L’Académie du Languedoc a attribué le prix d’histoire Gratien Leblanc 2016 au livre « François Verdier, l’honnête homme, le résistant, l’unificateur ».
C’est Lucien Vieillard, jeune résistant au sein du mouvement Libération-Sud pendant les Années noires, actuel Président de l’ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance et Amis) qui a remis ce prix à l’auteur, Elérika Leroy.
Voir la cérémonie de remise du prix d’histoire par l’Académie du Languedoc : Extrait de la cérémonie du jeudi 26 mai 2016 au Conseil départemental de la Haute-Garonne.
Merci à Patrick Jubert (DASL) pour ces images.
Extrait de l’Avant-propos du livre
« L’historien n’a rien d’un homme libre. Du passé, il sait seulement ce que ce passé même veut bien lui confier.»
Marc Bloch
Bien rares sont ceux à savoir le grand homme qu’était François Verdier parmi les Toulousains qui arpentent à l’ombre des platanes centenaires les allées ou patientent sur le quai de la station de métro qui portent son nom. Insouciants, ou préoccupés par leur quotidien, ils ignorent que sous ce nom se cache un homme viscéralement libre, généreux et humaniste. Pétri de valeurs inébranlables qui l’ont porté durant sa courte vie vers un destin extraordinaire. Car là n’était pas toute la richesse de cet homme qui, doté de qualités rares comme le sens inné de l’organisation, eut la capacité d’unir une Résistance dispersée, faisant tout autant abstraction de divergences politiques que des rivalités internes. L’homme ne s’est jamais détourné de son but, ne regardait ni à droite ni à gauche pour savoir ce que l’on pensait de lui ou de son action, il gardait son cap, avançait sans sourciller, s’abstenant d’atermoiements inutiles. Son bon sens et sa vivacité d’esprit permirent en moins de cinq mois de bâtir les fondations clandestines d’une société démocratique et républicaine. Les choix de François Verdier étaient toujours justes. Il ne s’est pas trompé. L’armature lui a survécu jusqu’à la Libération, tant attendue.
Son combat à lui a pris fin un matin de janvier, il y a plus de soixante-dix ans, mais son souvenir a perduré autour d’un mémorial et d’une cérémonie créés par ses amis juste après la Libération. « Cérémonie en vérité unique en France, parce qu’elle combine l’individu et la collectivité qu’il entendait défendre et incarner. Même Jean Moulin n’a pas droit à un hommage de ce modèle[1]. »
Quelle n’est pas la surprise de celui qui découvre, par un dimanche matin d’hiver n’épargnant ni le froid ni bien souvent la pluie, en plein cœur de la forêt de Bouconne, cette cérémonie commémorative à nulle autre pareille.
Au premier regard, le spectateur qui assiste pour la première fois à ce rassemblement en forêt est inévitablement frappé par la singularité de ce qu’il découvre. Mais il convient auparavant d’approcher le site invariablement envahi à cette date sans se laisser effrayer par la quantité de véhicules, obligeant le retardataire à parcourir quelques kilomètres supplémentaires pour gagner le lieu du rendez-vous. Ce premier obstacle passé, après avoir remonté ce long chemin, une clairière apparaît et l’on mesure la validité de l’impression initiale : ce n’est pas moins qu’une véritable foule qui est réunie en ce lieu.
Lorsque j’y suis venue pour la première fois, intriguée par cette cérémonie organisée au cœur de la forêt, j’ai ressenti beaucoup d’émotion, impressionnée par ce rassemblement républicain et par le lieu. Dix-sept années après ma première expérience de cette commémoration, grand est mon plaisir de constater l’indéniable constance, tant dans la mobilisation qu’elle suscite que dans la qualité des hommages rendus. Lorsqu’il me fut proposé de me soumettre à mon tour à cet exercice en 2013, je ne me figurais pas me retrouver aujourd’hui prête à vous livrer le fruit de mes recherches sur François Verdier.
En 1995, à l’université Toulouse-Le Mirail[2], Jean-Pierre Vernant a accepté d’ouvrir un colloque sur la mémoire et l’histoire de la Résistance. À ce moment-là, les acteurs témoins, encore assez nombreux, sont confrontés aux historiens de la Résistance. Leur témoignage, interrogé, malmené, confronté aux documents, est remis en question par les scientifiques.
« Un document, une lettre, posent des problèmes analogues. Je pense à des thèses que j’ai lues et où, je crois, les documents ne pouvaient être réellement compris que par ceux qui avaient vécu cela. Je m’explique. L’historien doit prendre de la distance, il doit faire comme si ce qu’il étudiait n’avait aucun rapport avec lui. Moi j’étudie l’Antiquité. Je suis tranquille de ce côté-là : personne ne va me dire… Mais il en va autrement pour quelqu’un qui étudie ce à quoi il a participé, comme vous, monsieur Cordier. Vous êtes obligé de prendre de la distance – mais vous ne pouvez pas échapper au problème – pour savoir comment les agents ont vécu au présent les événements qui, pour vous, représentent simplement du passé. Comment les voyaient-ils, eux ? Quel était leur horizon d’attente ? Quelles étaient leurs espérances ? Qu’est-ce que voulait dire leur action ? Et cela, je crois que les témoins peuvent vous le restituer. Et je crois que les témoins, certains témoins, pas seulement Serge Ravanel, d’autres me l’ont dit parmi les copains que j’ai retrouvés ici, m’ont dit : « Mais qu’est-ce qu’il raconte ? On ne s’y retrouve pas, nous, là-dedans. » Marc Bloch disait que l’historien est un type qui est toujours à l’affût de la « chair humaine ». C’est-à-dire que, derrière l’étude du passé, ce qu’il veut savoir c’est qui étaient ces gens qui étaient là, comment ils ont fait ça. »
« Chair humaine », oui. C’est dans cette exacte perspective que j’ai délibérément pris le parti d’orienter mes recherches. Loin des grands concepts, des grandes idées, de la prétentieuse ambition de reconstituer l’histoire de la Résistance dans la région.
C’est pourquoi dans ce livre j’ai voulu retrouver François Verdier avant de percevoir « Forain ». Reconstituer les étapes de sa vie, de ses origines paysannes au grand bourgeois toulousain qu’il était devenu. Tenter ainsi de comprendre pourquoi cet homme a sacrifié sa vie, en pleine conscience, en homme libre. Car, à la fin de mes recherches, c’est une certitude, François Verdier savait qu’il allait être arrêté, un jour ou l’autre. Ce n’était en aucune manière de l’imprudence, de l’arrogance ou de la négligence. Il savait pertinemment qu’en devenant le chef de la Résistance il acceptait de mourir. Et à regarder sa courte vie, de loin, plus de sept décennies après, on comprend son attachement profond à une valeur désuète aujourd’hui, le patriotisme. François Verdier s’est sacrifié, il n’y a pas d’autres mots. Il a accepté ce risque au nom de ses valeurs suprêmes. Mais, pour reprendre les propos de Marc Bloch :
« Un nom d’homme ou de lieu, si l’on ne met derrière lui des réalités humaines, est tout bonnement un vain son […]. Être “précis”, c’est se tenir proche du concret ; ce n’est pas étiqueter à tour de bras des tiroirs vides[4]. »
Ainsi, il n’est donc pas question pour moi d’ouvrir des tiroirs pour tenter d’y caser François Verdier, cela n’aurait aucun sens. Il ne s’agit pas non plus pour moi d’écrire une hagiographie de « Forain », bien que je concède volontiers éprouver à son égard une admiration et un respect sans réserve. Là n’était pas le propos.
Conduit par ses valeurs, profondément justes et humanistes, François Verdier a agi. Par solidarité, par générosité, tout d’abord. Et, parce qu’il n’a jamais oublié d’où il venait, il a su convaincre, trouver les mots, trouver l’énergie et le courage pour agir.
Au gré de mes recherches, j’ai pu en trouver les preuves, c’est-à-dire des éléments concrets. Parfois ce ne sont que des indices, sans élément précis et circonstancié. La période clandestine, de par sa nature même, n’a pas laissé de traces. Les mémoires de certains résistants et les travaux d’historiens permettent de trouver quelques éléments qui, confrontés aux archives et aux quelques témoignages, éclairent la personnalité et l’histoire de François Verdier.
Reconstituer un puzzle. Croiser les sources, à partir de rares témoignages, à partir d’archives, à partir de travaux historiques, des petits riens sur François Verdier. Il est tout de même surprenant, voire même déstabilisant, s’agissant de François Verdier, de constater que l’absence de travaux rigoureux sur son compte est toujours à déplorer soixante-dix ans après sa mort, sans que je puisse m’en expliquer la raison.
Alors, revenir à la « chair humaine », avec ses défauts et ses qualités, pour tenter de comprendre ou du moins d’approcher la réalité sur le chef qu’il était, sur son action, sur son organisation, ses difficultés, ses réussites. Avec humilité, toujours. En ayant la pleine conscience qu’il ne sera jamais possible de tout connaître, de tout expliquer. Comme en témoignait Louis-Marie Raymondis :
« Malgré tout ce qu’on écrira sur François Verdier, on ne saura jamais l’ampleur de son travail, parce qu’il a été prudent. Ce n’est pas quelqu’un qui a fait perdre ses camarades par imprudence, c’était quelqu’un qui savait ce qu’il faisait, qui le faisait bien, comme il vendait bien ses machines agricoles… Excusez-moi pour ce rapprochement qui est insultant presque, mais c’est la vérité. François Verdier n’a jamais cessé d’être ce qu’il était, c’est-à-dire un homme droit, honnête, avisé. Il a mené une grande aventure mais n’était pas un aventurier[5]. »
Elérika Leroy, extrait de François Verdier, l’honnête homme, le résistant, l’unificateur, Éditions Privat, 2014.
[1]. Pierre Vidal-Naquet, « Sur une commémoration », revue interdisciplinaire Genre Humain, Paris, Seuil, 1988.
[2]. Aujourd’hui université Jean-Jaurès.
[3]. Jean-Pierre Vernant, Mémoire et Histoire : la Résistance, Actes du colloque, Toulouse, Privat, 1995.
[4]. Cité par Laurent Douzou, La Désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud, Paris, Odile Jacob, 1995 (p. 20, extrait d’un article paru en 1940 dans les Annales d’histoire sociale).
[5]. Témoignage recueilli à Nice en 2010.