Rolande Trempé (1916-2016)
Résistante dans les Ardennes,
Professeur des Universités, grande historienne du Mouvement ouvrier et de la Résistance.
Souvenirs sur Rolande Trempé, Femme libre, Résistante et Historienne engagée du mouvement ouvrier par Paul ARRIGHI, Historien
J’ai eu, Rolande Trempé, comme Professeure en deuxième année de Faculté d’histoire à Toulouse le Mirail l’année universitaire 1974/1975.
La plupart des étudiants d’histoire alors souvent politisés, fut-ce superficiellement, de l’après 68 Toulousain y faisaient leurs classes et n’étaient pas déçus.
En effet cette grande dame, rayonnante et d’un dynamisme entraînant, avait déjà vécu une vie dense et riche de rencontres et d’expériences formatrices.
Elle nous racontait ses souvenirs restés très vifs sur la débâcle de 1940 et la fuite éperdue de Paris des services des armées et des administrations d’une République n’ayant su donner au Peuple de bonnes raisons de se battre.
Elle nous parlait moins de la période ultérieure d’adhésion au parti communiste concomitante à celle de son entrée en Résistance (mi 1941-1943?) comme agent de liaison du mouvement des Francs-Tireurs et Partisans dans les Ardennes.
Elle se présenta, dès que le suffrage fut enfin donné aux femmes, comme l’une des premières candidates à la députation sur une liste présentée par le PCF, ce parti était alors au fait de l’influence et du rayonnement que lui avait donné son rôle essentiel dans la lutte de libération.
D’un tempérament farouchement épris de liberté et d’indépendance d’esprit, elle ne tarda pas à se heurter aux caciques locaux et vint à l’automne 1947 s’installer à Toulouse et donner des cours dans une école nationale d’apprentissage (ENNA) et débuta de brillantes études d’histoire, sous la houlette de Professeur Godechot.
Elle soutint brillamment son DES (alors l’équivalent à une maîtrise d’histoire) puis un doctorat d’état soutenu brillamment.
Rolande Trempé était connue internationalement pour sa thèse d’Etat soutenue sur les «Mineurs de Carmaux» sous la présidence de l’influent Historien Ernest Labrousse, le 21 juin 1969.
Ultérieurement, Rolande Trempé fut nommée le 11 juin 1970 professeur sans chaire, chargé de la maîtrise «Histoire du travail et des travailleurs» à laquelle elle donna une impulsion décisive jusqu’à sa retraite en1983.
Quasiment toutes les historiennes et historiens qui ont rendu compte de sa thèse novatrice ont souligné son «travail gigantesque, une érudition étonnante» fondée à la fois sur «un long séjour sur place», le traitement croisé d’«une masse énorme et disparate de documents» et la «connaissance approfondie du milieu professionnel que constituent les mineurs carmausins.» Cette recherche approfondie lui a permis d’aboutir «au chef d’œuvre d’une vraie «leçon méthodologique». Le champ d’étude de cette thèse a visé à faire connaître: « l’étude détaillée d’une microrégion, le bassin de Carmaux et l’histoire professionnelle durant près d’un demi-siècle du groupe socioprofessionnel de ces anciens petits paysans devenus les mineurs de Carmaux. »
Mais il ne s’agissait pas de donner une simple histoire «froide» et d’une photographie statique d’un «milieu social» mais selon les indications données par Rolande Trempé, elle-même, d’étudier comment se sont constitués : «la naissance et le développement d’une «conscience de classe» et favorisé l’adoption du socialisme. Il s’agissait d’analyser de l’intérieur: «Comment s’est faite la «prolétarisation» de ces paysans principalement venus du Rouergue ? Par quels cheminements ces «paysans mineurs» se sont-ils finalement identifiés à la classe ouvrière? Et de mieux comprendre: «Comment, en une quarantaine d’années, les agriculteurs embauchés à la mine sont devenus «professionnellement des mineurs, socialement des ouvriers, politiquement des contestataires du système économique et social dans lequel ils sont intégrés», aboutissant jusqu’à la «mutation politique du plus grand nombre qui sest exprimée par le choix du socialisme et l’élection de Jean Jaurès de 1893 à 1898 et de 1902 à 1914».
L’année universitaire 1974/1975 est restée parmi mes meilleurs souvenirs de mes années de jeune étudiant et des nombreux excellents professeurs que j’ai eus, Rolande était, à la fois, savante, pétillante d’intelligence et résolue ainsi qu’extraordinairement «pédagogue». Elle connaissait et nous apprenait l’histoire du mouvement ouvrier et celle des syndicats avec amour et passion. Nous étions toutes et tous, sous le charme.
C’était aussi à la fois un Professeur hors pair mais restée une militante bien que désencartée du PCF, à l’issue de l’année 1968, qui après 1956, vit arriver à maturation tant de ruptures et s’ouvrir nombre de voies et de pratiques nouvelles
Rolande était passionnée et pleinement engagée dans les combats de son temps pour l’émancipation et la justice sociale. Il ne faudrait surtout pas l’oublier et faire «passer à la trappe» cet élément fort de sa vie risquerait de lui voler une part de sa vie; cette part auquel elle tenait tant.
C’était une Femme courageuse et emplie d’une énergie étonnante, de celles et de ceux dont nous aurions tant besoin, aujourd’hui.
Je partage le chagrin profond de toutes celles et ceux qui l’ont aimée et l’aimaient et aussi la tristesse de son collègue et ami, Rémy Pech qui a enseigné à ses côtés, alors, tout jeune professeur venant de l’ENS de Paris.
Quelle tristesse qu’elle ne soit plus avec nous, en ce printemps d’éveil d’Espoirs et de luttes dont, plus jeune, elle n’aurait pas manqué de faire partie passionnément, sans aucun suivisme mais en toute lucidité. Elle l’aurait aimé par le caractère de «renouveau» qu’il présente et dont nous avons tant besoin.
Rolande Trempé fut avec le délicieux Jean Estèbe dans le jury de la soutenance de la maîtrise d’histoire sur : «L’histoire de la fondation et de la vie du PSU dans la Haute/Garonne (1952-1968).» J’obtins alors une mention très bien en juin 1976.
Rolande Trempé fut pour moi une éveilleuse d’Esprit et une Historienne engagée à la parole chaleureuse.
Paul Arrighi, Docteur en Histoire.
En savoir plus sur Rolande Trempé
Biographie de Rolande Trempé dans Le Maitron par Michelle Perrot , historienne
Rolande Trempé attribuait à l’origine alsacienne de sa famille paternelle un type plutôt germanique qui lui aurait facilité les circulations dans la France occupée. Elle n’a jamais connu son père, René, François, Raphaël Trempé (1888-1916), mort à la guerre à vingt-huit ans. Ce jeune homme, né le 12 septembre 1888 à Préfontaine (Loiret ), était ouvrier boulanger itinérant(…)
Rolande Trempé, une historienne dans son siècle par Clair Juilliet , magazine Mondes sociaux, 2015
Précurseure dans les domaines de l’histoire ouvrière, de la Résistance ou encore des femmes, Rolande Trempé a eu un parcours atypique, que l’anthropologue Nicolas Adell qualifie de « soumis à la seule exigence qu’impose l’exercice plein de la liberté ». Arrêtons-nous donc sur cette trajectoire de vie et sur les principaux apports de Rolande Trempé à la recherche et à l’enseignement.(…)
Une belle occasion de redécouvrir l’énergie et la conviction de Rolande Trempé quand elle évoque ces camps oubliés.
Le documentaire sur les Etrangers en résistance (Centre Audiovisuel de l’UTM/INA).
Rolande Trempé a beaucoup œuvré pour qu’un travail historique soit fait sur le rôle des étrangers dans la résistance toulousaine, notamment sur la 35ème Brigade FTP-MOI Marcel Langer
Documentaire remarquable avec les témoignages de membres de la 35ème Brigade FTP-MOI, dont Claude Urman.
Documentaire de 12 mn qui donne la parole à Rolande Trempé sur le droit de vote des femmes (Fondation pour l’innovation politique)
France Culture, la Fabrique de l’Histoire, entretien avec Rolande Trempé autour de Jean Jaurès
Publications:
Rolande Trempé, Du royalisme à la République ou le « ralliement » du marquis de Solages député de la 2e circonscription d’Albi , 1959.
Rolande Trempé, Analyse du comportement des Administrateurs de la Société des Mines de Carmaux vis-à-vis des mineurs (1856-1914) », in Le Mouvement social, n° 43, 1963.
Rolande Trempé, Mémoires d’un militant mineur : J.-B. Calvignac, maire de Carmaux , Le Mouvement social, n° 43, avril-juin 1963.
Rolande Trempé, Le réformisme des mineurs français à la fin du XIXe siècle, Le Mouvement social, N° 65, octobre-décembre 1968.
Rolande Trempé, Les mineurs de Carmaux: 1848-1914,2 volumes, préface de Jacques Godechot Éditions ouvrières, 1971.
Rolande Trempé, La main-d’œuvre étrangère aux mines de Carmaux entre les deux guerres, Revue du Tarn, 1971.
Rolande Trempé, Histoire ouvrière et centrales syndicales : la CGT , Le mouvement social, N° 100, juillet-septembre 1977.
Rolande Trempé, Problèmes culturels autour des mines de Carmaux , Revue du Tarn, N° 96, 1979.
Sous la dir. De R. Trempé, L’État et nous, pays toulousain et instances nationales du XVIe siècle à nos jours, PUM, 1989.
Rolande Trempé, Les trois batailles du charbon : 1936-1947, La Découverte, 1989.
Rolande Trempé, Solidaires : les Bourses du travail Scandéditions, 1993.
Rolande Trempé, Vichy et le problème de la main-d’œuvre étrangère dans les mines : le cas des groupements de travailleurs étrangers et des Algériens.
Rolande Trempé, Pour une meilleure connaissance de la classe ouvrière l’utilisation des archives d’entreprise : le fichier du personnel.
Rolande Trempé, Introduction : Jaurès, l’État, la réforme et la révolution », in Jean Jaurès, cahiers trimestriels, N° 150, juillet-septembre 1998.
Boscus A., Démélas M.-D., Militantisme et histoire, Toulouse , PUM, 2000.
Résistantes de l’ombre à la lumière : la représentation de l’action des femmes dans la résistance, documentaire réalisé par Cécile Favier, 2003. DVD AERI
Carmaux ville minière propos recueillis par Alain Boscus PU 2004.
Adell N., « Rolande Trempé, une pionnière de l’histoire sociale », Midi-Pyrénées Patrimoine, Hors-série 4, 124 -129, 2012.