu’ils savent. Il connaît aussi ceux que le Maréchal a chassés, ses amis de toujours. Il sait aussi ceux qui auront assez de force pour lutter et croire, il sait aussi ceux qui sont « vidés ».

Prudent, il a conscience qu’il ne faut rien négliger, si on veut que le combat aboutisse, sans trop de sang. Déjà, il perçoit la menace que constituent pour l’avenir ses individus aux idées incertaines et à la moralité douteuse qui sont prêt à rallier le camp des vainqueurs.

Il connaît tout le monde, il est connu aussi de tout le monde, malheureusement. Cela aussi ne lui échappe pas. Il sait qu’ils sont nombreux, ceux qui peuvent mettre un nom sur son visage lorsqu’ils l’aperçoivent. A quoi peut servir un pseudo pour un tel homme ?

Parmi ceux qui parleront de lui plus tard, la plupart oublie ce fait important, pour déchiffrer ce visage qui devient mystérieux dans la grandeur de sa mort. Il savait parfaitement où il en était dans son face à face avec les boches et leur police. S’il a semblé à certains ne pas prendre des précautions suffisantes pour se protéger lui-même, ce n’est pas par maladresse ou impétuosité. En vérité, il a accepté le risque – tout entier -. Il connaît depuis des années toutes les ruses, les identités multiples, les innombrables domiciles que les grands professionnels de la Résistance, interposent entre eux et leurs contacts fugitifs. Ils changent de domicile chaque nuit. Dérisoire serait la ruse pour lui. On sait ou le trouver: à son bureau et dans sa maison de la rue de la Croix Rouge.

C’est ainsi, que vivait la vraie Résistance, celle qui a le plus souffert, la moins connue. L’autre aussi était nécessaire, elle avait sa grandeur mais pas la même. Verdier était de ces hommes qui se battent sur leurs terres, à mains nues comme on travaille. […]

Les soirées de décembre sont venues.

Le Chef, à l’instinct du chasseur a bien senti que le piège se refermait vraiment sur lui. Il n’est pas dupe. Mais il a besoin encore de quelques jours pour que la mise en place du plan soit achevée. On ignore encore la date du débarquement, de la création du vrai second front. Mais comment ne pas comprendre que tout doit être prêt, « même sans eux ».

Il a « son billet dans la poche » comme il disait ce soir-là. Il a presque achevé.

A sa femme qui, malgré son caractère assez altier, ne peut dissimuler une poignante inquiétude, il assure : « On a quelques jours très durs à passer, mais après tout ira bien ».

Après : le 13 décembre arrive, une alerte très prévisible a eu lieu il y a peu de jours. Quelques filatures ont été démasquées. Des vérifications auraient eu lieu. Mais les policiers patriotes n’apportent rien plus de précis. L’éternelle question depuis des mois!

[…]

27 janvier. Deux hommes qui allaient faire des prestations sur la grande allée forestière ont découvert un corps et une grenade.

Ses amis arrivent pour identifier le corps.

Un jeune médecin, le docteur Madrange vient d’être recruté par la police française pour le laboratoire de médecine légale. C’est la première identification de corps à laquelle il ait jamais procédé, le plus dramatique aussi. Il fait un rapport soigneux mais ne saura jamais ce qu’il est devenu. C’est bien François Verdier 43 ans, commerçant domicilié rue de la Croix Rouge à Toulouse.

Une belle demeure de laquelle personne n’ose plus s’approcher.

Ici commence la légende. Beaucoup de résistants ignorent ce qui s’est passé de précis, en forêt de Bouconne. Une poignée d’amis seulement est informée qui doit garder le silence. Il y a une petite fille qu’on a caché, qui doit rester cachée.

L’épouse de François Verdier n’a pas fui. Son premier réflexe, après qu’ils aient entraîné son mari avait été de partir. La femme du Chef de la Résistance ne pouvait pas fuir, sa fuite aurait aggravé – s’il était possible – le cas de son mari. Elle a mis la petite fille en sûreté chez des amis merveilleux qui risqueront tout pour la protéger. Alors elle est revenue à la maison, la Gestapo aussi. Elle sera battue et finalement déportée. Ainsi s’explique pour partie, le lourd silence qui va s’abattre sur le sort des Verdier, jusqu’à l’été 1945.

[…]

Victoire sur la souffrance. Victoire de l’homme qui n’a jamais voulu être un héros. Il faudra attendre 1945 pour que se taisent les rumeurs et que certains arrivent à savoir comment est mort cet homme simple, dans tous ses gestes.

Encore aujourd’hui, dans de grands mouvements oratoires, on cite Jean Moulin, d’Estienne d’Orves. Cela même à Toulouse, il semble être une figure qui n’entre jamais au Panthéon. Et cependant près de 70 jours de tortures qui se terminèrent pas la mort, une mort sans grandeur parce qu’elle était simple, acceptée.

Sont-ils encore très nombreux, ceux qui passent sur les allées François Verdier, frémissent en revivant tout ce que ce toulousain tranquille a enduré dans son corps, malgré et à cause, de son invincible espoir. Sacrifice, probablement unique, mais qui attend encore celui qui saura faire vibrer, à travers ce nom de Forain, le cœur d’une foule qui n’attend qu’une chose qu’on lui apprenne à savoir reconnaître là où est la véritable gloire.

Le 27 janvier 1944 sur le bord d’une route forestière du sang a séché.

Le dimanche 27 janvier 1974, nous osons demander à la population toulousaine de trouver un petit instant pour se recueillir à la mémoire de celui qui n’a connu ni la gloire ni la joie de la Libération. Voici 30 ans jour pour jour….