Dimanche 2 février 2003,
Nicole Belloubet-Frier, Rectrice de l’Académie de Toulouse, extraits
Certaines pages de l’histoire humaine ne doivent être abordées qu’après une préparation à la gravité des événements qu’elles relatent. Les sentiments à leur égard sont par nature partagés : entre une impossible indifférence, un désir de parole et de questionnement comme en produisent tous les grands sursauts de notre sensibilité, et le poids paralysant, dont nous écrasent les choses terribles et incompréhensibles que des hommes peuvent faire à d’autres hommes.
L’histoire de François Verdier est l’une de ces pages difficiles : elle nous impose de démêler en nous le silence de l’indicible et le devoir d’expression de l’intolérable. Et nous sommes d’autant plus tenus de le faire que s’ajoute à ces exigences la responsabilité qui est la nôtre, celle de la transmission continue de ce passé.
Les raisons qui nous conduisent à perpétuer cet événement sont évidentes, j’en suis sûre, pour chacun de nous : l’acte qui a été commis ici, en effet, n’est pas le résultat du hasard, mais la conséquence terriblement logique, jusqu’à l’absurde, de volontés humaines. Et c’est précisément en montrant aux jeunes esprits cet enchaînement de causes et d’effets, en éduquant leur attention et leur vigilance, en leur apprenant où finissent certaines aventures que nous pourrons éviter des récidives funestes. La transmission vaut ainsi pour l’action, tout au moins pour la seule action que le passé irréversible nous laisse : en présentant avec toute la minutie pédagogique et morale requise la mécanique de la barbarie, nous avons les moyens d’entraver sa continuité. Si l’action sur le passé nous est effectivement impossible, celle sur l’avenir nous est confié par ce moyen. L’action d’éducation et de transmission de la mémoire est en quelque sorte libératrice : elle permet de quitter le monde du subi pour celui de l’agir.
C’est ce que nous autorise à faire François Verdier pour les jeunes ici rassemblés.
[…]
La stèle érigée dans la forêt de Bouconne est un « lieu de mémoire ». Elle symbolise l’engagement de ceux qui ont refusé le morcellement de la France et qui passionnés de liberté intellectuelle et de vérité, ont été prêts à placer le souci des autres et l’intérêt général au-dessus de leur intérêt individuel. C’est donc un devoir de mémoire de leur rendre hommage et de rappeler les valeurs pour lesquelles ils ont combattu. La création du concours de la résistance en 1961 montre l’importance que l’Education nationale attache à l’information des jeunes générations, d’autant plus prégnante à l’heure actuelle que les derniers témoins directs vont disparaître.
François Verdier est mort pour les valeurs qui fondent la République : la démocratie et les droits de l’homme. Ce sont ces valeurs que l’École doit transmettre. Le devoir de mémoire doit s’accompagner d’un devoir d’histoire c’est-à-dire, avec tous les outils de l’historien, « situer sans relativiser, multiplier les approches, affiner les chronologies, enchâsser sans banaliser, construire un récit authentifié, inscrire toute mémoire en souffrance dans l’élaboration d’une histoire du temps présent, contemporain au sens plein. » (Jean-Pierre Rioux). L’École depuis Condorcet et Ferry a pour mission de former les jeunes à l’exigence de connaissance des faits et de leur agencement et d’en dire le sens, de mieux en mieux construit à mesure que l’histoire scientifique progresse. C’est à ce prix qu’elle contribue à former le citoyen d’un État de droit et d’une nation démocratique et instituer la Personne humaine.