Maurice Fonvieille

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Portrait officiel de Maurice Fonvieille

Maurice Fonvieille

(1896-1945)

dit Rayssac

 

 

Instituteur à Pibrac

Né à Montlaur dans une famille laïque et républicaine, Maurice Fonvieille vit une jeunesse anticonformiste. A 16 ans, s’opposant à son père, il quitte sa famille pour un long périple en Allemagne et en Russie. La Première Guerre mondiale le ramène à des heures plus sombres et c’est grièvement blessé qu’il rentre du front en 1918. Secrétaire fédéral des Jeunesses socialistes, franc-maçon, il est en 1925 le plus jeune élu du conseil municipal de Toulouse sous le mandat d’Etienne Billières. Suivant l’exemple de sa femme Adrienne, il devient instituteur. Tous deux enseignent à l’école communale de Pibrac de 1927 à 1931.

Adrienne et Maurice Fonvieille à l'école de Pibrac, 1929. DR

Adrienne et Maurice Fonvieille à l’école de Pibrac, 1929. DR

Revenu à Toulouse, Maurice Fonvieille s’engage au sein du Syndicat national des instituteurs (SNI) et participe à la création du Groupement des campeurs universitaires (GCU) qui œuvre au développement des camps de plein air autogérés lors du Front populaire. Animé par des valeurs humanistes, laïques, solidaires et conviviales, il crée la revue « Plein air et culture ».

Maurice Fonvieille au centre avec chapeau et écharpe, école du centre, Toulouse. Collection privée

Maurice Fonvieille au centre avec chapeau et écharpe, école du centre, Toulouse. Collection privée

La Résistance, l’évidence d’un engagement: Libérer et Fédérer

En 1940, il fait partie des premiers opposants au régime de Vichy qui représente tout ce que Maurice Fonvieille honnit. Il participe à la création d’un mouvement de Résistance unique en France, Libérer et Fédérer, seul mouvement créé par un étranger, l’Italien antifasciste Silvio Trentin. Il en devient l’un des responsables et multiplie les actions clandestines, de la propagande aux actions armées. En décembre 1943 et janvier 1944, il héberge à son domicile 24 aviateurs alliés en attente de passage par les Pyrénées pour le réseau d’évasion Françoise.

Une de Libérer et Fédérer, juillet 1942. Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de la Haute-GaronneUne de Libérer et Fédérer, juillet 1942. Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de la Haute-Garonne

 

Déportation

Le 4 février 1944, Maurice Fonvieille est arrêté à l’imprimerie d’Henri Lion alors qu’il vient récupérer des documents pour Libérer et Fédérer. La Gestapo, bien informée, y a tendu une souricière, arrête tout le personnel ainsi que tous ceux qui y travaillent (comme Georges Seguy) et qui s’y présentent.

Imprimerie Lion, rue Croix-Baragnon à Toulouse. DR

Imprimerie Lion, rue Croix-Baragnon à Toulouse. DR

 

En mars 1944, Maurice Fonvieille est déporté au camp de concentration de Mauthausen puis au Kommando de Gusen où il meurt en avril 1945.

 

 

 

Hommage à Maurice Fonvieille à Pibrac le 25 mars 2022: Discours de Jacqueline Fonvieille-Ferrasse, sa petite-fille

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Monsieur le Président du Conseil Départemental, Madame le Maire, Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le porte-drapeau, Mesdames, Messieurs, chers enfants…

C’est un plaisir et un honneur. Une fierté aussi bien sûr, que Maurice soit, une nouvelle fois, célébré sur ces terres qui ont tant compté pour lui, pour Adrienne et leurs fils. Ces quelques années ici ont dû être bien sereines pour que leur souvenir se soit perpétué jusqu’à nous, faisant de Pibrac son ancrage territorial, plus que son village natal de Montlaur qu’il avait fui, très jeune après un désaccord avec son père.
La disparition tragique de mon grand-père n’a pas seulement figé son image autour d’un unique portrait qui a accompagné mon enfance : le silence et la tristesse des miens ont tu les souvenirs et quand le héros prend toute la place, on oublie l’homme qui a fait le héros… Or, il résonne ici bien plus qu’ailleurs.
Sa vie a été un roman : il quitte Montlaur en 1913, brevet élémentaire en poche. Il a 16 ans à peine. Une photo découverte récemment le montre cette même année en Vendée où il a dû embarquer pour l’Allemagne puis la Russie, il revient en 14, monte au front en 16, est blessé en 18, épouse Adrienne, sa marraine de guerre, une institutrice. De toute évidence, le jeune homme aux semelles de vent a changé : sa révolte a pris la forme de ses engagements… multiples. Militant à la SFIO, franc-maçon, secrétaire général des jeunesses socialistes, plus jeune conseiller municipal de Toulouse sous le mandat d’Étienne Billères, il gagne sa vie comme représentant d’une marque de savons avant de devenir lui aussi instituteur ce qui lui offre l’opportunité de nouveaux combats : le syndicalisme et, très vite, les mouvements mutualistes auxquels le Front Populaire donne des ailes, la MAAIF et le Groupement des Campeurs Universitaires qui en émane, sorte de laboratoire de l’autogestion de ceux que l’on a appelé les Campeurs de la République. Il en sera le premier secrétaire et fondateur de la revue Plein air et culture qui existe encore aujourd’hui.
Bien avant la guerre, mon grand-père est déjà un militant, un homme engagé.

On pose souvent la question : comment devient-on résistant ? Je crois à une posture préalable liée aux valeurs que l’on porte et aux rencontres que l’on fait. Les deux inextricablement liées et menant aux engagements multiples d’une vie. Les valeurs suscitent les rencontres et celles-ci les renforcent, les étayent, leur ouvrent un champ d’action. Très jeune, Maurice a été en contact avec des instituteurs républicains laïques dans ces terres vendéennes qui ont été le creuset du mouvement mutualiste, on sait le rôle qu’ont joué les tranchées dans les échanges et la circulation des idées,puis il y a eu le Congrès de Tours et le choix assumé de rester dans le giron de la SFIO, puis 1934 et la montée des ligues factieuses, les manifestations antifascistes auxquelles il a participé…, enfin le Font Populaire et le soutien aux Républicains espagnols. Manifestement il aime l’inconfort de la lutte et la mémoire familiale a transmis le souvenir d’une candidature qu’il avait demandée dans un canton
imprenable… ce fut celui de Villefranche de Lauragais…
On connait mieux la suite : il fait partie du Comité directeur de Libérer et Fédérer, mouvement de résistance extrêmement original – le seul à n’avoir pas voulu prêter allégeance au général de Gaulle – directement rattaché aux services secrets britanniques. Leur programme est très proche de celui du CNR et antérieur. Mon grand-père est arrêté à l’imprimerie des Frères Lion où est tendue une souricière. S’en est suivi le parcours sinistrement classique des déportés : Saint-Michel, Compiègne, Mauthausen puis le camp satellite de Gusen où il meurt en avril 1945, quelques jours avant la libération du camp par les troupes américaines.
Le travail de mémoire que nous devons à nos résistants et déportés politiques me préoccupe depuis de longues années et je suis enfin parvenue à me départir d’un sentiment d’illégitimité à pouvoir l’évoquer. Nous vivons un moment charnière où les derniers témoins ont disparu et où il nous incombe de transmettre coûte que coûte – et différemment de nos parents empêtrés dans des deuils impossibles – l’histoire de leurs combats qui restent encore en grande partie les nôtres.
Jacqueline Fonvieille- Ferrasse

 

 

Mémoire

Rue Maurice FONVIEILLE

École Maurice Fonvieille de Pibrac

École Maurice Fonvieille de Pibrac

 

Panneau "Chemin de mémoire - Haute-Garonne Résistante" apposé à Pibrac le 25 mars 2022

Panneau « Chemin de mémoire – Haute-Garonne Résistante » apposé à Pibrac le 25 mars 2022

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Raymond Naves

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Le professeur Raymond Naves en 1933 Photographie P. Petremann, collection privée

Raymond Naves

(1902 – 1944)

« Grange » « Leverrier »

Docteur ès Lettres, c’est à la Sorbonne qu’il soutient sa thèse « le Gout de Voltaire » et publie une thèse complémentaire en 1939 sur Voltaire et l’Encyclopédie qui font toujours référence aujourd’hui.

Il accepte un poste dans la ville de son enfance à la Faculté de lettres de Toulouse en 1937. Ce spécialiste reconnu du Siècle des Lumières attire des foules d’étudiants et d’adultes qui se pressent dans des amphithéâtres trop petits.

Ecrivain et poète, Raymond Naves est également engagé politiquement, à la SFIO, il est pourtant hostile à la politique de non-intervention en Espagne. Engagé également au syndicat, il donne des cours à la Bourse du travail, appliquant son souci de la pédagogie simple et accessible.

 

Un enseignant humaniste

En 1939, lieutenant de réserve, il est mobilisé près de Reims et rentre bouleversé par le désordre et l’impréparation de l’armée. Il est révulsé par les attaques contre la République (il propose même de témoigner en faveur des ministres du Front populaire au procès de Rioms). Il trouve un peu d’apaisement dans ses cours sur le Siècle des Lumières auprès de ses étudiants et participe régulièrement aux réunions de la librairie du Languedoc.

Vive la liberté

En 1941, le professeur Naves soutient une revue clandestine publiée par un petit groupe d’étudiants appelé « Vive la Liberté ». Ce groupe publie une revue clandestine tirée à 300 exemplaires.Le groupe est démantelé par la police en décembre 1941, ses quatre animateurs sont arrêtés et sévèrement condamnés.

La même année 1941, Raymond Naves rejoint le Comité d’Action Socialiste (CAS) afin de rompre avec les parlementaires socialistes ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain. Il  en prend la tête au niveau régional.

Raymond Naves devient rédacteur en chef du journal du parti clandestin « le Populaire du Sud-Ouest » imprimé chez les frères Lion. En 1942, il dirige au niveau régional le réseau de renseignement Froment, en lien avec Londres. L’investissement de Raymond Naves dans la Résistance devient de plus en plus important et l’oblige à se déplacer dans toute la région. Il poursuit néanmoins ses cours à la faculté.

Avec l’aide d’Henri Docquiert, son secrétaire, Raymond Naves met en place un journal clandestin « le Populaire du Sud Ouest». Raymond Naves en donne l’esprit dans l’éditorial.

Un grand chef de la Résistance

En 1943, les responsables de la Résistance le choisissent comme futur Maire de Toulouse à la Libération. Raymond Naves travaille étroitement avec François Verdier à l’élaboration des Mouvements Unis de Résistance. Ils ont la même conception de la Résistance.

Après l’arrestation de François Verdier, en décembre 1943, Raymond Naves est convoqué à Paris où il se voit confier l’organisation militaire et la coordination des Mouvements unis de Résistance dans la région.

En janvier 1944, responsable régional de l’Armée secrète, la clandestinité devient une obligation pour lui.  Raymond Naves accepte se loger ailleurs qu’à son domicile, mais il veut terminer un cours sur Proust pour ses étudiants à l’agrégation.

Raymond Naves est arrêté le 24 février 1944 sur le chemin de la Faculté par la police allemande. Quelques jours après le démantèlement de l’imprimerie des frères Lion, l’arrestation de Raymond Naves est un coup terrible pour la Résistance toulousaine.

Après les séances de torture au siège de la Gestapo, Raymond Naves est enfermé à la prison Saint-Michel puis transféré au camp de Compiègne.

Fin avril 1944, Raymond Naves est déporté au camp d’Auschwitz (matricule 186126). Il meurt de maladie et d’épuisement une quinzaine de jours après son arrivée (vers le 11 ou 15 mai 1944).

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Raymond Naves, un humaniste en résistance par Pierre Petremann

Editions Loubatières, Toulouse, 2020.

Compte-rendu de lecture

La biographie écrite par l’historien Pierre Petremann rend non seulement hommage au parcours de résistant de Raymond Naves mais donne surtout la pleine mesure de l’homme qu’il fut. De l’intellectuel spécialiste du Siècle des Lumières et de Voltaire à ses engagements humanistes, de sa lucidité et sa franchise assumées par ses prises de positions face à la débâcle de 1940 et lors du procès de Riom, cet homme politique et syndicaliste avait par-dessus tout la vocation de l’enseignement. C’est cette vocation qui sera à l’origine de son arrestation par la police allemande le 24 février 1944, alors que chef régional de l’Armée secrète en R4 (région Midi Pyrénées élargie au Lot et Garonne), il se rend à la faculté de lettres de Toulouse pour assurer son cours sur Marcel Proust à destination des étudiants candidats à l’agrégation. Les dernières opérations menées par les nazis contre la Résistance auraient dû lui faire prendre le chemin d’une totale clandestinité, mais la mission de Raymond Naves fut la plus importante.

Raymond Naves est né à Paris en 1902, où son père, François, avait été nommé à un poste de rédacteur au ministère des Finances. Cependant, le berceau familial des Naves se trouve en Haute-Garonne, à Poucharramet, petit village près de Muret. La famille de Raymond Naves appartenait à l’aristocratie rurale, propriétaires ou cultivateurs depuis le XVIIIème siècle. Son grand-père, Jean-Baptiste Naves, républicain, fut un opposant au régime du Second Empire.

Raymond Naves vit donc sa prime enfance à Paris, boulevard Saint-Germain, loin de ce monde rural auquel il accordera une grande importance dans sa vie d’adulte. Son père est muté à Bordeaux en 1911, ville dans laquelle il effectua l’essentiel de sa scolarité. Raymond se retrouve seul avec sa mère, Jeanne, puisqu’en 1914 François Naves, alors âgé de 48 ans, s’engage volontairement. Son père revient en 1917, profondément marqué par les conditions de la guerre, particulièrement meurtri à tel point qu’il demande sa mise à la retraite. La famille quitte Bordeaux pour Toulouse où Raymond intègre le lycée Fermat pour une première littéraire. C’est un élève brillant qui réussit avec brio le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris. Il obtint l’agrégation de lettres en 1923, à l’âge de 21 ans. Après son service militaire, il épouse en 1924 Marie Valette, enseignante originaire de Marseillan dans l’Hérault. Raymond Naves commence sa carrière d’enseignant au lycée de Carcassonne où il souhaitait s’installer. L’académie décide néanmoins de l’envoyer dans le Nord de la France, à Douai. Finalement, Raymond Naves obtient un poste un an plus tard au lycée de Montpellier, où naît son fils Francis en 1926, puis l’année suivante à Béziers, au lycée Henri IV. Ses parents, François et Jeanne, s’installent à leur tour à Béziers. Les quatre années que Raymond Naves passent à Béziers marquent son parcours politique et syndical, ainsi que littéraire puisque c’est là qu’il entreprend un long travail sur Voltaire. En 1928, Raymond Naves est nommé à Paris, puis il est envoyé à Marseille avant de revenir à Paris en 1933. En 1937, Raymond Naves soutient brillamment sa thèse de doctorat « le goût de Voltaire » qui change radicalement le regard porté jusqu’alors sur Voltaire (Pierre Petremann développe longuement l’importance de Voltaire pour Raymond Naves et ce que fut pour lui « la passion des Lumières » dans le chapitre 4). La même année il est nommé au Lycée Louis-le-Grand puis obtient finalement un poste les mois suivants à la faculté de lettres de Toulouse. Ses années de pérégrination sont marquées par une forte production littéraire, dont de nombreux ouvrages pédagogiques pour des étudiants en lettres. Jusqu’à la fin de sa courte vie, même aux heures les plus noires, Raymond Naves n’aura de cesse d’écrire.

Parallèlement à sa vie d’enseignant, Raymond Naves s’engage politiquement et syndicalement.

Dès son entrée à l’Ecole Normale Supérieure, il rejoint le syndicat des membres de l’enseignement secondaire et supérieur, affilié à la CGT dite confédérée, fondé par Ludovic Zoretti en 1923. C’était un choix rare par les enseignants du secondaire qui majoritairement adhéraient à la Fédération  des membres de l’enseignement laïc. Ce choix correspondait à son engagement socialiste qui lui permit de travailler à la question de la réforme de l’enseignement. Raymond Naves fut un militant actif et exerça des responsabilités comme secrétaire de la section de l’Hérault fondée en 1927. Ses interventions furent marquées par son engagement profond pour la défense des « catégories inférieures » et sa vision syndicale était empreinte de justice sociale. Devenu professeur d’université, il poursuivit son militantisme au syndicat de l’enseignement supérieur de la CGT. A Toulouse, il fut très proche du secrétaire de l’Union régionale, Julien Forgues. A la Bourse du travail, Raymond Naves aura une activité capitale dans les Collèges du travail, créés en 1933, militant de la première heure pour l’éducation ouvrière. Raymond Naves donna ses premiers cours en 1938 et enseigna également par la suite le français aux réfugiés espagnols.

En 1936, Raymond Naves s’engage pour la défense de la République espagnole et refuse la politique de non intervention. Fidèle à la conception d’un syndicalisme de défense des travailleurs et attaché aux acquis du Front populaire, Raymond Naves participe aux manifestations de novembre 1938 contre les décrets-lois Daladier responsables selon lui de l’injustice sociale.

Raymond Naves fut un socialiste convaincu « mais ne fut jamais un homme d’appareil ». Cet engagement fut d’abord un héritage familial avec la personnalité de François, son père, militant SFIO. Le socialisme était pour lui un idéal et non un objectif de carrière. C’est dans l’Hérault que Raymond Naves exerça les responsabilités les plus importantes. Il fut l’un des éditorialistes du journal « le Cri socialiste du Midi » à partir de 1930. Ce journal hebdomadaire avait été fondé par son père François et par Fernand Roucayrol. Ce journal socialiste souhaitait défendre l’aile gauche de la SFIO dans l’Hérault. Raymond Naves y animait des rubriques intitulées « A cri et à cran » ou « Mots d’ordre », il y dénonçait le « gouvernement des affairistes » et y défendait le socialisme face au capitalisme et au nationalisme.

Raymond Naves consacra de nombreux articles aux questions sociales, notamment à propos de la loi sur les assurances sociales et défendait l’outil d’émancipation des ouvriers qu’était le syndicalisme. Il se positionnait également sur les questions internationales et prit fortement position au moment de la Guerre d’Espagne en dénonçant la politique de non intervention. S’il était convaincu qu’il fallait préserver la paix, il était tout à fait conscient des risques réels de guerre. Il ne glorifia pas les accords de Munich et faisait partie de ceux qui refusaient toute concession à Hitler afin de préserver la paix. S’inscrivant dans l’héritage de Jean Jaurès, dans son pacifisme, il dénonçait les propositions de surarmement et la politique des pactes qui risquait de mener à la guerre. A Toulouse, Raymond Naves exprimait régulièrement sa pensée, proche de la tendance Paul Faure, dans le journal « Midi Socialiste ». Il y dénonçait la complicité des régimes démocratiques envers l’Italie et l’Allemagne mais aussi l’Union soviétique, les responsabilités du système capitaliste (notamment la vente des matières premières aux dictatures). La lucidité est au cœur de son propos et son dernier article, à la veille de la guerre s’intitule « Restons lucides » (22 aout 1939) pointant le manque d’union des démocraties face aux menaces des dictatures et rappelait que face à la guerre, le seul chemin était « le devoir socialiste ».

Quelques jours après le décès de son père, Raymond Naves fut mobilisé le 2 septembre 1939 comme capitaine de réserve. Il fut affecté au service militaire des chemins de fer de la région Est et chargé d’affecter le matériel dans le secteur de Reims. Subissant l’ambiance pesante de la « drôle de guerre » dans un monde d’officiers il fit part de ses impressions dans un texte envoyé au « Midi Socialiste » en février 1940, article intitulé « Rayons et ombres », qui fut censuré. Il avait espoir qu’un projet international de paix puisse se mettre en place à l’issue de cette guerre sans combat. Ce n’est que bien plus tard, en février 1942, que Raymond Naves put faire part de ses impressions. Il écrivit une longue lettre à Pierre Caous, président de la Cour de justice de Riom qui jugeait Léon Blum, Édouard Daladier et Paul Reynaud. Dans cette lettre il rappelle la responsabilité des chefs militaires dans la défaite, celle de l’Etat-major qui se comportait comme dans une guerre de position, et le désordre total qui en a découlé. Raymond Naves dénonce « la puérilité ahurissante des ordres reçus par les troupes qui montaient au combat ». Enfin il regrettait pour avoir vécu les officiers, cette façon de d’avantage s’intéresser au politique qu’aux stratégies militaires, « toujours pour faire le procès du régime républicain, avec l’espoir que la guerre aboutirait au moins à la liquidation de la démocratie et du socialisme. »

Raymond Naves rentre à Toulouse fin juillet 1940, profondément marqué par la guerre et la débâcle. Il fut rapidement confronté au ralliement de ses anciens camarades au régime de Vichy, et parmi eux deux de ses proches, Fernand Roucayrol et Ludovic Zoretti. Ce dernier fut chargé par Marcel Déat de recruter d’anciens camarades du syndicat des enseignants pour le RNP (Rassemblement National Populaire) et sollicita Raymond Naves en juin 1941. Raymond Naves lui répondit immédiatement en soulignant sa « profonde tristesse » et tentait de le convaincre de la nocivité du régime. Raymond Naves y affirmait son optimisme, ne doutant pas de la chute des régimes totalitaires et en appelait à Jean Jaurès pour condamner « les impérialismes et antagonismes de races ». Il concluait sa lettre en précisant qu’il serait toujours du côté de  « l’humanité qui crie au secours », « il peut m’être difficile encore, sinon impossible de lui lancer un cordage ; en tout cas je refuse de l’accabler d’un coup d’aviron ».

Ce fut à l’université que Raymond Naves prit ses premières marques dans la Résistance auprès de certains de ses collègues mais aussi de ses étudiants. En mai 1941, une revue clandestine est créée par quelques étudiants qui s’intitulait « Vive la liberté ». Imprimée à quelques centaines d’exemplaires, cette revue d’une vingtaine de pages se voulait un « cahier libre d’information et d’action politique rédigé par des hommes libres. » Les professeurs Georges Canguilhem et Maurice Dide y participèrent, ainsi que Raymond Naves qui fut le seul à signer son article ! Il y précisait sa pensée et ses objectifs, « il y a des hommes de valeur à éclairer et à conquérir. » Pour lui la cohésion sociale devait reposer sur deux piliers, une pensée laïque et républicaine, « laïque sans anticléricalisme grossier et persécuteur et républicaine en donnant une possibilité de contrôle du peuple sur ses dirigeants. » Les fondateurs de « Vive la Liberté » furent arrêtés en décembre 1941 et lourdement condamnés en mars 1942.

La conviction européiste de Raymond Naves, partagée par de nombreux intellectuels à Toulouse, l’avait fait rejoindre le cercle de Silvio Trentin, convaincu que l’union des nations était une chance pour retrouver la liberté et la paix. Raymond Naves et Silvio Trentin partageaient les mêmes idées autour de l’universalisme. La librairie de Silvio Trentin fut selon les termes de Jean-Pierre Vernant un « laboratoire d’idées » et en fait, le véritable nid de la Résistance toulousaine. C’est dans cette librairie que fut créé le premier réseau de résistance par Jean Cassou et Pierre Bertaux, ainsi qu’un peu plus tard le mouvement « Libérer et fédérer ». Raymond Naves n’y participe pas, convaincu de la nécessité de créer un parti socialiste avec des hommes neufs. Il rejoint la démarche entreprise par Daniel Mayer et Eugène Thomas en juin 1941. Le CAS (Comité d’Action socialiste) fut structuré à Toulouse dans la pharmacie de son camarade Pierre Bourthoumieux en septembre 1942. L’étudiant Henri Docquiet devint la « doublure » de Raymond Naves désigné responsable régional sous le pseudonyme de « Grange ». Son siège, la « Centrale » est installé en centre ville dans les locaux de la Maison de la Mutualité où exerçait Léon Achiary. Les principales activités se concentraient autour de la propagande et du renseignement. Raymond Naves avait initié la création d’un journal clandestin, « le Populaire du Midi », imprimé chez les frères Lion.

En même temps que le CAS, fut créé l’antenne toulousaine du réseau Brutus, réseau de renseignement en lien avec la France Libre créé en 1940 par le colonel Fourcaud et André Boyer. La majorité des membres étaient socialistes. Les contacts radio avec Londres se faisaient depuis le local de la « Centrale ». En juillet 1943, le chef régional du réseau fut arrêté. Craignant que ce dernier ne parle sous les coups, le réseau réussit à le faire évader de la prison Saint-Michel (chose exceptionnelle sous l’Occupation). Le réseau connut de nombreux coups durs, notamment en octobre 1943. A la suite d’une trahison (un opérateur radio du réseau accepta de collaborer avec la police allemande), des résistants furent arrêtés et la « Centrale » perquisitionnée. L’un des agents du réseau, Lucien Béret fut effroyablement interrogé et mourut sous la torture. C’est un choc pour les résistants toulousains et pour Raymond Naves en particulier.

Dans le processus d’unification de la Résistance, Raymond Naves n’eut de cesse de militer pour inscrire les partis politiques dans la future instance préparée par Jean Moulin. Une réunion eut lieu à Toulouse, à la Bourse du travail, en juin 1942 en présence de Jean Moulin, Boris Fourcaud et Christian Pinaud. Jean Moulin ne voulait pas des groupes armés liés au CAS (Froment, Veny) au sein de l’Armée secrète. Finalement, De Gaulle, après avoir reçu Daniel Mayer à Londres, donna d’autres instructions. Raymond Naves fut chargé de l’organisation des groupes armés dans la région.  Dans les mois qui suivirent, de nouvelles arrestations déstabilisèrent l’organisation clandestine de Raymond Naves et notamment celle de Pierre Bourthoumieux en juin 1943. L’activité résistante devint intense pour Raymond Naves dirigeant à la fois du réseau Brutus et du CAS. Les réunions clandestines s’organisaient dans son bureau de la faculté. Il rencontra de grandes difficultés dans l’intégration du réseau au sein des MUR (Mouvements unis de Résistance) et des groupes Veny au sein de l’Armée secrète. Après la désignation de François Verdier à la tête des MUR à l’été 1943, l’intégration fut facilitée. Les deux hommes partageaient la même conception de la Résistance et étaient liés par une « confiante amitié ». L’intégration de son organisation militaire au sein des MUR et de l’AS se fit finalement sous le nom de France au combat. Verdier et Naves ont tous deux grandement facilité l’unification de la Résistance dans la région R4. En décembre 1943, François Verdier fut arrêté par les nazis dans une vaste opération contre la Résistance. Raymond Naves lui succéda pour coordonner l’unification militaire en R4. Il fut convoqué à Paris en janvier 1944 par Dejussieu Pontcarral, chef de l’AS en zone sud pour préfigurer la création des FFI (Forces françaises de l’Intérieur).

Raymond Naves fut arrêté le 24 février 1944 par la police allemande ainsi que tout l’état-major du CAS, de Brutus et de France au Combat. Une nouvelle fois, une trahison fut à l’origine de l’opération allemande. Raymond Naves avait accepté de quitter son domicile pour un logement clandestin mais tenait absolument à terminer son cours sur Marcel Proust auprès de ses étudiants. Il fut arrêté par deux policiers allemands sur le chemin de la faculté.

Incarcéré à la prison saint-Michel, Raymond Naves fut transféré à Compiègne le 26 mars 1944. Révélateur de la personnalité de Raymond Naves, le témoignage de son camarade Sylvain Dauriac arrêté en même que lui : au camp de Royalieu à Compiègne, Raymond Naves continua à transmettre en faisant plusieurs conférences dont une sur l’Angleterre à destination d’une loge clandestine de francs-maçons, appelée « la loge des barbelés ».

Raymond Naves fut déporté à Auschwitz-Birkenau le 27 avril 1944 dans ce qui fut appelé le « convoi des tatoués » (convoi 206). Raymond Naves arrive au camp d’extermination dans un état d’épuisement total, il est malade, atteint semble-t-il d’une angine diphtérique. La date de sa mort est incertaine, mais les témoignages de ses camarades rapportent qu’il est mort rapidement, probablement autour du 11 mai 1944.

Celui qui fut désigné dans la clandestinité pour assumer la fonction de maire de Toulouse libérée fut oublié dans les jours qui ont suivi la Libération. Aujourd’hui, une avenue et un lycée portent le nom de Raymond Naves à Toulouse. Le livre de Pierre Petremann contribue fondamentalement à réhabiliter la mémoire de cet humaniste et à nous rappeler le grand homme qu’il était.

Naves PetremannInterview de Pierre Petremann par Pierre Lasry

Mémoire

 

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Plaque à l’entrée du lycée Raymond Naves

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Vidéo de la cérémonie de dévoilement de la plaque sur la maison de Raymond Naves le 18 mars 2022

Victor Naves, petit-fils de Raymond Naves lors de l'inauguration de la plaque devant la maison de son grand-père, 130 rue Raymond Naves à Toulouse le 18 mars 2022

Le maire de Toulouse, M. Moudenc, Victor Naves, petit-fils de Raymond Naves et Pierre Petremann  lors de l’inauguration de la plaque devant la maison du résistant, 130 rue Raymond Naves à Toulouse le 18 mars 2022

 

 

logo-maitron-hover-300x169La biographie de Raymond Naves sur le site du Maitron par Pierre Petremann.


Textes: Elérika Leroy

Cérémonie du 2 février 2020

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la Résistance, au-delà des événements et des hommes et des femmes qui l’ont faite et qui l’ont parfois payé très cher, est porteuse de sens, d’un sens qui n’a rien perdu de son actualité.(…) On considérera peut-être que je sors là de mon rôle d’historien, mais on ne peut faire l’histoire de la Résistance, sans avoir une certaine idée de ce qu’est la République et de ce qu’est être citoyen dans notre République. 

Jean-Marie Guillon, historien de la Résistance

 

 

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Transmission du drapeau du Mémorial François Verdier Forain – Libération sud à un élève du lycée Françoise

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Discours du Président du Mémorial, Alain Verdier

Germaine Tillon écrivait :« On ne prépare pas l’avenir sans éclaircir le passé »

80 ans après l’appel du Gal De Gaulle, 30 ans après la chute du mur de Berlin, L’Europe se divise, se replie sur ses frontières.

Dans une ambiance, de guerre économique, d’urgence écologique, de dérèglement climatique, de pollutions de séparation Brexit oblige.

En perte de repères, en perte de valeurs, de sens moral, d’engagement, de courage

Les acquis sociaux de la Résistance, sont remis en cause,

Le programme social du CNR méthodiquement détricoté… constituant, un recul historique qui tend à priver de son sens véritable le combat du peuple français pour sa libération.

Notre société voit ressurgir au quotidien la xénophobie, l’antisémitisme, le racisme, le terrorisme, l’ignorance et le mensonge.

J’ai honte quand j’entends, et que l’on me confirme que ; 25% des étudiants n’auraient jamais entendu parler de la Shoah…

L’individualisme, la frilosité, l’autocensure, l’indifférence de chacun, laissent la place à l’ignorance à la médiocrité, au négationnisme de l’histoire.

Remettent en cause toutes nos assurances idéologiques, nos valeurs de Liberté de justice, d’ égalité, de solidarité,

.La République est en danger. Quand la démocratie devient un mot vide de sens

Ici est un lieu de mémoire….

A l’emplacement de cette stèle,  le 27 janvier 1944  fut retrouvé le corps supplicié de « Forain ». François Verdier. Franc-Maçon, Membre de la Ligue des droits de l’homme, juge au tribunal de commerce de Toulouse, citoyen fortement engagé dans la vie républicaine,

Refusant de se laisser porter par les événements, animé d’un idéal de justice , de fortes convictions d’homme libre , courageux , il n’hésite pas dès le début des événements à s’engager,  en connaissance de cause , dans la lutte clandestine… Il entre en Résistance.

Depuis quatre ans, Hitler a  précipité, le monde dans la guerre,

Quatre années de dictature, de privations, de contraintes, d’injustices, de soumission à la haine fasciste.

Rassemblés autour d’un nom devenu symbole régional de la Résistance, Forain François Verdier  nous rendons ici hommage à chacune de ces femmes, à chacun de ces hommes, qui comme « Forain », au prix de terribles sacrifices, de souffrances, trop souvent au prix de leurs vies, avec courage se sont engagés dans un combat pour que nous puissions dans un monde juste, vivre libre.

Rendre hommage à la résistance. Ce n’est pas saluer des morts, fleurir des stèles, c’est garder en mémoire leurs enseignements, c’est ne pas oublier les exemples qu’ils nous ont donnés.

Au-delà des luttes stériles, des partis, des égoïsmes, des obstinations partisanes, corporatives la Résistance nous laisse son esprit, sa force morale et fraternelle.

Au volontariat que fut celui des résistants, doit succéder un nouveau volontariat au service des valeurs de la Résistance.

Pour que le monde nouveau qui se prépare,  conserve ces droits, ces valeurs morales de liberté de justice et de solidarité, Il nous faut agir pour les défendre.

Il  faut la participation de chacun à la conduite des affaires du pays, de notre région, de notre commune,

Agir,, Défendre la  Liberté , la démocratie, les droits de l’Homme.

c’est exercer notre droit de citoyen, notre premier devoir, utiliser notre bulletin de vote.

Soyons digne de cette mémoire.

Je vais  laisser la parole à Madame Arestier  proviseure du lycée Françoise de Tournefeuille et à ses élèves,

Bien sur, hommage à Marie Louise Dissard cette femme exceptionnelle qui dirigea le plus important réseau d’évasion de la région dont Elérika Leroy a retrouvé la trace dans un agenda  de  François Verdier associé à une adresse sur les chemins de la Liberté. Mais aussi pour les membres du Mémorial, une pensée pour un de nos membres,  ami disparu, François Dumas qui avait été précédemment   proviseur de ce lycée membre de la Ligue des Droits de l’Homme

ensuite nous entendrons l’allocution de. Monsieur Jean-Marie Guillon professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université d’Aix en Provence

Alain Verdier

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Participation du lycée Françoise Marie-Louise Dissard

Le Mémorial a souhaité rendre un hommage particulier à cette grande dame de la Résistance

Discours de Mme Arestier, proviseure du lycée Françoise

 

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Allocution de Jean-Marie Guillon, Historien de la Résistance,professeur émérite de l’université d’Aix Marseille

 

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Toulouse, Hommage François Verdier

Mesdames, Messieurs, Chers amis de la Résistance

Il va sans dire que je suis très honoré par l’invitation de l’Association du Mémorial François Verdier. Il n’est pas courant que l’on invite un historien dans une telle cérémonie. Je ne suis pas le premier historien que vous avez invité à s’exprimer à cette tribune. En 1988, Pierre Vidal-Naquet était intervenu ici le 31 janvier 1988 en ne cachant pas son embarras, mais reconnaissant qu’« il fallait bien qu’un jour ce moment arrive » où « l’histoire pour entretenir la mémoire (devait) suppléer la mémoire ». Déjà, il avait souligné que son invitation marquait un moment mémoriel important, celui où les acteurs passaient le relais à d’autres, qui n’avaient participé à leur combat, mais à qui ils confiaient son souvenir, en particulier aux historiens. Ce moment était en 1988 à son début. Il est en train de s’achever aujourd’hui.

Cette transmission n’était pas sans susciter les inquiétudes des résistants. Ils nourrissaient parfois une certaine méfiance à l’égard d’historiens qui, n’ayant pas connu les événements, risquaient à leurs yeux de les déformer, de ne pas les comprendre et d’oublier le prix du sang qu’ils avaient coûté. C’est ce qu’exprimait déjà pour eux Lucien Febvre, grand historien et grand témoin, en introduisant en 1954 un ouvrage (Les idées politiques et sociales de la Résistance) que cosignaient un ancien résistant, Henri Michel, l’inlassable animateur du Comité d’histoire de la 2e Guerre mondiale, et un ancien de la France libre, Boris Mirkine-Guetzévitch. Lucien Febvre se félicitait que l’histoire de la Résistance soit écrite par d’anciens résistants, il les enjoignait même à produire leur propre histoire avant qu’il ne soit trop tard, car « contresignée par des milliers de sacrifices » dont seuls, à ses yeux, ils pouvaient rendre compte. De ce fait, dans le monde de la recherche, l’histoire de la Résistance est restée à part et en marge.

J’appartiens à une génération d’historiens qui, soit étaient trop jeunes pour avoir pu participer aux événements, soit sont nés juste après la guerre, ce qui est mon cas. Nous avons été nourris par des récits de résistants, ayant bien souvent un proche qui en était, mais nous sommes situés sur le plan de l’histoire avant ne nous situer sur celui de la mémoire, quel que fut l’attachement que nous avions à l’égard de la Résistance. Lorsque nous avons commencé nos recherches, nous avons essayé d’imposer l’histoire de la Résistance dans l’univers de la science historique comme un histoire aussi rigoureuse que les autres, obéissant aux même méthodes, alors que trop souvent le monde académique se méfiait, à tort, d’une histoire à ses yeux trop « chaude », trop commémorative, trop « officielle », prenant trop peu de distance à l’égard des enjeux mémoriels. Mais nous nous sommes vite heurtés à un autre obstacle qui s’est présenté à partir des années 70, celui d’une vulgate qui relativisait la place de la Résistance, faisait de la France de Vichy l’alpha et l’omega de la période, négligeant la place des occupants, voulant à tout prix que la France ait été dans son ensemble veule, lâche, attentiste, à l’exception d’une infime minorité héroïque, puis voulant faire oublier ses turpitudes en se dédouanant à bon compte à la Libération en adhérant au récit flatteur que les résistants, le général De Gaulle en tête, auraient proposé. Cette interprétation, bien que fallacieuse, prévaut encore largement, en particulier dans les médias. De ce fait, les travaux que nous pouvions mener et qui attestaient d’une réalité assez différente, en tout cas bien plus complexe, ont trouvé peu d’échos. Nous étions en quelque sorte disqualifiés car, en allant à contre-courant de l’air du temps, nous étions considérés comme des tenants du « résistancialisme », entendu comme un légendaire, une fabrication a posteriori pour éviter de faire face aux compromissions d’une France dont il ne fallait surtout pas avoir l’air de dire qu’elle n’était pas si indigne que ce que l’on prétendait. C’est pour lutter contre ce qui nous paraissait un travestissement de la réalité qu’avec le regretté Pierre Laborie, nous avons tenté à travers, en particulier, une série de colloques, commencée à Toulouse en 1993, de contrebalancer ce courant, contestable sur le plan historique et délétère d’un point de vue civique. Le combat que nous menions était à la fois pour établir ce que nous concevions comme la vérité de la période, qui méritait mieux que ces raccourcis trompeurs, et pour pleinement instituer l’histoire de la Résistance dans le champ de la recherche universitaire. Nous pensions avec Pierre Laborie que c’était en fondant rigoureusement cette histoire dans la complexité du réel, dans la diversité du phénomène Résistance entendu comme un mouvement social exceptionnel dans l’histoire de notre pays, dans cette évolution qui avait conduit une poignée d’hommes et de femmes à être reconnue comme légitime par l’essentiel de la population et qui avait poussé un grande partie d’entre elle, peu à peu, à son niveau, à la rejoindre. En refusant le mythe héroïque et l’image d’Épinal, tout comme la disqualification ou, pour le moins, la sous-estimation de ce qu’avait été la Résistance, en dénonçant la légende noire entretenue depuis la Libération par les nostalgiques de Vichy, qui n’ont cessé de la contester en utilisant contre elle l’épuration, nous pensions que la restituer dans son épaisseur sociale était aussi le meilleur moyen d’assurer la pérennité de sa mémoire. Nous avions la conviction qu’en faisant de la bonne histoire, on servait mieux la transmission de ce qu’avait été la Résistance qu’en construisant des légendes. Il s’agissait aussi pour nous de remettre la Résistance à hauteur d’homme, qu’elle avait été aussi l’œuvre de femmes et d’hommes « ordinaires », et pas seulement de sortes de supermen ou de superwomen.

J’ai le sentiment que votre invitation rend hommage à travers ma personne, au travail collectif que nous avons mené. Elle manifeste votre compréhension du travail des historiens, bien que mémoire et histoire n’aient pas les mêmes priorités. Face aux injonctions mémorielles et pour mieux répondre aux reproches que leur faisaient leurs pairs d’une histoire soumise aux aléas du présent, les historiens du contemporain ont pu forcer le trait de leurs différences. Je pense bien entendu à ce qu’écrivait Pierre Nora en introduisant sa fameuse série des Lieux de mémoirel’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus ; la mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel… La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire l’en débusque, elle prosaïse toujours »). En effet, l’histoire ne commémore pas, elle ne trie pas dans le passé entre ce qui est mémorable et ce qui ne l’est pas, elle cherche à reconstituer les événements, les parcours, les engagements dans leur réalité, souvent complexe, parfois contradictoire, souvent riche. Elle a une fonction critique, démontant les idées reçues, les légendes trop roses comme les légendes trop noires. L’histoire ne se situe pas dans le culte d’un passé glorieux, elle essaie de comprendre ce passé, de le faire comprendre, de transmettre sa compréhension du passé ; l’historien ne dira pas qui est le bon résistant ou tel autre qui le serait moins, il ne distribue pas des titres de résistance, il n’est pas un juge comme le rappelait Marc Bloch dans l’ouvrage sur le métier d’historien (Apologie sur l’Histoire ou le métier d’historien) qu’il préparait alors qu’il résistait au sein du mouvement Franc Tireur, ouvrage qu’il ne verra pas imprimé puisqu’il fut fusillé le 16 juin 1944 aux alentours de Lyon. C’est pourquoi Pierre Laborie, toujours lui, a pu qualifier l’historien de « trouble-mémoire » et c’est pourquoi il est arrivé que notre travail soit mal compris. Je me suis amusé en lisant ce que Raymond Aubrac déclarait ici le 1er février 1998 (« Je souhaite qu’un jour, sans cacher les débats sérieux qui séparaient les divers groupes, les historiens montrent comment François Verdier et ses successeurs (…) ont pu faire combattre ensemble les communistes des FTP et les officiers de carrière de l’ORA et du groupe franc Pommiès pour libérer leur région et rétablir la République »). C’est ce qu’il ne cessait de nous dire lorsque nous le rencontrions. Nous accordions trop de place à ses yeux aux divergences qui parcouraient la Résistance et pas assez à l’unité de cette même Résistance. Ces divisions, qu’ils ne niaient pas, lui paraissaient secondaires par rapport à la construction de l’unité. Pourtant, les divisions de la Résistance sont une réalité et une réalité forte, souvent dérangeante car ces divisions, qui peuvent avoir leur justification lorsqu’il s’agit des orientations du combat clandestin, peuvent relever aussi du sectarisme, des querelles de pouvoir et de personnalités, du partage de territoires ; elles ne sont pas exemptes de mesquineries, parfois de médisances, de soupçons infondés. Mais apprécier à sa juste mesure le rôle d’un François Verdier si l’on fait l’impasse sur les dissensions qui ont conduit son prédécesseur, découragé, à quitter la région ? Comment apprécier l’action des rassembleurs dont il faisait partie en minimisant les obstacles qu’ils ont dû surmonter ? Comment mesurer la force qu’il leur a fallu pour ne pas céder au découragement si l’on minimise les conflits qu’il leur fallait régler au milieu du danger ? C’est ça aussi la réalité de la Résistance, et en rendre compte, c’est lui donner son épaisseur d’humanité dans ce qu’elle a de désespérant (et que l’on peut vérifier tous les jours) et dans ce qu’elle a de grandiose, c’est souligner l’importance de ceux qui sont parvenus à les surmonter, à les dépasser, à rassembler et aller de l’avant.

On le voit, l’historien n’est pas seulement déconstructeur de mémoire, il est aussi créateur de mémoire collective, et pas seulement de mémoire « savante ». En fait, à toutes les étapes, Histoire et mémoire s’interpénètrent, se répondent, se fertilisent, se stimulent, se nourrissent l’une de l’autre. Restituer l’histoire de la Résistance sans fard ne signifie pas que l’historien se situe « en dehors, ou au-dessus », ou qu’il soit, en quelque sorte, « neutre ». Après Raymond Aron, qui, étant à Londres en 1940, était bien placé pour en juger, le philosophe Paul Ricoeur a rappelé que l’historien, être social, se trouve nécessairement dans une position de « spectateur engagé »,, d’autant plus lorsque sa recherche porte sur des événements « aux limites », dont les enjeux restent du présent. Ce qui est le cas pour l’histoire de la Résistance, et davantage que pour tout autre, n’en déplaise à ceux qu’elle dérange. Cette histoire, nous savions avec Laborie en introduisant le colloque de Toulouse auquel participait aussi de grands témoins (Jean-Pierre Vernant, Ravanel, etc.) qu’elle n’était pas n’importe quelle histoire et nous avons écrit qu’elle n’était pas et ne devait pas devenir un objet froid, qu’elle n’était pas seulement du passé. Car la Résistance, au-delà des événements et des hommes et des femmes qui l’ont faite et qui l’ont parfois payé très cher, est porteuse de sens, d’un sens qui n’a rien perdu de son actualité. Elle a refondé l’identité républicaine de la France à la Libération, ce dont témoigne toujours le préambule de notre constitution, resté identique à celui de 1946. La crise d’identité nationale dont Laborie a été l’analyste et qui a fait le lit de la défaite et du régime de Vichy, c’est la Résistance, autour du général de Gaulle et du gouvernement où toutes les tendances du combat clandestin étaient représentées, qui l’a résolue dans la Libération et le rétablissement de la République. La Résistance, en France comme à Londres, n’a pas été pourtant toute entière républicaine d’emblée. Nombre de ses pionniers partageaient les ressentiments communs contre les « politiciens », le parlementarisme, les institutions qui auraient été responsables du désastre de 1940. La Résistance a été faite par des hommes et des femmes  divers, par leurs opinions, leurs origines, leur position sociale, leur caractère, leurs croyances. Ils n’étaient pas tous comme François Verdier imprégnés de culture républicaine. C’est l’une des évolutions les plus significatives qui soient que celle qui a conduit ces résistants à comprendre que la libération du pays ne pouvait se faire sans le rétablissement de la démocratie. Tout comme ils ont été transformés, la Résistance s’est transformée. C’est ce que nous avons appelé la « républicanisation » de la Résistance, actée en 1942 par la déclaration que le général de Gaulle fait parvenir aux mouvements clandestins. Et ce besoin de République n’a cessé de s’approfondir, de réclamer sa part de liberté, de moralité et de justice sociale au fur et à mesure que le combat prenait de l’ampleur. Réaction patriotique élémentaire d’abord contre la défaite, contre l’armistice, contre l’Occupant, puis, notamment ici en zone Sud, contre la Collaboration, la Résistance est devenue lutte de libération nationale dans toutes ses dimensions, politiques et sociales.

Je ne reviendrai pas sur le parcours de François Verdier que vous connaissez, dont j’ai mesuré l’intérêt et la grandeur grâce au beau travail d’Élérika Leroy. Son engagement m’inspire cependant quelques réflexions qui valent pour la Résistance, mais pas seulement. Trois caractéristiques me semblent devoir être soulignées.

La première, c’est la continuité des engagements de l’avant-guerre à la Résistance. Franc maçonnerie, Ligue des Droits de l’homme, fermeté des convictions républicaines, patriotisme, l’engagement résistant paraît chez lui couler de source, or il n’en est rien. J’en veux pour preuve que tant d’autres appartenant au même milieu reniaient au même moment leurs convictions ou se mettaient en retrait, pour des raisons diverses dont l’influence du pacifisme n’était pas la moindre ;

La deuxième, c’est son appartenance à la maçonnerie. Nous, historiens, avons négligé dans nos travaux l’importance des maçons (pas de la maçonnerie qui fut tout aussi troublée par les événements que le reste de la société) dans la naissance et l’implantation de la Résistance. La raison tient, pour une large part à la discrétion dont les maçons résistants ont fait preuve après la Libération et, sans doute, chez eux comme chez nous, au souci de ne pas alimenter le mythe du « complot maçonnique » ;

Le troisième trait que je souhaiterais souligner, c’est l’appartenance de François Verdier à la classe moyenne, ces professions intermédiaires – professions indépendantes, cadres de la Fonction publique – qui font le lien entre le peuple et les pouvoirs, entre le local et le national, entre le « bas » et le « haut », qui ont joué un rôle fondamental dans la Résistance, dont elles ont été le plus souvent à l’initiative, dont elles ont assuré l’encadrement. Toute la sociologie de la Résistance toulousaine, comme ailleurs en France, en particulier dans les mouvements non communistes, en témoigne. Cette catégorie a joué dans la Résistance le rôle qu’elle a joué dans l’implantation de l’idée républicaine dans le peuple, dans « l’apprentissage de la République » pour reprendre la belle formule de  Maurice Agulhon, l’historien qui avait montré dans ses études sur le Var comment la République était allée « au village ». Toute l’histoire de la République est l’illustration de ce rôle charnière fondamental car, contrairement à ce que prétendent les populismes (dont l’autre nom est la démagogie), le peuple n’a pas la science infuse, il n’y a pas de peuple citoyen s’il n’est informé, éduqué, encadré, éclairé. Sans cela, il n’y a pas de peuple, mais une masse d’individus soumis à leurs impulsions, aux croyances, aux rumeurs, aux manipulations.

On a déjà fait le rapprochement entre François Verdier et Jean  Moulin. Le rapprochement ne s’impose pas seulement parce qu’ils partagent le même souci de l’unité, la même volonté de rassembler ou parce qu’ils ont fait preuve du même courage devant leurs bourreaux, ils sont issus du même milieu, ils sortent du même moule républicain. Jean Moulin est fidèle à la lignée républicaine provençale à laquelle il appartient. Il est marqué par la figure paternelle, militant et élu radical socialiste, franc maçon, fondateur à Béziers de la Ligue des Droits de l’homme. Jean Moulin est antifasciste, il s’engage en faveur de l’Espagne républicaine. Il est comme François Verdier patriote et donc l’adversaire du nationalisme, qu’il soit français ou espagnol ou qu’il serve, en Allemagne et en Italie, de terreau  au fascisme et au nazisme. Car le patriotisme n’est pas le nationalisme qui sépare, oppose, divise les hommes et les peuples. Le patriotisme français ne dissocie pas la Patrie de la République, le territoire, la Nation et les principes qui en sont le fondement. Le patriotisme en France rassemble par delà les origines, il n’entend pas épurer le corps social. C’est, entre autres, ce qui fondamentalement différencie la Résistance et le régime de Vichy, mais aussi ce qui différencie les républicains et les autres.

On considèrera peut-être que je sors là de mon rôle d’historien, mais on ne peut faire l’histoire de la Résistance, sans avoir une certaine idée de ce qu’est la République et de ce qu’est être citoyen dans notre République.

Jean-Marie Guillon

Professeur des universités émérite, Université d’Aix-Marseille

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Le piège de la Gestapo contre la Résistance régionale : l’opération de minuit

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Par défaut

 

Dans la nuit du lundi 13 décembre 1943, la plus grande opération de répression est déclenchée contre la Résistance toulousaine et régionale. De Toulouse à Foix, de Mirande à Caussade, la Gestapo arrête tous ceux qui travaillent pour les Mouvements Unis de Résistance. C’est un coup de filet préparé depuis des semaines par la police allemande qui bien renseignée, grâce à des agents infiltrés et la trahison de quelques-uns, parvient à faire tomber tout l’état-major de la Résistance.

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L’action de représailles de la 35ème Brigade FTP-MOI pour venger la mort de Marcel Langer

A l’automne 1943, la Résistance toulousaine a accentué ses actions notamment par deux opérations d’envergure nationale :Les exécutions de l’intendant de police Barthelet par le réseau Morhange et de l’avocat général Lespinasse par la 35ème Brigade FTP-MOI Marcel Langer. La répression allemande s’est indiscutablement accentuée. L’acharnement des nazis sur les quelques résistants capturés est effrayant. Le martyr de Lucien Béret, résistant des PTT, mort sous la torture en est l’exemple probant.

UNE OPÉRATION MINUTIEUSEMENT PRÉPARÉE PAR LES ALLEMANDS

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SS-Sturmbannführer Suhr « décrit comme le type même du nazi fanatique et sanguinaire, étranger à tout sentiment humain » (Jean Estèbe)

Côté allemand, les services du KDS (Komandando der Sicherheitspolizei – commandement de la police de sûreté) toulousain sont partiellement désorganisés à la suite du changement du responsable régional. Le lieutenant-colonel Rudolf Bilfinger, chef régional du SD (SicherheitsDienst), en poste à Toulouse depuis juin 1943 est muté à Nice en décembre 1943. La période où Bilfinger a commandé est marquée par une forte reprise des déportations de Juifs. Il est remplacé par le Lieutenant-colonel Suhr, , en lien avec Karl-Heinz Muller, chef de la section IV du KDS, c’est-à-dire des services dits de la Gestapo, concentre son activité sur la traque de la Résistance.

Une opération visant les mouvements de Résistance est minutieusement préparée par les services allemands de Paris et de Montpellier. L’intervention de la Gestapo parisienne, et en particulier de leurs auxiliaires français, est avérée.

Les informations reçues par Morhange ont confirmé que les services allemands parisiens préparaient une action contre les officiers et mouvements de la Résistance. Des tentatives de noyautage étaient menées contre les groupes francs des MUR depuis Paris.

LA TRAHISON

Une autre piste paraît expliquer davantage comment les Allemands ont pu monter cette gigantesque opération contre les Mouvements Unis de Résistance. Comme parfois, dans les affaires importantes menées par la Gestapo, il semble que la dénonciation soit venue de l’intérieur. Ainsi, la trahison d’un des responsables de la Résistance aurait précipité la chute de François Verdier et le démantèlement des MUR.

Le capitaine Albert C. dit « Garonne » ou « Commenge » était le responsable régional du renseignement au sein des MUR. Le capitaine C. a pendant des mois travaillé résolument et consciencieusement pour la Résistance. Mais face aux manques de moyens financiers et matériels, il semble qu’il se soit laissé manipuler puis convaincre par un agent des Allemands, qui avait infiltré les MUR en se faisant passer pour un agent des services de renseignements britanniques. Le résistant lui aurait livré au fil des semaines tous les noms des responsables qu’il connaissait. (archives du réseau Morhange, fonds Daniel Latapie conservé aux archives départementales de Haute-Garonne, fonds Claude Delpla conservé aux archives départementales d’Ariège)

LA NUIT DU 13 AU 14 DÉCEMBRE 1943 A TOULOUSE

La Gestapo, dont les effectifs sont réduits, malgré le renfort d’auxiliaires français, fait appel pour cette opération d’envergure aux unités SS, aux Stosstruppen et à la Feldgendarmerie.

A Toulouse, c’est par petits groupes que les policiers et militaires allemands se répandent dans la ville dans la soirée de ce lundi 13 décembre 1944.

Villa FrancillonFrançois Verdier est l’un des premiers à être arrêté. Il est comme à l’accoutumée derrière son grand bureau en bois massif, sûrement une cigarette à la bouche et travaillant avec Jeanne. Il prépare son déplacement à Paris pour la réunion du 15 décembre. Le billet de train est déjà dans sa poche. Il dicte les dernières consignes quand vers 23 heures, des coups sont donnés à la porte. Vu l’heure tardive, Jeanne s’empresse d’avaler quelques papiers compromettants. L’équipe de la Gestapo est dirigée par l’Untersturmfuhrer Otto, chef de la section spécialement dédiée à la traque des résistants. Les Allemands posent des scellés dans toute la maison et condamnent l’entrée du bureau de François. Il n’ y pas de cri ni de geste de violence. Leur fille Françoise à l’étage n’est pas inquiétée ni même réveillée. François veut monter embrasser sa fille mais l’officier allemand refuse. Il est immédiatement arrêté et emmené dans la traction qui le conduit rue Maignac, au siège de la Gestapo. Les témoignages le décrivent confiant, tentant de convaincre qu’il s’agit d’une erreur et que tout va rentrer dans l’ordre. Jeanne n’est pas arrêtée. Elle reste seule avec Françoise qui dort à l’étage.

Dans le reste de la ville, des opérations similaires sont menées. La Gestapo frappe à la porte de nombreux appartements et maisons de résistants. Par chance, parfois, certains sont absents, ont déménagé à temps et échappent à l’arrestation. D’autres, comme Maurice Espitalier choisissent de tenter d’échapper à la Gestapo.

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Maurice Espitalier, policier du réseau Morhange

Vers deux heures du matin, le 14 décembre, la police allemande frappe bruyamment à la porte de l’immeuble d’Espitalier. Il était alors en train de préparer des rapports pour les Renseignements Généraux avec des copies pour la services de Vichy et pour la Résistance. Il sait immédiatement qu’il est « grillé ». Sa femme et son fils sont présents dans l’appartement. Il fait patienter les Allemands autant que possible, arguant que ce n’est pas une heure pour réveiller les braves gens. Il a juste le temps de saisir ses chaussures et celles de son fils, prendre une sacoche avec les papiers compromettants et de s’échapper par la fenêtre. Maurice Espitalier et son fils atterrissent dans un jardin. Il pleut à verse cette nuit-là, la visibilité est médiocre. Quand soudain, ils sont repérés par un soldat allemand qui pense avoir affaire à des habitants curieux venus regarder ce qui se passe. Il faut dire que, selon Maurice Espitalier, les Allemands sont venus en force et ont bouclé tout le quartier. Le soldat leur ordonne en hurlant de rentrer chez eux. Profitant de cette erreur du soldat allemand, Espitalier et son fils Freddy, 16 ans, aperçoivent une porte ouverte et trouvent refuge dans un grenier où ils patientent toute la nuit. Une fois les Allemands partis, Espitalier parvient à rejoindre le repaire du réseau Morhange.

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Juliette Espitalier

Juliette Espitalier est arrêtée et conduite rue Maignac puis à la prison Saint-Michel. Elle est interrogée puis relâchée. Rentrée chez elle, le moindre de ses gestes est surveillé, elle est suivie par un agent allemand pendant quelques jours. Finalement, elle est de nouveau arrêtée et emprisonnée à Saint-Michel pendant plusieurs mois. Elle est ensuite transférée à la caserne Caffarelli pendant quelques semaines avant d’être déportée à Ravensbrück en juillet 1944. Juliette Espitalier est libérée du camp de Ravensbrück le 23 avril 1945 par la Croix-Rouge suisse.

Yvonne CURVALE

Yvonne-Lucienne Curvale

Nombre de camarades de la première heure de François Verdier sont arrêtés cette nuit-là. Ainsi, dans le centre de Toulouse, rue de Strasbourg (actuelle rue de Queven), les Allemands se présentent à la porte de l’appartement de la famille Curvale. Albert Curvale a juste le temps de sauter par la fenêtre et de s’enfuir par les jardins. Yvonne reste seule pour les affronter, ses trois enfants dans l’appartement. Elle est interrogée et frappée, puis conduite rue Maignac puis comme les autres à la prison Saint-Michel. Albert Curvale disparu (il rejoint le maquis de Cazères) les enfants restent seuls. La fille aînée, âgée de 20 ans, est surveillée quelques temps par la police allemande puis se retrouve seule à élever son frère de 9 ans et sa sœur de 3 ans.

De nombreuses femmes de résistants sont arrêtées cette nuit là, quand leur époux ont échappé aux Allemands. Ainsi Yvonne l’épouse de Jean Bartoli, chef régional adjoint des MUR est arrêtée en l’absence de son mari, ainsi qu’Andrée Laigneau, agent du réseau Françoise et femme du chef du Groupe franc de Jean Laigneau « Cambronne ». Toutes deux sont déportées fin janvier 1944 au camp de Ravensbrück dont elle sont revenues en mai 1945.

D’autres résistants, tous membres des MUR, comme Achille Teste (chef régional adjoint de Libération Sud) ou Jean Germain Petit (membre de Combat et chargé des maquis au sein des MUR) sont arrêtés à Toulouse également. Après un passage rue Maignac, ils sont enfermés à la prison Saint-Michel puis longuement torturés par la Gestapo. Achille Teste et Jean Germain Petit sont déportés en janvier 1944 aux camps de Buchenwald et de Neuengamme. Ils sont revenus de déportation en mai 1945.

D’autres réseaux de résistance sont frappés également. Jean Delsol, résistant du réseau Françoise, son épouse et son fils sont arrêtés. Les hommes sont déportés au camp de Buchenwald et Françoise Delsol est envoyée à Ravensbrück. La femme et le fils de Jean Delsol n’ont pas survécu.

Au total, vingt-six résistants son ainsi arrêtés à Toulouse.

 

ARRESTATIONS DANS LA RÉGION

Gabriel Gesse

Gabriel Gesse, responsable des évasions dans le sud de la Haute-Garonne

Les arrestations de cette nuit du 13 décembre se font également dans toute la région. Dans le secteur de Saint-Gaudens, c’est là aussi l’un des principaux responsables des MUR qui est arrêté. Le Capitaine Gabriel Gesse dit « Blanchard », militaire en retraite, était responsable des MUR dans le Comminges et surtout d’une filière d’évasion très efficace. Il est arrêté chez lui. Surpris, il a juste le temps de faire disparaître quelques papiers compromettants et de tenter de prendre la fuite par les toits. Mais il est intercepté par les Allemands. Gravement blessé à la jambe, il est conduit à l’hôpital de Saint-Gaudens. Avec la complicité de médecins de l’hôpital, un commando de l’Armée secrète dirigé par le commandant Marty le fait s’évader de l’hôpital dès le 15 décembre. Furieux les Allemands, arrêtent le frère de Gabriel Gesse et le torturent jusqu’à ce que mort s’en suive. Une fois guéri, le capitaine Gesse rejoint le maquis d’Aspet.

 

CROS IRENEE

Irénée Cros

En Ariège, l’ingénieur Irénée Cros dit « Calmette » est surpris chez lui à Foix en pleine nuit. Responsable départemental des MUR pour l’Ariège, Irénée Cros était plongé dans ses papiers et travaillait au remplacement des hauts fonctionnaires de Vichy à la Libération. Alerté par les bruits des soldats devant sa porte, il se précipite vers sa cheminée pour brûler les papiers compromettants. Les Allemands enfoncent sa porte et sont furieux de constater qu’ils arrivent trop tard. Irénée Cros est abattu d’une balle dans la nuque.

Dans le reste du département, la traque des résistants se poursuit le lendemain, et d’autres résistants sont arrêtés. Ainsi, l’adjoint d’Irénée Cros, Jules Amouroux est arrêté dans la journée du 14 ainsi que les responsables des groupes francs de l’Ariège, Ernest Gouazé et David Lautier.

Dans le Gers, du côté de Mirande, les Allemands surprennent pendant la nuit un camp de résistants, formé de réfractaires au STO de la région et d’anciens membres du 2e Régiment de Dragons, dissous en novembre 1942. Le maquis de l’ORA, dirigé par le capitaine Miler du Corps franc Pommiès était installé au château de Cours à Ponsampère et camouflé dans un chantier forestier. Certains résistants parviennent à échapper à l’attaque allemande, mais la Gestapo parvient à capturer seize jeunes maquisards. Un peu plus tard, deux sous-officiers sont interpellés à Mirande tandis que le capitaine Milet prévenu à temps, a pu s’échapper. Les Allemands conduisent les dix-huit résistants à la prison Saint-Michel. Tous furent déportés fin janvier 1944 et huit d’entre eux meurent en déportation.

Pierre CABARROQUES

Pierre Cabarroques dit « Camille » est parvenu à s’évader après son arrestation.

A Caussade dans le Tarn et Garonne, ce sont Jeanne et Pierre Cabarroques, le docteur Olive dit  «Oscar» et Jacques Ancelet dit  «Aragon», responsables de l’action militaire au sein des MUR et de  l’Armée secrète qui sont arrêtés et conduits à la prison Saint-Michel.


L’ampleur de « l’opération de Minuit » est sans commune mesure avec tout ce que la Résistance de la région toulousaine a connu auparavant. Elle est le point de départ d’une répression qui ne va avoir de cesse de s’amplifier contre les résistants.


Texte: Elérika Leroy