Paul Arrighi – dimanche 27 janvier 2008

Page

Ce qui nous réunit ce dimanche 27 janvier, c’est la volonté de ne pas oublier le sacrifice d’un homme chaleureux, loyal, fin humaniste et courageux qui sut donner sa vie pour la cause de la Liberté, de la République et de la libération de la France.

François VERDIER avait choisi dans la Résistance comme nom de combat « Forain ». Il donna le calme bonheur d’une vie familiale épanouie, le confort d’une situation sociale d’industriel bien établie, sa souffrance d’homme et sa vie pour libérer la France de l’oppression nazie et faire vivre les valeurs de la démocratie et d’ouverture aux autres. Il ne faut surtout pas oublier dans les motivations de son engagement le souci du sort fait à celles et ceux que l’on nommait « étrangers » parmi lesquels nombre de réfugiés politiques qui avaient fuit les dictatures qui se répandaient alors comme la peste.

Après avoir rappelé les circonstances du sacrifice de François VERDIER, je me pencherai sur les qualités particulières et les engagements qui ont rendu possible la trajectoire et le destin de cette haute figure toulousaine.

Quelles qualités humaines et quelle trajectoire firent de cet homme simple, bon vivant et bien intégré dans la vie et dans sa ville, l’un des chefs de la Résistance toulousaine ?

Quel parcours philosophique et politique fut le terreau qui lui permit, dés 1940, de garder ferme ses convictions Républicaines et de ne pas mollir alors, qu’après le traumatisme de la défaite, nombreux étaient ceux qui avaient d’abord versé dans un attentisme prudent, voir pour quelques égarés ou fanatiques dans les voies de la collaboration ?

Nous verrons que le fil conducteur de l’attitude courageuse de François VERDIER fut le respect des vraies valeurs républicaines, de l’humanisme, de l’aide apportée aux proscrits italiens puis aux réfugiés catalans et espagnols. Il rejeta de son esprit cette négation d’Europe que sont les doctrines racistes et les délires antisémites et qui ont aboutit à l’abominable génocide de la Shoah.

Une tragédie Toulousaine en trois temps

 

C’est dans la nuit propice aux crimes, cette nuit blême du 13 décembre 1943 que la GESTAPO et son organisateur KATZ mirent à exécution cette opération nommée « minuit » qui fut préparée depuis Montpellier pour éviter que la Résistance toulousaine n’en fut informée.

Ainsi 110 arrestations eurent lieu dans la région de Toulouse dont 26 à Toulouse même.

Il faut se représenter l’atmosphère d’épouvante jetée parmi les combattants de l’ombre par ces nuits glauques de rafle ou, la nuit tombant, les camionnettes et les voitures s’arrêtaient devant les maisons et ou des sbires armés jusqu’aux dents s’introduisaient dans les domiciles fracassant les portes en emmenant les proies désignées d’avance, souvent sur dénonciation.

Malgré les avertissements de prudence qui lui avaient été donnés par son ami le résistant, Jean CHAUBET, François VERDIER, optimiste de tempérament et soucieux d’agir, alors qu’il y avait tant à faire pour galvaniser les énergies, était resté à son domicile, rue du Docteur Arnaud dans le quartier de la côte pavée.

Il répondit aux conseils qui lui étaient donnés de se mettre à l’abri :

« Non, non, on m’a déjà raconté quatre ou cinq fois la même histoire et je serai parti si j’avais cru à de tels boniments. Vous me demandez de tout abandonner alors que j’ai reçu aujourd’hui d’Alger la liste des futurs préfets que je dois installer dans ma région (…) [1]»

 

Illustration de l’homme de devoir qui s’ arque boute à ses tâches sacrifiant ainsi la prudence et sa survie même, à l’impératif de l’action et de l’organisation.

 

La Gestapo pénétra à son domicile entre 22 et 23 H. Il fut transféré immédiatement à la prison Saint-Michel avant d’être amené dans les sinistres locaux de la rue Maignac.

Au cours des multiples interrogatoires, qui duraient parfois des heures interminables, renouvelés tout au long des quarante jours de sa détention, ses bourreaux le frappèrent maintes fois très durement sur le visage. L’interprète Karl ERLICH a déclaré à l’inspecteur Georges Wetzel de la DST :

« (…) il a été si gravement torturé que les cris qu’il poussait s’entendaient jusqu’au rez-de-chaussée »

Le groupe franc MORHANGE qui fut l’un des bras armés les plus efficaces de la Résistance dans la région R4 avait projeté un plan pour le soustraire à la Gestapo s’il avait été transféré à la gare Compiègne, antichambre de la déportation dans des camps de la mort.

Mais le chef de la Gestapo, Otto, en décida autrement, soit qu’il estima « Forain » intransportable, soit qu’il ait voulu parer à une action visant à le délivrer de la part de la Résistance toulousaine.

A l’aube du 27 janvier 1944, sans avoir revu les siens, le chef des Mouvement unis de Résistance ( MUR ) , « FORAIN » fut amené au terme d’une longue souffrance, dans cette forêt où nous sommes réunis. Sorti de la voiture et amené au bord du chemin, François VERDIER fut lâchement abattu, d’une balle de revolver 11 mm, tirée dans le thorax par le gestapiste OTTO.

Pour mettre un comble à leur forfait, masquer les traces des tortures sur le visage, ses bourreaux firent éclater une grenade sur son visage.

Mais les bourreaux avaient laissé un mot écrit pour sa famille dans ses poches. De plus, sur le revers de son pantalon, une étiquette avec son nom a permis son identification, lors de la découverte du corps,  dans l’après midi du 27 janvier, par  un commissaire de la sûreté.

Son assassinat fut rendu public dans un article paru dans la Dépêche datée du 30 janvier 1944 faisant seulement mention de:

« M. VERDIER, industriel fabricant de machines agricoles à Toulouse. »

La Résistance avait perdu un chef d’une grande valeur humaine et un dirigeant ayant des qualités d’organisation remarquables. Son sacrifice ne fut pas isolé et nous pouvons rendre hommage aussi à d’autres dirigeants valeureux comme Raymond NAVES, fin universitaire, admirable connaisseur du XVIIIe siècle et de Voltaire, mais aussi du pharmacien Pierre BOURTHOUMIEUX, du simple facteur Lucien BERET du bureau de tri de la gare MATABIAU qui fut torturé et tué pour avoir informé la Résistance des menaces qui la guettaient et à la veille de la libération, de Lucien CASSAGNE, assassiné à la veille de la libération de Toulouse, aux côtés de Jean CASSOU, lui même grièvement blessé.

Bien sûr le crime n’arrête pas la colère et la justice et de nouveaux bras se levèrent pour continuer le combat pour la Libération et pour la Liberté. Mais la dureté de la lutte atteignait alors un tel paroxysme que le Résistant Jacques BAUMEL a pu écrire dans ses mémoires :

« Chaque jour, il nous faut remplacer nos responsables, boucher les trous. »

 

François VERDIER, un homme ouvert sur la vie et la cité

 

Il est indispensable de réfléchir aux différentes facettes de la riche personnalité de François VERDIER et à la valeur des engagements qui lui permirent de se hisser à la dimension d’un héros de notre temps.

François VERDIER est né, le 7 septembre 1900, à l’aube d’un siècle qui espérait beaucoup dans le progrès et pendant lequel deux guerres mondiales particulièrement dévastatrices et  meurtrières éclata, guerres qui pèsent encore sur la conscience humaine.

François Verdier n’était pas un « fort en thème » mais un jeune homme plein d’espoirs, ouvert à l’amitié et qui aimait croquer la vie à pleines dents.

Il exprima sa passion de vivre dans ses amitiés, sa vie de famille et son activité réussie de négociant de machines agricoles.

Ayant réussi dans sa vie professionnelle, il fut élu parmi ses pairs comme juge consulaire au Tribunal de commerce et estimé de tous :

« Il était », a écrit un des ses collègues, « la bonté même (…) »

Le résistant, Jean CASSOU qui le rencontra quelques semaines avant son arrestation l’a d’ailleurs décrit ainsi :

« C’était un vrai Toulousain, plein de narquoiserie, de flegme et de bonne humeur (…) il savait prendre les choses simples de la vie comme goûter «les œuvres d’arts, ses livres amoureusement reliés (…) la bouteille de banyuls qu’il partageait avec ses interlocuteurs ».

Il n’y avait rien du héros sombre et tragique chez François VERDIER qui aimait infiniment la vie et était apprécié pour ses qualités d’homme, d’ami et ses talents d’organisateur et de fédérateurs d’énergies.

François VERDIER, une suite d’engagements pour la Liberté

 

Comme l’a écrit Jean CASSOU, la Résistance fut à ses débuts :

« Le mouvement initial de quelques consciences qui avaient pris le parti de l’impossible».

Elle regroupa des femmes et des hommes très divers sur le plan philosophique mais leur engagement s’est souvent développé dans le prolongement d’engagements antérieurs notamment pour la défense de la République attaquée en 1934 par les ligues d’extrême droite puis d’un appui apporté dés les années 1925-1926 d’abord aux antifascistes italiens puis, à partir de juillet 1936 et plus encore de 1939 lors de la « retirada », aux Républicains espagnols.

Ce fut particulièrement le cas pour François VERDIER qui fit le choix des valeurs humanistes et fut initié le 20 avril 1934 dans la loge toulousaine à l’obédience du Grand Orient de France: « Les cœurs réunis. ».

Cette date d’avril 1934 sonne fort comme un soutien à la République puisque ses ennemis avaient tenté de lui donner l’assaut en février et qu’un intense processus de défense Républicaine s’est levé notamment dans le mouvement syndical, les partis et les loges.

François VERDIER apprit à y défendre les valeurs de la République en s’efforçant de donner du sens et de faire vivre la belle devise commune à l’obédience et à la République de : « Liberté, égalité, fraternité ».

Tous les francs-maçons ne furent pas des résistants mais beaucoup en furent tels le colonel Pierre CAHUZAC, Jean CHAUBET, Sylvain DAURIAC, Maurice FONVIELLE et les italiens Silvio TRENTIN et Francesco Fausto NITTI.

Ce ne fut pas un hasard si les francs-maçons furent désignés dés le 19 août 1940 parmi les premiers adversaires d’un régime antidémocratique et si un décret inique de 1941 démit François VERDIER de ses fonctions de juge consulaire justement en raison de sa qualité de franc-maçon.

L’autre fil conducteur de l’engagement de François VERDIER fut son action au sein de la Ligue des droits de l’homme :

Il était le secrétaire fédéral de la section toulousaine aux côtés du dirigeant national, l’intellectuel Victor BASCH qui paya lui aussi de sa vie son engagement aux côtés des plus faibles.

Or, dans les années de la montée des fascismes, cette organisation créée pour défendre l’innocence d’Alfred DREYFUS et combattre un antisémitisme qui déjà pointait son visage hideux, fut en pointe pour la défense des réfugiés politiques qui venaient chercher en France, dans le pays des droits de l’homme, un asile et parfois même la préservation de leur vie.

Or, à partir des années trente, cet asile, toujours précaire et délicat, se fit encore plus précaire en raison de la montée de la xénophobie attisée par la crise économique et les campagnes haineuses de l’extrême droite.

Dans le Sud-Ouest, le juriste italien et penseur antifasciste Silvio TRENTIN et son compagnon, Luigi CAMPOLONGHI jetèrent toutes leurs forces pour défendre leurs compatriotes, les réfugies italiens.

Surtout, pour François VERDIER, l’expérience qui le marqua certainement profondément fut le sort des dizaines de milliers de Républicains espagnols, si mal accueillis, en janvier et février 1939, dans des camps de circonstance hâtivement dressés au bord des plages du ROUSSILLON, ou aux portes de Toulouse, dans le camp du VERNET, dans des conditions de précipitation et d’extrême précarité.

Dans la foulée de ses engagements humanistes et au sein de la Ligue des Droits de l’homme, FRANCOIS VERDIER fut profondément un homme de gauche et surtout pas un homme sectaire.

François VERDIER rejoignit, dès les premiers mois de 1941 le premier groupe de Résistance dénommé « Vérités » aux côtés de son ami le producteur laitier, de Roger BATAILLE , du colonel BONNEAU de Louis-Marie RAYMONDIS et d’Achille TESTE. Puis il s’engagea dans le mouvement « Libération Sud » dans le sillage des brillants intellectuels tel Jean-Pierre Vernant et de syndicalistes.

Reconnu pour ses qualités d’organisateur, il fut appelé au poste stratégique de Chef des Mouvements Unifiés de Résistance, les « MUR ».

 

Nombre de jeunes militants socialistes dont l’ardeur s’était forgée dans la solidarité avec les républicains espagnols surent se porter avec courage et générosité parmi les premiers, d’abord contre le régime de Vichy, puis après novembre 1942 contre l’occupant. Ils suivirent en cela l’exemple des dirigeants socialistes, Vincent Auriol, Léon Blum, Daniel Mayer, Jules Moch, Eugène Thomas qui ne cédèrent pas un pouce de leurs convictions démocratiques.

 

Les jeunes militants socialistes qu’ils se soient trouvés comme Achille Auban et Paul Descours  dans le groupe de résistance : « Libérer et Fédérer », comme Raymond Naves et plus tard Raymond Badiou ou Paul Debauges au « comité d’action socialiste » ou à « Libération sud »  ces jeunes militants socialistes n’avaient pas oubliés les idéaux de Jean Jaurès et payèrent un prix particulièrement lourd à la répression.

Forain François Verdier, Responsable au sein des MUR

Ce qui apparaît particulièrement révélateur dans l’engagement de François VERDIER, comme dans celui de ses camarades et compagnons de la Résistance toulousaine c’est son ouverture à l’universalisme qui lui firent éviter les pièges fallacieux du nationalisme.

Ce que les historiens ont nommé : « Le sang de l’étranger » a aussi beaucoup coulé dans la Résistance toulousaine. Nombre d’antifascistes italiens et de combattants espagnols, n’hésitèrent pas à rejoindre la Résistance et à lutter au prix de leur vie pour la libération de la France.

Ce fut Silvio TRENTIN, venu de Vénétie en Italie, inspirateur du mouvement de Résistance « Libérer et fédérer » et son jeune fils Bruno qui, dès l’âge de dix sept ans, suivant les traces de son père, a résisté en inscrivant des slogans antinazis aux côtés des jeunes Francis NAVES et de Jean TANGY.

Ce fut l’antifasciste Mario LEVI, italien lui aussi, qui combattit dans la même organisation de Résistance que François VERDIER à « Libération Sud ».

Ce fut aussi Rosine BET, fille d’immigrés italiens installés dans le Lot et Garonne et Marcel LANGER, juif polonais, membres tout deux de la main d’œuvre immigrée -la M.O.I.- qui trouvèrent la mort au bout de leur combat.

Et parmi eux combien de valeureux catalans et espagnols tels le militant libertaire catalan Francisco PONZAN dit « François VIDAL » qui fut lui aussi assassiné par les nazis le 17 août 1944 dans la forêt de Buzet sur Tarn, à la veille de la libération de Toulouse.

En CONCLUSION : Fidélité, Humanisme et générosité

En premier lieu, le sacrifice de François VERDIER a l’age de 44 ans, au milieu de sa vie donnée pour la libération de la France et de l’Europe est pour vous les jeunes, tous ceux et celles qui n’ont pas connu les tragédies de cette époque de plomb, d’effroi et de fils barbelés, une incitation à nous défier de ce que les historiens nomment « le présentisme » qui est une focalisation sur le présent..

Il n’y a pas de présent accompli qui ne donne du sel à la vie sans que ne soit tenu compte du passé pour pouvoir construire un avenir durable.

Le sacrifice des justes trouve sa pleine signification dans le fait qu’ils nous montrent la voie.

La meilleure manière d’être fidèle à ceux qui brillent comme une flamme si vacillante dans l’histoire de notre région et de l’humanité est de toujours rester vigilant face à la résignation face à l’injustice et aux menaces contre la Liberté.

La vraie fidélité à un héros tel François VERDIER est de ne jamais oublier l’homme même lorsqu’il est un étranger et le devoir de fraternité qui fait partie de notre condition humaine commune.

En second lieu, ce que nous montre la vie et la mort de François VERDIER, c’est la force que peuvent avoir sur un citoyen certes d’exception les principes de la République lorsqu’elle sait faire rayonner ses propres valeurs d’ouverture aux autres, de générosité et de confiance dans le potentiel des êtres humains.

Parmi les valeurs de la République il y a incontestablement la manière dont la République sait accueillir dignement ces hommes que l’on nomme étrangers. L’étranger est d’abord avant tout un être humain et aussi un sujet de droit. Il représente un facteur d’enrichissement culturel et humain pour la société qu’il irrigue de sa vitalité, de sa culture et de ses projets.

Or le regard que chacun d’entre nous porte sur l’autre, sur l’altérité sur la figure de l’étranger est essentiel.

C’est la grandeur de l’école de la République, de l’Université et de ces briseurs de préjugés, de lieux communs et de tabous que sont les historiens de nous y faire réfléchir.

Or, la Résistance nous démontre les trésors d’abnégation et de courage qui furent ceux de ces frères d’armes que l’on nommait étrangers et qui se battirent lorsque la vie, la liberté et la dignité des français et de tous les femmes et hommes souffraient. C’est à la fois pour libérer ses compatriotes et celles et ceux qui, étaient persécutés pour leur liberté que François VERDIER, notre cher « Forain » que nous ne laisseront pas oublier donna sa vie.

Hommage à Bruno Trentin

[1] Texte de Pierre SAINT LAURENT, remis à Daniel LATAOIE le 7 juillet 1986, Archives de M. Daniel LAPATIE.