Dimanche 4 février 1945,
Noël Babit, Ancien secrétaire fédéral de la Ligue des droits de l’homme, au nom de la Loge « Les Cœurs Réunis »
Mes F.F. de la R.L. « les Cœurs Réunis » à laquelle il appartenait m’ont imposé la douloureuse mission, rendue plus cruelle encore par l’affection sans borne que je lui avais vouée, d’évoquer aujourd’hui la grande âme de François Verdier que nous sentons planer sur nous en ces lieux tragiques.
Notre fraternelle fierté de savoir que s’il est mort il a su mourir en héros et en martyr ne compensera jamais le vide douloureux que laissera sur les colonnes de notre temple comme dans le cœur de ceux qui l’ont connu et aimé, la fin prématurée et dramatique de notre FR. François Verdier.
Voici de nombreuses années déjà, animé dès son adolescence par les idéaux qui sont les nôtres François Verdier vint chercher au sein de notre ordre « quelque chose de plus haut et de plus noblement pressenti ». Depuis avec une persévérance et une fidélité exemplaire, il nous consacra le meilleur de lui-même.
Dépourvu d’ambition, la belle situation qu’il s’était créée à la tête d’une importante et florissante affaire personnelle lui aurait permis de se cantonner dans une paisible confortable et heureuse existence bourgeoise; mais ferme républicain de cœur et de pensée, socialiste sincère, laïque ardent, son altruisme naturel et désintéressé lui interdisait de se replier égoïstement sur lui-même.
La finesse de son intelligence, sa psychologie avertie, son sens aigu des réalités et de l’action, sa calme énergie à toute épreuve, alliés à une sentimentalité délicieuse, à une parfaite loyauté, à une fidélité rare, en firent un maître franc-maçon estimé et aimé, un gardien éclairé de la loi maçonnique, un officier de loge distingué et écouté, prenant une part très active à nos travaux oraux et écrits.
[…]
Ce fut le point de départ de son action inlassable et efficiente qui devait à Toulouse et dans la région cristalliser tant de courages et de bonnes volontés sur le chemin de la Libération. Un chemin qui devait nous démontrer qu’à travers les épreuves et les dangers qu’il fallait subir ne s’opérait pas, hélas, toujours, la sélection des meilleurs d’entre nous.
Il n’était pas de ceux que les responsabilités effraient ou que l’effort rebute. Il savait trop comme maçon « que l’histoire de l’humanité s’identifie avec celle des luttes qu’elle soutient pour s’affranchir des jougs qui s’appesantissent sur elle ». Les risques, il les mesurait en fonction du but poursuivi avec son courage tranquille, ne se faisait aucune illusion sur la réalité des dangers qui le menaçaient.
Après une aussi longue période d’activité de premier plan, il eut été plus sage pour lui de disparaître, mais il se refusait la possibilité de ce qu’il appelait déserter.
De passage à Toulouse, où je devais le rencontrer, j’appris de ma mère en larmes que la Gestapo venait de le saisir dans ses griffes immondes. Notre douleur, la rage impuissante de tous les patriotes, les bonnes volontés prêtes à se sacrifier ne purent rien pour lui.
Pas un instant il ne se départit de son mâle courage, pas un instant il ne douta de ses amis. Son linge ensanglanté nous confirmait les tourments qu’il endurait pour que la France et la République puissent renaître, l’empreinte poussiéreuse de sa main imprimée sur son linge de corps nous disait la foi qu’il gardait en nous et les secours qu’il en attendait. Son signal de détresse restera gravé dans le cœur de tous ceux qui l’admiraient et l’aimaient avec le regret profond de n’avoir pu réaliser l’impossible miracle.
Puis ce fut la nouvelle de sa dépouille retrouvée comme celle d’un misérable dans les bois. Par un besoin merveilleux dont s’accommoderaient des destins hors-série tel le sien, nous ne pouvions admettre l’horreur de cette fin. Mais hélas! Notre François avait cruellement souffert et était bien mort; mort dans le stoïque silence du Camp de Vigny pour que ses compagnons de lutte le continuent.
Toulouse est depuis quelques mois libérée; une vie plus prosaïque y reprend ses droits. Notre François nous manque et chaque jour ses amis prennent mieux conscience de l’irréparable de sa perte.
Sans lui, nous reprendrons le chemin de notre temple où nous ne retrouverons plus sa silhouette élancée, sa figure avenante, son aimable cordialité, sa bonne humeur parfois scintillante de fantaisie et d’esprit…
Nos yeux attendris le chercheront toujours sur nos colonnes, car si François Verdier est mort à la vie profane pour passer à l’Orient éternel, son souvenir nous reste, son souvenir et son exemple. Il revivra dans nos tenues où son ombre sera le témoin de notre admiration et surtout de notre douleur et de nos regrets auxquels elle ne restera pas insensible.
Au nom de la R.L. « Les Cœurs Réunis », je m’incline pieusement dans le souvenir de notre frère François Verdier qui fut notre chef, notre ami, notre compagnon de lutte.
La Franc-Maçonnerie communie dans la douleur de sa famille et avec elle souhaite ardemment la réalisation du vœu que François Verdier formulerait lui-même avec angoisse.