Cérémonie du 28 janvier 2024

IMG_20240128_094152_resized_20240129_081538762
Par défaut

80eme-Liberation_logoCérémonie du dimanche 28 janvier 2024

80ème anniversaire de l’assassinat de François Verdier en forêt de Bouconne

 

Verdier F - Matt2 Street Art 2024

Quelle est la raison d’être d’une commémoration comme celle qui a lieu ce 28 janvier 2024 ? D’aucuns doutent de l’utilité de telles cérémonies. Ce n’est pas mon cas parce que je fais miens ces mots de Vladimir Jankélévitch : « Si nous cessions d’y penser, ils seraient définitivement anéantis et nous achèverions de les exterminer. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité. »

Laurent Douzou

IMG_5071IMG_5108Le drapeau de Libération-Sud remis à deux collégiens volontaires la cérémonie est ouverte.

20240128_120231

Vidéo du discours d’accueil par la présidente du Mémorial François Verdier Forain Libération-Sud

 

Cette année, ce sont les élèves du collège Jean-Pierre Vernant qui ont rendu hommage à François Verdier. Après le mot d’accueil de leur principal, M. Franck Lemaire, les collégiens ont interprété des extraits d’une pièce de théâtre créée par leurs enseignants. Ils ont ensuite rendu hommage à Jean-Pierre Vernant par un chant qu’il affectionnait particulièrement « le temps des cerises ».

Vidéo de l’hommage des collégiens de Jean-Pierre Vernant

IMG_20240128_111146_resized_20240129_081343167Elèves2

 

Discours de Laurent Douzou, historien de la Résistance

Vidéo de l’allocution de Laurent Douzou

IMG_5133

Mesdames, Messieurs, en vos titres et qualités,

Chers amis de la Résistance,

Chers élèves et chers collègues du collège Jean-Pierre Vernant,

C’est un honneur d’être convié par l’Association du Mémorial François Verdier Forain Libération-Sud à prendre la parole en ce 80ème anniversaire de son assassinat. Nous perpétuons une tradition inaugurée dès le 4 février 1945 alors que Jeanne Verdier était encore au camp de Ravensbrück où elle était arrivée 4 jours après l’assassinat de son mari. Cette longévité dans la fidélité, ce n’est pas rien ! Longtemps, ce sont des acteurs de la lutte clandestine qui ont pris la parole. Le temps faisant son œuvre, les historiens ont pris le relais. Toutefois, beaucoup de celles et de ceux qui sont ici présents aujourd’hui n’ont nul besoin que je retrace l’itinéraire de François Verdier, Forain dans la Résistance. Vous êtes ici précisément parce que vous savez qui était cet homme. Je conseille en tout cas vivement la lecture du beau livre d’Elérika Leroy qui restitue François Verdier, l’honnête homme, le résistant, l’unificateur.

Comment parler de lui en janvier 2024 si loin de janvier 1944 ? Peut-être d’abord en relevant que notre époque incertaine a été précédée de temps bien plus rudes dans lesquels nos devanciers se sont montrés capables de surmonter des situations qui semblaient désespérées. Ensuite, en restituant à François Verdier sa pleine dimension humaine qui souligne ce que son comportement eut d’héroïque.

Né avec le siècle en Ariège dans une famille modeste, François Verdier avait connu jusqu’en 1940 une existence pleine et réussie. Entrepreneur prospère, membre de la SFIO et de la Loge « Les Cœurs Réunis » à l’Orient de Toulouse, secrétaire fédéral de la Ligue des droits de l’homme, il était père de deux enfants, Jacques et Françoise. Ce juge au tribunal de commerce présentait tous les attributs d’un notable en vue dans le paysage toulousain. Il avait beaucoup à perdre – alors qu’il était jeune encore – s’il prenait le parti de « faire quelque chose » comme on disait dans les premiers temps de ce que nous appelons la Résistance.

Or, François Verdier s’est lancé immédiatement dans la lutte. Il a été des noyaux d’une résistance balbutiante qui ont vu le jour très tôt alors même que la popularité de Pétain était forte pour ne rien dire du fait que la police, la justice et l’information étaient à sa botte. Il fallait alors du courage et des valeurs chevillées au corps pour désobéir au nouveau régime. À Toulouse, où de solides noyaux antifascistes soudés par l’aide à la République espagnole avant-guerre coexistaient avec des réfugiés et des étrangers désireux d’agir, la lutte clandestine s’organisa progressivement.

François Verdier, quant à lui, gravita dans la nébuleuse de deux groupes dont la dénomination en dit long sur les valeurs de leurs membres : Vérité d’une part, Liberté, Égalité, Fraternité d’autre part.

Avec une poignée d’autres comme Achille Teste ou Armand Ducap (dont je cite les noms parce qu’ils ont pris la parole ici même), François Verdier s’est évertué à créer de toutes pièces la possibilité d’une action contre un État autoritaire qui foulait aux pieds les valeurs de la République.

Fin 1941-début 1942, la rencontre avec le mouvement Libération qui commençait à essaimer en zone sud fut décisive. Liberté, Égalité, Fraternité diffusait déjà la feuille clandestine Libération dont les accents nettement républicains lui avaient tout de suite plu. Se fondre dans Libération, c’était le moyen pour le groupe toulousain d’élargir son action en bénéficiant d’un soutien de poids.

Le colonel Bonneau fut jusqu’en novembre 1942 le chef de cette région baptisée « Rose » par Libération. Pierre Hervé le remplaça avant de regagner Lyon en avril 1943 pour devenir secrétaire général des Mouvements Unis de Résistance, les M.U.R. Les trois principaux mouvements de résistance non communiste de zone sud (Combat, Franc-Tireur et Libération) avaient, en effet, fusionné fin janvier 1943. Il fallait installer dans chaque région un directoire des MUR ce qui n’était pas une mince affaire. Jacques Dhont issu de Combat fut désigné chef régional des M.U.R. pour la région R 4 (nouvelle dénomination de l’ancienne région Rose). La greffe ne prit pas et, en juin 1943, François Verdier, Forain, le remplaça.

Sans entrer dans le détail, ces changements successifs révèlent les tensions qui secouaient la résistance dans la région toulousaine. Ces tensions s’expliquaient par le fait qu’il fallait au jour le jour prendre des décisions graves sans être en mesure d’en discuter calmement au grand jour. C’est ici que François Verdier joua un rôle déterminant. Pour être reconnu chef régional des MUR, pour unifier vraiment la Résistance, il fallait une antériorité, une autorité et une légitimité incontestables. Or, François Verdier apparut le mieux placé pour fédérer les énergies qui se déployaient à Toulouse, en Haute-Garonne et dans les autres départements de la région. Il démontra sa capacité à agréger des syndicalistes, des socialistes, des chrétiens, des francs-maçons. Le Mouvement s’enracina ainsi profondément dans le terreau toulousain. Il y gagna une représentativité et une forte influence. D’autant qu’un groupe actif organisé sous l’autorité de Jean-Pierre Vernant vint s’adjoindre au noyau toulousain.

            François Verdier incarnait la Résistance ancrée dans un territoire avec toutes les solidarités et capacités d’action que cela impliquait. Il n’a pas été seul de son espèce. Dans les Hautes-Pyrénées, André Fourcade présentait un profil analogue. Marié, père de deux enfants, il était à 34 ans, en 1939, technicien à l’usine Hispano-Suiza de Tarbes. Il était par ailleurs secrétaire fédéral de la S.F.I.O. et secrétaire général de l’Union départementale des syndicats des Hautes-Pyrénées. Chef de Libération, puis des MUR pour les Hautes-Pyrénées, il devint (sous le pseudonyme de Vergnaud) chef régional des MUR à Limoges fin mai 1943 en remplacement d’Armand Dutreix. Arrêté le 2 juin 1944 par les Allemands dans le train Toulouse-Limoges, interné à la prison Saint-Michel, André Fourcade fut longuement torturé avant d’être fusillé et brûlé dans la forêt de Buzet-sur-Tarn le 17 août 1944. Désigné comme commissaire régional de la République à Limoges en décembre 1943, il fut donc, comme François Verdier, assassiné avant d’avoir pu entrer en fonction. André Fourcade et François Verdier, ces deux commissaires régionaux de la République issus des rangs de la région Rose de Libération, s’inscrivaient dans le droit fil de la plus pure tradition politique de gauche du midi toulousain.

J’ai mentionné le nom de Dutreix. Il était le chef régional de Libération de la région Émaux, c’est-à-dire la région R5. Né en 1899, Armand Dutreix, pseudonyme Verneuil, marié, père de deux enfants, avait une petite entreprise d’électricité. Militant socialiste éprouvé, il était de surcroît membre de la loge maçonnique du Grand Orient de France de Limoges : « Les Artistes Réunis ». Il fut l’unique chef régional du Mouvement jusqu’à son arrestation, le 17 avril 1943 à son domicile. Il fut fusillé au Mont Valérien le 2 octobre 1943.

            François Verdier, André Fourcade, Armand Dutreix, tous trois pionniers de la Résistance, tous trois arrêtés, mutiques sous la torture et assassinés, avaient des responsabilités qui auraient pu les dissuader de s’engager dans un combat qu’ils savaient périlleux. Mais ils avaient aussi de fortes convictions, attestées par les engagements politiques, syndicaux ou maçonniques qu’ils avaient contractés. Leur solide implantation régionale, leur aptitude à jeter des passerelles entre des milieux différents qui ne se parlaient pas volontiers, entre des courants idéologiques concurrents, voire opposés, tout cela a été décisif dans l’éclosion d’une Résistance puissante. Les risques qu’ils ont pris étaient décuplés du fait qu’ils n’étaient pas des clandestins à part entière. Ils menaient une vie publique et avaient pignon sur rue tout en étant au centre de la toile d’araignée clandestine. Ils étaient de ce fait particulièrement exposés et le savaient parfaitement. Il n’est que de lire Jean Cassou qui, dans La mémoire courte en 1953, évoquait ses morts à lui, ceux qui l’accompagnaient, et parmi ces êtres chers « François Verdier, dit Forain, chef régional de Toulouse, qui dans sa belle villa, au milieu de ses livres et de ses œuvres d’art, disait plaisamment qu’il pourrait bien rester tranquille, la vie était assez belle pour lui sans besoin d’aller chercher toutes ces histoires… »

            Comme ses camarades, François Verdier a laissé sa vie dans ce combat après avoir enduré des souffrances inimaginables. Ce qui pose une question que Jean Paulhan, dissimulé sous le pseudonyme de Juste, abordait dans le numéro 3 des Cahiers de la Libération, revue de prestige de Libération-Sud, en février 1944, au lendemain même de l’assassinat de François Verdier. Cette interrogation taraudait les résistants et constitue pour celles et ceux qui sont ici aujourd’hui une sorte d’énigme en même temps qu’une source de vive admiration. Comment, quand on aspire passionnément à vivre, peut-on mettre sa vie en jeu en connaissance de cause au nom de valeurs qu’on chérit ? Évoquant « la douleur d’un temps où nous apprenons chaque mois la mort de quelque ami », Paulhan répondait en ces termes : « L’un tenait le maquis, on a retrouvé son corps, dans un champ, déjà gonflé. Un autre faisait des tracts, un autre encore transmettait des notes : ils ont été troués de balles, quand ils chantaient. D’autres ont souffert, avant la mort, des tortures qui passent en horreur les souffrances du cancéreux et du tétanique.

Et je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de chose. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois mal composé). À ceux-là il faut répondre :

C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement des doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui, c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles.”

            Je ne peux clore mon propos sans soulever une autre question qui nous intéresse, nous qui avons choisi ce jour de prendre le chemin de la forêt de Bouconne. Quelle est la raison d’être d’une commémoration comme celle qui a lieu ce 28 janvier 2024 ? D’aucuns doutent de l’utilité de telles cérémonies. Ce n’est pas mon cas parce que je fais miens ces mots de Vladimir Jankélévitch :

« Si nous cessions d’y penser, ils seraient définitivement anéantis et nous achèverions de les exterminer. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité. »

 

Discours de Florence Aubenas, Journaliste Grand reporter et écrivaine

Vidéo de l’allocution de Florence Aubenas

IMG_5142

Chers Amis,

Je dois vous dire d’abord mon émotion de prendre la parole devant vous et je mesure l’honneur qui m’est fait de le faire devant ce mémorial pour parler de François Verdier, sur le lieu même de son assassinat. Vous tous qui êtes ici, vous le connaissez sans doute bien que moi. Famille, amis vous savez son intimité, vous savez sa profondeur et vous avez su raconter l’homme à travers les années. Spécialistes et historiens, vous avez décrit le résistant, le franc-maçon. Vous avez parlé de son engagement et celui de son réseau, Libération-Sud. Dans la clandestinité, on écrivait peu, on effaçait toutes traces. Et comment pourrait-il en être autrement à ces heure-là où chaque mot pouvait signifier une condamnation à mort.

Grâce à vos soins à enquêter, à raconter cette vie, à raconter ces faits, cela revêt aujourd’hui une importance presque religieuse. Oui c’est grâce à vous que l’histoire et la mémoire nous reste 80 ans plus tard.

Je me souviens d’un reportage réalisé voilà quelques années dans un lycée de France, pour savoir quelles images gardaient les jeunes gens aujourd’hui des résistants d’hier. Tous ou presque ont fait le même portrait : qui étaient-ils ? l’image était à peu près celle de Che Guevara. C’étaient des jeunes gens romantiques, portant armes avec des t-shirt moulants, et ce type de figure. Aucun ne voulait croire par exemple que Jean Moulin avait pu être préfet. Sachant que je serai aujourd’hui parmi vous, j’ai voulu faire à peu près le même sondage et je suis allée dans un lycée. J’ai parlé de François Verdier. Là encore, cette semaine, j’ai obtenu les mêmes réponses et les mêmes images. Rarement on m’a dit, en découvrant le visage de François Verdier sur une photo, c’était lui le résistant ? oui c’était lui. Les résistants de la première heure ne faisaient ni politique ni exercice de style. Ils pouvaient diriger une entreprise de machines agricoles, siéger dans un tribunal de commerce, porter cravate et légère calvitie plutôt que treillis et béret. Car c’est peut-être cela le mystère d’un engagement qui nous sidère aujourd’hui, tant de décennies plus tard. De quelle pâte humaine étaient-ils faits ceux-là qui ont tout abandonné pour s’engager au moment où un pays entier s’effondrait ? Quelle foi fallait-il avoir pour y croire, pour penser que la Résistance allait gagner alors que tout semblait prédire le contraire. De même, quelles forces les portaient pour être convaincus que la défaite et l’humiliation générale ne dureraient pas toujours. Pensaient-ils aussi, comme ma grand-mère qui habitait tout près d’ici dans un village à trente kilomètres de Toulouse, que le nom du général De Gaulle qui les appelait à résister et à continuer la guerre, ne pouvait être qu’un pseudonyme. C’était trop beau pour être vrai. Se sont-ils eux-mêmes poser ces questions ?

Je voudrai ici rendre un hommage tout particulier à Jeanne Verdier et pas simplement parce qu’elle était une des dernières destinataires, avec toute sa famille, des derniers mots de son mari, retrouvés dans ses poches et écrits, nous l’avons appris par Elérika Leroy, sur les papiers qu’ils avaient pu trouver en sortant des salles de torture, sur un morceau d’enveloppe, sur du papier à cigarette, sur du papier toilette. Il s’adressait à sa famille tout ce qu’il avait pu trouver en sortant de là. Jeanne Verdier née Lafforgue, institutrice, n’était pas seulement l’épouse à qui l’on écrit. Elle-même était résistante dans le réseau Gallia, agent de renseignement. Arrêtée quelques jours après son mari, elle a été déportée dans un camp pour femmes à Ravensbrück. Libérée en 1945, elle fut élue maire et a dirigé la Fédération des déportés. Qu’elle soit saluée ici, femme de l’ombre, sortant de l’ombre.

Il me faut aussi parler de vous, vous qui êtes ici, sans autre lien avec François Verdier que votre seule conviction qu’il n’est de meilleur endroit, ce dimanche matin, que de vous rassembler ici pour parler de lui. C’est le seul moment où devant cette stèle, modeste et immense, dans une forêt de France, nous commémorons la Résistance. Votre présence ici, renouvelée d’année en année, de génération en génération, comme un témoin qu’on se passe, en a fait un endroit unique, loin de ce petit rassemblement du lendemain de la Libération de Toulouse où quelques amis sortant d’un café et allant visser une plaque célébrant François Verdier à la place du maréchal Pétain. Ici notre engagement est là essentiel comme il l’était hier. Et en vous regardant l’un après l’autre, l’une après l’autre, je vois dans chacun de vous le visage vivant de François et Jeanne Verdier. Merci à vous de m’avoir conviée dans votre chaîne humaine en ces temps où la paix en Europe paraît à nouveau si fragile.

Je me tourne ici vers un monument qui n’est pas un monument aux morts mais celui des vivants. Merci à vous tous.

Interprétation de l’Affiche Rouge par Sarah Lugassy

Vidéo de Sarah Lugassy chantant en forêt

sarah

IMG_5116

Les élèves ont clôturé la cérémonie en accompagnant les représentants officiels déposer les gerbes au pied du monument honorant François Verdier. A chaque fois, ils ont laissé un carnet et une fleur en mémoire du petit journal carcéral qui fut retrouvé sur le corps de François Verdier le 27 janvier 1944.

20240128_115232

fin

IMG_20240128_094152_resized_20240129_081538762

Portrait réalisé par Matt2 SteetArt

20240128_121938

Un buste de François Verdier, 75 ans après

IMG_20190821_111541
Par défaut

Le 19 août 2019, la ville de Toulouse a rendu un hommage particulier à François Verdier.

IMG_20190821_111806

Le choix de l’emplacement est important: les allées Forain – François Verdier

Dans l’effervescence de la Libération, ses quelques amis ont choisi de débaptiser les allées Saint-Étienne du nom de leur ami disparu. Ces mêmes allées qui avaient vu passer ces innombrables défilés du régime de Vichy,  entre les visites du maréchal Pétain, en 1940 et 1942, les chars et les soldats de la Wehrmacht, les démonstrations des légionnaires puis des francs-gardes de la milice en 1943…

verdier françois rueSans les amis de François Verdier, en particulier Pierre Dumas et Claudius Dupont, nul n’aurait su que Forain avait sacrifié sa vie pour préparer ce qui se réalisait en ce mois

 

d’août 1944.

Puis le Mémorial Forain François Verdier a été créé en 1945 et perpétue encore aujourd’hui la transmission du souvenir de François Verdier et de ses combats. Grâce aux engagements de Louis-Marie Raymondis puis de Georges Méric, les collégiens sont régulièrement associés à cette cérémonie si particulière en forêt de Bouconne.

IMG_20190821_111718

75 ans plus tard, la mémoire de Forain est toujours honorée. Mais pour notre association, il fallait impérativement que ses combats, ses valeurs et ses convictions soient rappelés, inscrits dans le bronze, indissociables de l’humaniste qu’était Verdier.

 

« Les jours heureux » du programme du Conseil National de la Résistance

Démocratie la plus large

Pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression

Respect de la personne humaine

Égalité absolue de tous les citoyens devant la loi

Démocratie économique et sociale

Subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général

Droit au travail et droit au repos

Garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité

Garantie du pouvoir d’achat national

Syndicalisme indépendant

Plan complet de sécurité sociale

Sécurité de l’emploi

Élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre

Facilité d’accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes

Retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours

Extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales.

Possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée…

 

IMG_20190821_111630

 

75 ans après sa disparition, il fallait qu’il apparaisse de la plus belle façon pour incarner les valeurs que nous voulons voir vivre encore et pour que la génération montante le reconnaisse ou le découvre. Merci à tous ceux qui ont rendu cette incarnation possible et merci à l’artiste pour le saut créatif du livre ouvert sur les épaules de François Verdier !

 

Retour en vidéo sur les allocutions prononcées lors de la cérémonie:

Discours d’Alain Verdier

IMG_8746

Discours de Sébastien Langloÿs, sculpteur

IMG_8748

Discours du Maire

 

Réalisation des vidéos: D.S.A.L. https://dsal.jimdo.com

 

IMG_20190821_111903

 

 

Mémoire: Cérémonie 2018

P1140578
Par défaut

De Forain et de l’armée des ombres, au milieu de mille enseignements, il en est un qui émerge comme un phare: le courage. Il n’est pas le seul, mais son feu semble ne jamais s’estomper.

Arrêtons-nous un instant sur cet objet étrange, le courage, dont Aristote disait qu’il est la première des qualités humaines, car elle garantit toutes les autres.

Pascal Nakache

P1140563P1140664

La 73ème cérémonie en forêt de Bouconne a eu lieu dimanche 28 janvier 2018 devant le Mémorial dédié à François Verdier.

Les élèves du collège François Verdier de Lézat-sur-Lèze, ville natale de François Verdier en Ariège, ont fait résonner les paroles d’une chanson écrite pour le chef des Mouvements unis de Résistance. Violon, accordéon, flûte, guitare, batterie et piano ont rompu le silence de la forêt sur les airs de Bella Ciao et du Temps des Cerises. Très émouvant.

Le discours de ¨Pascal Nakache, représentant la Ligue des droits de l’homme, a fait retentir avec force et conviction des mots justes, percutants et essentiels autour d’une seule notion, capitale hier comme aujourd’hui: le courage.

P1140643

 

La cérémonie en vidéo:

Intervention d’Alain Verdier : https://youtu.be/gB2ko_dMgMs

Intervention du collège de Lézat: https://youtu.be/xz8sY_PA-3M

Intervention de Pascal Nakache: https://youtu.be/C-FPC9aKdeE

Reportage de France 3: https://youtu.be/FmfGSSsc158

 


 

 

Chanson écrite par les élèves du Collège François Verdier de Lézat-sur-Lèze

 

P1140655Mes chers enfants,

Mes bien-aimés,

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Mes chers enfants,Mes bien-aimés,

Je ne vous reverrai jamais.

J’ai longtemps lutté

Pour la liberté

Ma belle ciao, ma belle ciao,P1140576

Ma belle ciao ciao ciao

J’ai longtemps lutté

Pour la liberté

Pour la justice et la fraternité

 

P1140587Mon identité

Je leur avais cachée

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Mon identité

Je leur avais cachée

La résistance j’ai organisée

 

Un jour ils sont entrés

Dans notre foyerP1140599

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Un jour ils sont entrés

Dans notre foyer

Et c’est là qu’ils m’ont arrêté

 

P1140601Ils m’ont torturé

Ils m’ont assassiné

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Ils m’ont torturé

Ils m’ont assassiné

Car je refusais de parler

 

P1140602Ils m’ont traîné

Dans cette forêt

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Ils m’ont traîné

Dans cette forêt

Mon image ils ont dégradée

P1140608Ils ont tenté

De m’effacer

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Ils ont tenté

De m’effacer

De mon visage ils m’ont privé

 

P1140621Histoire remémorée

Visage restitué

Ma belle ciao, ma belle ciao,

Ma belle ciao ciao ciao

Histoire remémorée

Visage restitué

Dans vos mémoires vous me garderezP1140678

P1140673

 


Courage


Discours de Pascal Nakache, Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme

 

A Forain François Verdier

Dimanche 28 janvier 2018, Forêt de Bouconne

 

Les feuilles craquent-elles sous ses pas, dans le froid matin de janvier ? Marche-t-il encore, ou bien est-il porté ? Entend-il encore quelque chose des feuilles brisées ou du pas lourd des bottes ? Peut-il encore parler ? Peut-il encore murmurer ou hurler : « Je vais tout vous dire ! », et, face au néant qui s’avance, tremblant de tout son corps, lâcher des noms et en envoyer d’autres à la mort ?

De Forain et de l’armée des ombres, au milieu de mille enseignements, il en est un qui émerge comme un phare : le courage. Il n’est pas le seul, mais son feu semble ne jamais s’estomper.

Lequel, parmi nous, ne s’est jamais posé cette question : qu’aurais-je fait ? S’ils étaient venus me cueillir, un sale matin, avec leurs sales gueules, s’ils m’avaient donné des ordres secs, s’ils m’avaient poussé jusqu’à leur berline à la pointe glacée de leurs armes, s’ils m’avaient jeté au fond d’une geôle putride, s’ils étaient venus m’y chercher, froids comme la mort, s’ils m’avaient attaché, ligoté, torturé jusqu’à la moelle, qu’aurais-je fait, que ferais-je ? Ces questions, nous le savons, n’appellent qu’une seule réponse : je l’ignore. Je ne peux le savoir. Je ne le saurai jamais. Et j’espère bien ne jamais le savoir. Parce que je ne pourrais le savoir que le jour où ils viendraient vraiment me cueillir.

Mais, puisque nous devons à Forain et à ses sœurs et ses frères en courage d’être là, puisque nous leur devons d’être libres, tentons un instant de nous arrêter et, s’il est impossible de savoir ce que nous ferions, tentons de dire au moins ce que nous voudrions avoir la force de faire, si jamais, par malheur…

Tous ceux qui viennent en forêt de Bouconne, par ces dimanches de janvier, savent ce qu’ils voudraient pouvoir faire. Ils voudraient faire comme ces héros, comme on les appelle, tant reste béante notre incompréhension, quand eux, lorsqu’ils peuvent parler, ne cessent de dire qu’ils ne sont pas des héros, qu’ils ne sont que des hommes ordinaires, qu’ils n’ont fait que leur devoir, qu’ils ne sont pas posé de question, bien souvent.

Et puisque nous voudrions avoir leur force et leur courage, arrêtons-nous un instant sur cet objet étrange, le courage, dont Aristote disait qu’il est la première des qualités humaines, car elle garantit toutes les autres. Scrutons, l’espace d’un moment, cet objet mystérieux qui nous laisse désemparés.

Le courage des derniers instants est incompréhensible, inaccessible, inconcevable. Comment peut-on, dans les pires souffrances, lorsque l’on n’est plus qu’une plaie à vif, lorsque se pointe le canon des armes, lorsque l’on sent le souffle glacé de la mort, demeurer guidé par le sens de l’honneur, la fidélité, l’humanité ? Bienheureux ceux qui n’auront jamais la réponse à ces questions, et qui pourront se contenter d’y songer quelques dimanches de janvier, en forêt de Bouconne. Mais cet étincelant courage des derniers instants, dont le feu nous aveugle encore 74 ans plus tard, ne surgit pas du néant. Il ne naît pas dans les geôles, sous la torture. Sa naissance précède ces moments. Le courage a une vie. Cette vie du courage a seulement cela d’étrange qu’elle semble ne finir jamais, et qu’au moment même où l’homme meurt, le courage, lui, est à l’apogée de sa vie, il brille de mille feux qui plus jamais ne s’éteindront.

Mais avant qu’il ne brille ainsi, avec la mort de l’homme, le courage naît et grandit. Quand naît-il, je l’ignore. Peut-être chaque homme naît-il avec sa provision de courage, sans doute ce panier se remplit-il plus ou moins en fonction des circonstances de la vie. Nous sommes inégaux, là aussi, face à la distribution du courage. Mais une chose est certaine, c’est que le courage se travaille. Et qu’un lâche qui s’arrache à lui-même éprouvera bien mieux son courage qu’un courageux content de lui, de son sort, et que rien ne révolte. « Le courage, dit Malraux, est une chose qui s’organise, qui vit et qui meurt, qu’il faut entretenir comme les fusils ».

Le courage des résistants commence de prendre corps le jour où, par leurs actes, ils disent non. Il persiste seulement, il grandit, plus tard, lorsque, face au danger naissant, ils entrent en effet en résistance, lorsque des femmes et des hommes surmontent leur peur et demeurent pleinement fidèles aux valeurs humanistes, lors même qu’ils savent ce qu’il peut leur en coûter. Car, « le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre. » (Nelson Mandela). Là où il n’y a pas de peur, il n’y a pas de courage, tout juste de la témérité, de l’inconscience ou de la folie. Ce n’est pas la témérité, le courage, ce n’est pas l’audace, l’intrépidité ou l’insouciance. C’est d’abord et avant tout l’âme forte et la tête froide de celui qui, ayant tout bien pesé et surmontant sa peur, décide d’affronter le danger.

Pourtant, c’est encore en amont de ce moment que le courage des résistants prend corps, bien avant l’affrontement héroïque du danger. Lorsque, entendant monter le sourd grognement de la haine, lorsque voyant s’amonceler au loin les noirs nuages annonciateurs des tyrannies, des femmes et des hommes commencent à dessiner le mur du refus. Car celle qui proclame son attachement à l’homme, lorsqu’elle sait qu’elle y risque sa vie, celui qui soudain semble mettre sa vie en bascule, lorsque paraît la bête immonde, ceux-là n’étaient que rarement vierges de tout combat, de toute résistance antérieure. Ils avaient, pour ainsi dire, la résistance chevillée au corps, même en temps de paix, même avant le bruit des bottes. Le courage n’est pas un surgissement impromptu, qui claquerait comme un coup de tonnerre dans un ciel lumineux.

Le courage n’est pas venu à Forain en 1943 ou 1944, ni même après le déclenchement de la guerre. Le courage l’habitait bien avant cela, lorsque, face à la montée de la haine, de la xénophobie, de l’antisémitisme, il a décidé, non de cultiver son humanisme dans la calme lecture des grands auteurs, mais de s’engager dans la vie de la cité : en franc-maçonnerie, en 1934, puis à la Ligue des droits de l’homme, en 1938. Lorsqu’il a considéré que certaines valeurs, et en tout premier lieu la défense de l’homme et de la République, méritaient que l’on s’y investisse, lorsqu’il a accepté de sacrifier la vie confortable du bourgeois qu’il était, pour devenir l’humaniste qu’il fut.

Souvent, les futures résistances se sont ainsi affermies dans des réunions de sections, de partis, d’associations, de syndicats, dans des débats passionnés, dans des discussions enflammées et tardives, dans le combat démocratique. C’est là que commence de se forger le courage, c’est là que se décide le chemin qui mène à la dignité.

Il faut pour cela, d’abord, accepter de penser. Car le courage qui sert l’humanité trouve sa source première dans une réflexion mûrie de longue date, fondée sur une certaine conception de la dignité humaine, et dans la conviction que celle-ci mérite que l’on se batte, que l’on s’engage, que l’on s’investisse, que l’on essaie de convaincre les hommes, que l’on combatte en toutes circonstances les atteintes portées à cette dignité.

Il faut aussi s’arracher au confort et à la tentation de faire comme les autres. Le conformisme, voilà l’ennemi. La peur de déplaire, voilà l’adversaire. La résistance des temps présents naît d’abord de la force de dire non. De dire non à la pente naturelle qui peut parfois nous pousser à accepter d’abord de petites choses inacceptables, puis de plus grandes, toujours plus grandes… La société porte naturellement à abdiquer certaines exigences. « La virilité se perd en révérences, dit Shakespeare, le courage en civilités, et les hommes ne sont plus que des parleurs. » Il faut un courage premier, et peut être le plus difficile à conquérir, à se détacher alors un peu de la masse, à faire un pas de côté, à dire non. « Il y a toujours moins de courage à emboîter le pas qu’à se détacher d’un ensemble. », écrit André Gide.

Il faut travailler, ensuite. « Le vrai courage, c’est celui de trois heures du matin », dit Napoléon Bonaparte.

Et il faut s’engager, sans doute, comme le fit Forain. Que l’on se soit enraciné dans ce combat dans les temps calmes de la paix, identifié à lui comme à quelque-chose qui nous dépasse, qu’il ait donné sens à notre vie, voilà sans doute ce qui prépare – sans jamais le promettre – au courage des temps de guerre.

N’imagine point que tu seras courageux entre les mains du bourreau, si tu n’as point éprouvé le courage, lorsque la vie te souriait. Et ne crois pas que tu prendras le maquis, demain, si aucun des égarements des temps démocratiques ne suscite chez toi la colère, la révolte, et ne te pousse à penser le monde, à te lever et à dire non. La résistance, toujours, se conjugue au présent.

Cet engagement ne se saurait confondre avec les révoltes de façade, les postures faciles, les proclamations sans conséquence. Il faut certes parfois oublier l’esprit de finesse de la politique, si nécessaire parfois, mais parfois si dangereux, lorsque les compromis se font compromission, lorsque les savantes habiletés finissent par avoir raison de l’essentiel, lorsque l’intérêt personnel finit par ensevelir l’intérêt général. Mais s’il est des questions qui ont le tranchant du oui et du non, il est difficile, parfois, de discerner l’acceptable de l’inacceptable. Le courage est de ne pas se dérober à cette épreuve jamais achevée, de toujours chercher, à la lumière de sa conscience, à discerner le bien du mal, « sans être moral et pédant ».

C’est d’accepter les compromis qu’impose la vie en société, sans jamais choir dans la compromission : « La compromission c’est la lâcheté. Le compromis, c’est le courage. », rappelle Adam Michnik. C’est peut-être dans ce difficile équilibre que réside le premier des courages, dans cette volonté jamais prise en défaut de tenir en même temps la colère sacrée contre l’injustice et le refus d’abandonner à d’autres le réel. Celui qui mourut ici, le 27 janvier 1944, rendit sans doute le plus fier service qui se puisse imaginer à la résistance, en composant pendant des mois avec toutes celles et tous ceux qui partageaient ce combat, pour les unir, pour rassembler ce qui était épars et bâtir ce mur de la liberté, en prenant la tête des Mouvements Unis de la Résistance, en juin 1943.

Forain a pensé, il s’est arraché à la masse qui suivait la voix chevrotante d’un vieillard, il a travaillé, d’arrache-pied, il s’est engagé, il a tout engagé, pour la liberté. Le reste a suivi, naturellement, simplement, héroïquement, jusqu’au fracas qui résonna ici et fit pleurer ces arbres, le 27 janvier 1944.

Arrivé au terme de cette brève exploration du pays du courage, le voyageur demeure comme frustré. Les mots sont impuissants à dire la force qui animait Forain et ses frères et sœurs en courage. Les discours ne sont que de pompeuses et prétentieuses gloses, au regard des actes humbles et simples des résistants. Étranges héros, qui, à mesure que nous tentons de les cerner, de les comprendre, pour essayer en toute humilité de rechercher le chemin sur lequel ils ont mis leurs pas, semblent se dérober, s’élever, s’envoler, enveloppés de légende et de gloire.

Alors, puisque les mots sont dérisoires, nous nous contentons, en venant ici, en forêt de Bouconne, par ces froids dimanches de janvier, d’acquitter simplement un peu de notre dette à ton endroit, Forain.

Avant que de nous en aller, nous restons là, un instant, pour dire que nous n’oublions rien de toi et des tiens. Les crapules, les salauds, les lâches, nous les rétribuons de la médaille de l’oubli. Aucune stèle, aucun monument, aucun hommage. Ils demeurent froids et laids, reclus, aux oubliettes, pour l’éternité.

Mais toi, Forain, dont le courage brille à jamais, et nous laisse immobiles et sans voix, nous ne t’oublions pas, tu restes en nous, tu nous éclaires.

Allez, enfant, écoute Virgile : « Déploie ton jeune courage, enfant ; c’est ainsi qu’on s’élève jusqu’aux astres. »

P1140630

Pascal Nakache

 

 

 

Historique de la cérémonie