Docteur en droit, Silvio Trentin mène une brillante carrière d’universitaire et de parlementaire, élu député de la Democrazia sociale dans la province de Venise depuis 1919.
Quand Mussolini arrive au pouvoir, Silvio Trentin, par conviction antifasciste, démissionne de son poste de professeur et choisit l’exil.
En 1926, il s’installe dans le Gers avec sa famille et survit en travaillant la terre puis comme simple ouvrier dans une imprimerie.
Totalement démuni, il n’en reste pas moins un intellectuel engagé. Il poursuit pendant ces années difficiles ses réflexions philosophiques sur la liberté et la société, écrit et publie des ouvrages de référence, sillonne la région pour donner des conférences.
En 1935, sur les conseils avisés du professeur Camille Soula, il ouvre une librairie rue du Languedoc. Fréquentée par toute l’intelligentsia toulousaine pour la qualité et la rareté des ouvrages proposés, elle devient un haut lieu de débats politiques et de rencontres intellectuelles.
La librairie du Languedoc
En 1935, Silvio Trentin rachète une petite librairie au 46 rue du Languedoc. Tous les opposants au fascisme se retrouvent autour de la personnalité emblématique et généreuse de ce juriste et philosophe politique, Professeurs, scientifiques, philosophes, écrivains, journalistes, syndicalistes et étudiants viennent écouter les idées humanistes, progressistes et avant-gardistes de Silvio Trentin, fin analyste des méthodes fascistes.
Le contexte international marqué par la guerre d’Espagne accentue la vivacité des débats et le désir d’action. La libraire devient un foyer de soutien aux Républicains espagnols où s’organisent les actions d’entraide aux réfugiés. L’exode accroit la fréquentation de la librairie qui devient un refuge pour de nombreux intellectuels français et étrangers repliés à Toulouse.
Dès juillet 1940, l’arrière-salle de la librairie se transforme en abri discret des premières réunions clandestines entre partisans de l’action contre Vichy et les nazis. Le premier réseau de résistance toulousain se forme chez Trentin autour de Pierre Bertaux et de Jean Cassou. Les étudiants du groupe « Vive la liberté » y retrouvent les jeunes militants politiques de gauche qui créent l’année suivante, le mouvement de Résistance « Libérer et Fédérer ». Initié par Silvio Trentin, le mouvement s’est organisé dans son bureau.
La librairie a véritablement été le foyer de cette effervescence résistante par la qualité et la diversité de ceux qui fréquentaient l’endroit et par l’ambiance bienveillante qui y régnait. Pendant ces années de censure et d’oppression, la libraire apparaissait comme l’un des seuls lieux à Toulouse où les conversations étaient libres et conviviales. Le professeur Naves aimait s’y rendre en compagnie de son ami Meyerson ; Jankélévitch et Friedman prenaient plaisir à écouter le professeur Soula discourir avec véhémence sur l’immobilisme français ou affronter le professeur Joseph Ducuing lors de débats vifs et passionnés entre communiste et socialiste. François Verdier s’y rendait régulièrement accompagné de sa fille pour plus de discrétion. Les jeunes gens, étudiants et résistants, aimaient également y retrouver la fille de Silvio Trentin, Francesca dite Franca.
Jusqu’en novembre 1942, la librairie du Languedoc fut à l’image de son propriétaire, généreuse et bienveillante, un foyer de liberté et de résistance.
Libérer et fédérer
Après la défaite et sous le régime de Vichy, ses idées de liberté et de fédéralisme des nations sont partagées et suscitent la création d’un mouvement de résistance unique en France, Libérer et Fédérer, en juillet 1942.Il s’agit du seul mouvement français créé par un étranger.
Libérer et Fédérer édite un journal clandestin qui permet de diffuser les idées de Trentin : gagner la guerre et préserver la paix par la fédération politique et culturelle des Etats-Unis d’Europe. En lien avec les Britanniques, le mouvement s’organise solidement tandis que Silvio Trentin est contraint à la clandestinité. Il est caché dans la maison du docteur Roger Mazelier, résistant du réseau Morhange et de la 35ème Brigade FTP-MOI.
En septembre 1943, la chute de Mussolini décide Silvio Trentin à rentrer en Italie. Il organise la Résistance en Italie du Nord contre les Allemands et leurs alliés fascistes. Il est arrêté à Padoue aux côtés de son fils Bruno, puis emprisonné. Mais les conditions de sa détention ont gravement dégradé son état de santé. Silvio Trentin meurt à Trévise le 12 mars 1944 sans avoir vu la libération de son pays ni l’accomplissement de ce qu’il chérissait et pourlequel il avait consacré sa vie sans jamais faire de concession.
En 1945, la ville de Toulouse lui a rendu hommage en attribuant son nom à un grand boulevard.
Une cérémonie a lieu chaque année au 46 rue du Languedoc devant son ancienne librairie.
Pour en savoir plus:
Paul Arrighi, Silvio Trentin, un Européen en Résistance, 1919-1943, éditions Loubatières, 2007.
Article de Paul Arrighi (membre du Mémorial François Verdier), Silvio Trentin, un libraire résistant, revue Arkéia n°20
Un centre de recherches a été créé en 1974 dans sa Vénétie natale, à Jesolo : Centro Studi e Ricerca « Silvio Trentin », Jesolo