Enzo Godéas, un Italien en résistance

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Avis 22 juin 1944

Le 22 juin 1944, à 10h30, Enzo Godéas est fusillé après jugement expéditif d’une cour martiale créée par le régime de Vichy. L’État français ne lui accorde pas le droit de se tenir debout pour faire face à la mort. Grièvement blessé dans l’opération menée contre la propagande nazie au cinéma les Variétés de Toulouse, c’est assis sur une chaise qu’il est fusillé. A ses côtés ce 22 juin 1944 tombe aussi un résistant espagnol du Lot, Diego Rodriguez Collado, 43 ans, communiste.

Une cérémonie a été organisée ce 22 juin 2025 par l’association de l’Amicale des Guérilléros espagnols en France devant l’ancienne prison Saint-Michel de Toulouse.

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DISCOURS 22 JUIN 2025 des GARIBALDIENS

PRISON SAINT MICHEL

HOMMAGE ENZO GODEAS ET DIEGO RODRIGUEZ COLLADO

Extrait du procès verbal d’audition du 17 avril 1944 mené par un inspecteur de police de la 8eme Brigade régionale de police de sûreté de Toulouse:

« Vu les déclarations de M le commissaire principal, chef de la 8e brigade régionale de police de sûreté de Toulouse

entendons le nommé Godéas Enzo, âgé de 18 ans, domicilié à Castelculier, détenu en traitement à l’hôpital de la Grave à Toulouse qui déclare : « en dehors du meurtre de Torricella , à Agen, de l’attentat des Variétés à Toulouse, du cambriolage du château de Bazels, je vous affirme que je n’ai participé à aucun autre crime ou attentat. »

Demande (de l’inspecteur) : de l’examen des documents saisis au cours d’une perquisition chez un membre FTP à Toulouse, il résulte que vous êtes connu dans l’organisation sous le prénom de René et sous les matricules 25, 35 025, 350 025 et que vous vous êtes rendu coupable :

Sous le matricule 35 025

le 28 11 43, vol de 50 kg de tabac avec les FTP

le 16 décembre 1943 à Agen bombe au siège de la milice

le 22 décembre 1943 à Agen, attaque à la grenade contre un détachement allemand devant la caserne.

Le 30 décembre 1943 à Agen attaque d’une ferme dont le propriétaire à été blessé

Le 7 janvier 1944 à Agen assassinat de ‘l’évêque italien) Torricella

Le 16 février 1944 attentat contre la voie ferrée Toulouse – Sète

Sous le matricule 350 025

Mai 1943 : tentative de déraillement d’un train de marchandise à Agen avec les FTP (…) (dont) Raymond Levy

Mai 1943 : tentative de déraillement avec les FTP (…) (dont) Rosine Bet

16 juillet 1943 : incendie d’une batteuse prés d’Agen

4 septembre 1943 : incendie de la propriété de M Lagarde

14 septembre 1943 : incendie de la scierie Trévise »

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Lettre manuscrite d’Enzo Godéas depuis son lit d’hôpital, 18 mars 1944. Dossier de la police de sûreté, Archives départementales de la Haute-Garonne

Enzo n’a que 18 ans lors de cette audition. Ce jeune italien né à Médéa est arrivé dans ses langes avec sa famille en Lot et Garonne. Ils sont nombreux à arriver de la péninsule transalpine fuyant pauvreté et fascisme. Les familles s’installent autour d’Agen, à Castelculier, Colayrac St Cirq, Bon encontre… Comme tous les déracinés, ils ont créé des liens entre gens du même village. Les enfants ont grandi ensemble, les adultes ont partagé cette fraternité qui garde dans le cœur leur terre natale tout en fixant l’horizon à la recherche d’un avenir meilleur.

La pauvreté les a accompagné sur ces terres qui a sacrifié ses hommes à la Grande Guerre. Le fascisme n’a pas mis longtemps à traverser la frontière et à s’installer.

A l’heure du choix, c’est souvent la famille en entier qui s’engage. Les familles italiennes ont choisi leur camp, celui de la liberté et de la fraternité. Qu’ils s’appellent Godéas, Titonel, Zanel ou Bet, les pères s’engagent, les fils, les filles les suivent. Les mères savent et se taisent, prient pour qu’on ne leur prenne pas un fils, un mari, une fille. Les fermes deviennent des lieux où on échangent, on décide, on protège.

Puis vient le temps de l’action, le temps du refus. Jusqu’où sont ils prêt à aller ?

Rosine et Enzo ont sacrifié leur vie. Damira a connu la déportation, les marches de la mort, Nuncio s’est évadé du train que l’on nommera fantôme. Ils n’étaient pas encore majeurs mais savaient pourquoi ils s’engageaient. Ils se sentaient attachés à cette terre qui les avaient accueillis, à ce pays des Droits de l’Homme et du Citoyen que l’on essayait d’étouffer. Ils ont choisi de prendre les armes afin que les bruit de bottes ne couvrent plus les notes de la Marseillaise. Femmes, hommes, ils ont rejoint la 35e Brigade Marcel Langer au coté des polonais, hongrois, français, espagnols.

Le 1er mars 1944, David Frieman, Rosine Bet et Enzo Godéas passent à l’action.

Leur objectif est de faire sauter le cinéma des variétés qui diffuse un film antisémite.

La bombe explose trop tôt. David est tué sur le coup, Rosine décède le lendemain.

Enzo quant à lui sera transféré dans le service du Dr Geraud à l’hôpital Lagrave. Malgré les soins du médecin qui fait traîner sa cicatrisation, Enzo est transféré à la maison St Michel.

Le 22 juin, il y a 81 ans, il passe devant la cour martiale qui le condamne à mort. Son exécution est applicable immédiatement sans possibilité d’appel.

Il est fusillé assis sur une chaise au coté de Diego Rodrigues Collado, un résistant espagnol plus âgé. Deux étrangers réunis dans la mort au nom d’un idéal de liberté, d’égalité et de fraternité, deux enfants de la République.

Marcel Langer, Louis Sabatier, Jacques Grignoux, Enzo Godéas, Louis Devic, Henri Devic, Diego Rodriguez Collado, vos noms résonnent ici. Votre souffrance et votre courage trouve écho dans ceux de vos compagnons de lutte, incarcérés ici, torturés, déportés.

On ne peut pas se tenir ici sans avoir une pensée pour Marie Angèle Del Rio et Yves Bettini, une résistante d’origine espagnole et un résistant d’origine italienne, deux jeunes que la guerre a rendu temporairement apatrides, et dont le nom donné au parvis nous rappelle l’engagement et l’amour qui les a unis.

Combien de mères, de sœurs, de fiancées ont versé de larmes hier et aujourd’hui, ici et ailleurs au nom de la folie des hommes. Être ici aujourd’hui devant cette plaque nous rappelle que les larmes d’une mère quelque soit sa nationalité, sa culture, sa religion ne doivent plus être celles de la douleur d’avoir perdu un enfant.

Ces hommes, ces femmes , ces résistants nous ont transmis des valeurs d’engagement, de fraternité, de défense des libertés. Il nous appartient à notre tour de les défendre et de les transmettre. A l’heure où le monde implose sous le poids de la haine, prenons le partie de la différence, celui de la paix et de la fraternité.

Isabelle Godéas, Présidente des Garibaldiens de Toulouse

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Ermine et Isabelle Godéas, porte-drapeau et présidente des Garibaldiens devant le poteau d’exécution de la prison.

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Hommage de l’artiste Matt2 StreetArt aux trois combattants de la 35ème Brigade DTP-MOI Marcel Langer tombés dans l’opération au cinéma les Variétés le 1er mars 1944.

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D’autres Italiens engagés dans la Résistance :

Rosine Bet

Damira Titonel Asperti

Silvio Trentin

Francisco Fausto Nitti

Enzo Lorenzi

Cérémonie du dimanche 2 février 2025

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81ème anniversaire de l’assassinat de François Verdier en forêt de Bouconne

pref papillonIls vivaient la fraternité dans son sens le plus noble, en créant ce lien d’unité et de solidarité entre les individus sans distinction d’origine, de culture ou de religion.

Isabelle Godéas

 

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Film de la cérémonie 2025

 

 

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Les élèves du collège François Verdier de Lézat-sur-Lèze en Ariège, ville natale du chef de la Résistance, ont préparé avec leurs enseignants un hommage émouvant, original et musical.

Intervention des élèves du collège.

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IMG_20250202_111217Jérôme Leveillé, Principal du collège François Verdier de Lézat-sur-Lèze

Cher Monsieur François VERDIER,
Tous les jours nous honorons votre action, votre œuvre, votre lutte en portant fièrement votre nom au fronton de notre collège.
Tous les matins, une foule enthousiaste et insouciante de jeunes haut-garonnais et ariégeois entre dans l’établissement en passant sous le drapeau de la République et devant votre nom gravé en lettres d’or.
Tous les matins, les élèves peuvent lire sur cette pierre :

FORAIN FRANCOIS VERDIER NE A LEZAT LE 7 SEPTEMBRE 1900
ASSASSINE PAR LA GESTAPO EN FORET DE BOUCONNE LE 27 JANVIER 1944

Ces mots nous obligent et nous honorent
Ces mots nous obligent car ils nous rappellent que le travail de mémoire du passé est toujours et encore d’actualité. Tous, élèves et adultes, nous devons inlassablement travailler à entretenir, à maintenir un climat d’empathie, d’ouverture et de tolérance les uns envers les autres.
Ces mots nous honorent car ils sont le rappel silencieux de notre devoir, de notre dette envers vous :
NOTRE LIBERTE, NOTRE DIGNITE !
Le 27 janvier 1944, des bourreaux vous ont volé votre vie, un an jour pour jour avant que le monde

Mot de Jérôme LEVEILLE, Principal du collège de Lézat sur Lèze.

 

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IMG_20250202_112954Isabelle Godéas, Présidente des Garibaldiens de Toulouse

A l’heure où l’étranger devient suspect, rappelons-nous qu’un jour, cet étranger a refusé le fascisme et s’est engagé sans s’interroger sur la légitimité de son engagement. A t’il raison de s’engager pour un pays dans lequel il n’a pas de racine ? En a-t-il seulement le droit? S’est-il posé la question du risque qu’il prend ?
Parmi ceux qui ont connus la mort ou la déporta􀆟on, je citerai :
Marcel Langer, polonais juif, responsable de la 35e Brigade FTP-MOI, guillotiné le 23 juillet 1943 ; L’espagnol Francisco Ponzan Vidal, passeur anarchiste à la tête de son réseau pyrénéen, fusillé, le corps brûlé en forêt de Buzet avec 53 autres compagnons ; Et bien évidemment des résistants italiens, Rosina Bet, tuée dans l’attentat des variétés, la famille Titonel, déportée, Francisco Fausto Nitti, déporté, et tant d’autres.
Certains ont été en contact avec François Verdier. C’est le cas de Silvio Trentin, ancien parlementaire italien, professeur de droit devenu libraire rue du Languedoc. Sa boutique était un lieu de rencontre pour les antifascistes italiens, de nombreux réfugiés ainsi que ceux qui voulaient faire quelque chose. François Verdier faisait partie de ceux qui fréquentaient les lieux et avec qui il fit un bout de chemin au sein du groupe « Liberté, Égalité, Fraternité »

Allocution de Madame Isabelle GODEAS, Présidente des Garibaldiens.

 

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IMG_20250202_113945Didier Goupil, écrivain

Pour la première fois, une fiction est lue lors de l’hommage annuel en forêt, une nouvelle épistolaire créée par Didier Goupil, accompagné par Pierre Lasry à la guitare.

FORAIN

 … Durant la guerre, la forêt de Bouconne avait retrouvé une activité qu’elle n’avait plus connue depuis des lustres. Outre les bûcherons et les charbonniers, on y croisait les jeunes gens enrôlés dans les chantiers de jeunesse, des femmes venues de Mondonville ou de Cornebarrieu pour glaner la bourdaine, indispensable à la fabrication de la poudre, et bien sûr les groupes de miliciens espagnols frayant les fourrés à la recherche des résistants qui s’y cachaient.

Autant dire que mon père, en bon garde-forestier, ne manquait pas de travail et, ayant mis de côté mes études, j’avais pris l’habitude de l’accompagner dans sa tournée. C’est ainsi qu’au matin de ce 27 janvier, nous arpentions les bois aux abords de la tour du Télégraphe, quand, cisaillant le silence, une détonation nous saisit sur place.

L’aboiement d’un chevreuil… ?

Le coup de feu d’un braconnier… ?

À peine le temps de nous poser la question qu’une explosion déchira l’air, faisant trembler le sol et les arbres autour de nous.

Nous n’étions qu’à quelques bosquets et nous nous sommes mis à courir vers l’endroit d’où elle provenait.

C’est quand nous sommes arrivés dans la clairière… que nous vous avons vu, étendu dans l’herbe, les bras le long du corps.

Nous nous sommes approchés à pas prudents.

« Les salauds ! » a craché mon père entre ses dents.

Vous n’aviez plus de tête.

Une balle trouait votre veste au niveau du ventre, mais surtout, vous n’aviez plus de tête. Une tache de sang, une tache de sang qui grandissait à vue d’œil, avait pris la place de votre visage.

Allocution de Monsieur Didier GOUPIL, Ecrivain.

Pierre Lasry

Pierre Lasry

 

Interprétation de « Nuit et Brouillard » par Eugénie Berrocq chanteuse lyrique

Cérémonie françois Verdier 2025 (2)Et le Chant du partisan

Chants par Madame Eugénie BERROCQ

 

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Dépôt de gerbe par Alain Verdier et deux élèves du collège François Verdier

M. Pierre-André Durand, Préfet de la Région Occitanie, Préfet de la Haute-Garonne

M. Pierre-André Durand, Préfet de la Région Occitanie, Préfet de la Haute-Garonne

P2020078P2020159L’association remercie les nombreux porte-drapeaux de Haute-Garonne et d’Ariège de leur fidélité à cette cérémonie.

Photographies des Porte-drapeaux

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Presse

 

Alain Verdier, France Bleu

Alain Verdier, France Bleu

« Les valeurs pour lesquelles mon grand-père a perdu la vie »

 

Le Petit journal

Le Petit journal

Hommage à Forain François Verdier

Dépêche du Midi

Dépêche du Midi

Rassemblement à Bouconne pour Forain François Verdier

Cérémonie du 28 janvier 2024

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80eme-Liberation_logoCérémonie du dimanche 28 janvier 2024

80ème anniversaire de l’assassinat de François Verdier en forêt de Bouconne

 

Verdier F - Matt2 Street Art 2024

Quelle est la raison d’être d’une commémoration comme celle qui a lieu ce 28 janvier 2024 ? D’aucuns doutent de l’utilité de telles cérémonies. Ce n’est pas mon cas parce que je fais miens ces mots de Vladimir Jankélévitch : « Si nous cessions d’y penser, ils seraient définitivement anéantis et nous achèverions de les exterminer. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité. »

Laurent Douzou

IMG_5071IMG_5108Le drapeau de Libération-Sud remis à deux collégiens volontaires la cérémonie est ouverte.

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Vidéo du discours d’accueil par la présidente du Mémorial François Verdier Forain Libération-Sud

 

Cette année, ce sont les élèves du collège Jean-Pierre Vernant qui ont rendu hommage à François Verdier. Après le mot d’accueil de leur principal, M. Franck Lemaire, les collégiens ont interprété des extraits d’une pièce de théâtre créée par leurs enseignants. Ils ont ensuite rendu hommage à Jean-Pierre Vernant par un chant qu’il affectionnait particulièrement « le temps des cerises ».

Vidéo de l’hommage des collégiens de Jean-Pierre Vernant

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Discours de Laurent Douzou, historien de la Résistance

Vidéo de l’allocution de Laurent Douzou

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Mesdames, Messieurs, en vos titres et qualités,

Chers amis de la Résistance,

Chers élèves et chers collègues du collège Jean-Pierre Vernant,

C’est un honneur d’être convié par l’Association du Mémorial François Verdier Forain Libération-Sud à prendre la parole en ce 80ème anniversaire de son assassinat. Nous perpétuons une tradition inaugurée dès le 4 février 1945 alors que Jeanne Verdier était encore au camp de Ravensbrück où elle était arrivée 4 jours après l’assassinat de son mari. Cette longévité dans la fidélité, ce n’est pas rien ! Longtemps, ce sont des acteurs de la lutte clandestine qui ont pris la parole. Le temps faisant son œuvre, les historiens ont pris le relais. Toutefois, beaucoup de celles et de ceux qui sont ici présents aujourd’hui n’ont nul besoin que je retrace l’itinéraire de François Verdier, Forain dans la Résistance. Vous êtes ici précisément parce que vous savez qui était cet homme. Je conseille en tout cas vivement la lecture du beau livre d’Elérika Leroy qui restitue François Verdier, l’honnête homme, le résistant, l’unificateur.

Comment parler de lui en janvier 2024 si loin de janvier 1944 ? Peut-être d’abord en relevant que notre époque incertaine a été précédée de temps bien plus rudes dans lesquels nos devanciers se sont montrés capables de surmonter des situations qui semblaient désespérées. Ensuite, en restituant à François Verdier sa pleine dimension humaine qui souligne ce que son comportement eut d’héroïque.

Né avec le siècle en Ariège dans une famille modeste, François Verdier avait connu jusqu’en 1940 une existence pleine et réussie. Entrepreneur prospère, membre de la SFIO et de la Loge « Les Cœurs Réunis » à l’Orient de Toulouse, secrétaire fédéral de la Ligue des droits de l’homme, il était père de deux enfants, Jacques et Françoise. Ce juge au tribunal de commerce présentait tous les attributs d’un notable en vue dans le paysage toulousain. Il avait beaucoup à perdre – alors qu’il était jeune encore – s’il prenait le parti de « faire quelque chose » comme on disait dans les premiers temps de ce que nous appelons la Résistance.

Or, François Verdier s’est lancé immédiatement dans la lutte. Il a été des noyaux d’une résistance balbutiante qui ont vu le jour très tôt alors même que la popularité de Pétain était forte pour ne rien dire du fait que la police, la justice et l’information étaient à sa botte. Il fallait alors du courage et des valeurs chevillées au corps pour désobéir au nouveau régime. À Toulouse, où de solides noyaux antifascistes soudés par l’aide à la République espagnole avant-guerre coexistaient avec des réfugiés et des étrangers désireux d’agir, la lutte clandestine s’organisa progressivement.

François Verdier, quant à lui, gravita dans la nébuleuse de deux groupes dont la dénomination en dit long sur les valeurs de leurs membres : Vérité d’une part, Liberté, Égalité, Fraternité d’autre part.

Avec une poignée d’autres comme Achille Teste ou Armand Ducap (dont je cite les noms parce qu’ils ont pris la parole ici même), François Verdier s’est évertué à créer de toutes pièces la possibilité d’une action contre un État autoritaire qui foulait aux pieds les valeurs de la République.

Fin 1941-début 1942, la rencontre avec le mouvement Libération qui commençait à essaimer en zone sud fut décisive. Liberté, Égalité, Fraternité diffusait déjà la feuille clandestine Libération dont les accents nettement républicains lui avaient tout de suite plu. Se fondre dans Libération, c’était le moyen pour le groupe toulousain d’élargir son action en bénéficiant d’un soutien de poids.

Le colonel Bonneau fut jusqu’en novembre 1942 le chef de cette région baptisée « Rose » par Libération. Pierre Hervé le remplaça avant de regagner Lyon en avril 1943 pour devenir secrétaire général des Mouvements Unis de Résistance, les M.U.R. Les trois principaux mouvements de résistance non communiste de zone sud (Combat, Franc-Tireur et Libération) avaient, en effet, fusionné fin janvier 1943. Il fallait installer dans chaque région un directoire des MUR ce qui n’était pas une mince affaire. Jacques Dhont issu de Combat fut désigné chef régional des M.U.R. pour la région R 4 (nouvelle dénomination de l’ancienne région Rose). La greffe ne prit pas et, en juin 1943, François Verdier, Forain, le remplaça.

Sans entrer dans le détail, ces changements successifs révèlent les tensions qui secouaient la résistance dans la région toulousaine. Ces tensions s’expliquaient par le fait qu’il fallait au jour le jour prendre des décisions graves sans être en mesure d’en discuter calmement au grand jour. C’est ici que François Verdier joua un rôle déterminant. Pour être reconnu chef régional des MUR, pour unifier vraiment la Résistance, il fallait une antériorité, une autorité et une légitimité incontestables. Or, François Verdier apparut le mieux placé pour fédérer les énergies qui se déployaient à Toulouse, en Haute-Garonne et dans les autres départements de la région. Il démontra sa capacité à agréger des syndicalistes, des socialistes, des chrétiens, des francs-maçons. Le Mouvement s’enracina ainsi profondément dans le terreau toulousain. Il y gagna une représentativité et une forte influence. D’autant qu’un groupe actif organisé sous l’autorité de Jean-Pierre Vernant vint s’adjoindre au noyau toulousain.

            François Verdier incarnait la Résistance ancrée dans un territoire avec toutes les solidarités et capacités d’action que cela impliquait. Il n’a pas été seul de son espèce. Dans les Hautes-Pyrénées, André Fourcade présentait un profil analogue. Marié, père de deux enfants, il était à 34 ans, en 1939, technicien à l’usine Hispano-Suiza de Tarbes. Il était par ailleurs secrétaire fédéral de la S.F.I.O. et secrétaire général de l’Union départementale des syndicats des Hautes-Pyrénées. Chef de Libération, puis des MUR pour les Hautes-Pyrénées, il devint (sous le pseudonyme de Vergnaud) chef régional des MUR à Limoges fin mai 1943 en remplacement d’Armand Dutreix. Arrêté le 2 juin 1944 par les Allemands dans le train Toulouse-Limoges, interné à la prison Saint-Michel, André Fourcade fut longuement torturé avant d’être fusillé et brûlé dans la forêt de Buzet-sur-Tarn le 17 août 1944. Désigné comme commissaire régional de la République à Limoges en décembre 1943, il fut donc, comme François Verdier, assassiné avant d’avoir pu entrer en fonction. André Fourcade et François Verdier, ces deux commissaires régionaux de la République issus des rangs de la région Rose de Libération, s’inscrivaient dans le droit fil de la plus pure tradition politique de gauche du midi toulousain.

J’ai mentionné le nom de Dutreix. Il était le chef régional de Libération de la région Émaux, c’est-à-dire la région R5. Né en 1899, Armand Dutreix, pseudonyme Verneuil, marié, père de deux enfants, avait une petite entreprise d’électricité. Militant socialiste éprouvé, il était de surcroît membre de la loge maçonnique du Grand Orient de France de Limoges : « Les Artistes Réunis ». Il fut l’unique chef régional du Mouvement jusqu’à son arrestation, le 17 avril 1943 à son domicile. Il fut fusillé au Mont Valérien le 2 octobre 1943.

            François Verdier, André Fourcade, Armand Dutreix, tous trois pionniers de la Résistance, tous trois arrêtés, mutiques sous la torture et assassinés, avaient des responsabilités qui auraient pu les dissuader de s’engager dans un combat qu’ils savaient périlleux. Mais ils avaient aussi de fortes convictions, attestées par les engagements politiques, syndicaux ou maçonniques qu’ils avaient contractés. Leur solide implantation régionale, leur aptitude à jeter des passerelles entre des milieux différents qui ne se parlaient pas volontiers, entre des courants idéologiques concurrents, voire opposés, tout cela a été décisif dans l’éclosion d’une Résistance puissante. Les risques qu’ils ont pris étaient décuplés du fait qu’ils n’étaient pas des clandestins à part entière. Ils menaient une vie publique et avaient pignon sur rue tout en étant au centre de la toile d’araignée clandestine. Ils étaient de ce fait particulièrement exposés et le savaient parfaitement. Il n’est que de lire Jean Cassou qui, dans La mémoire courte en 1953, évoquait ses morts à lui, ceux qui l’accompagnaient, et parmi ces êtres chers « François Verdier, dit Forain, chef régional de Toulouse, qui dans sa belle villa, au milieu de ses livres et de ses œuvres d’art, disait plaisamment qu’il pourrait bien rester tranquille, la vie était assez belle pour lui sans besoin d’aller chercher toutes ces histoires… »

            Comme ses camarades, François Verdier a laissé sa vie dans ce combat après avoir enduré des souffrances inimaginables. Ce qui pose une question que Jean Paulhan, dissimulé sous le pseudonyme de Juste, abordait dans le numéro 3 des Cahiers de la Libération, revue de prestige de Libération-Sud, en février 1944, au lendemain même de l’assassinat de François Verdier. Cette interrogation taraudait les résistants et constitue pour celles et ceux qui sont ici aujourd’hui une sorte d’énigme en même temps qu’une source de vive admiration. Comment, quand on aspire passionnément à vivre, peut-on mettre sa vie en jeu en connaissance de cause au nom de valeurs qu’on chérit ? Évoquant « la douleur d’un temps où nous apprenons chaque mois la mort de quelque ami », Paulhan répondait en ces termes : « L’un tenait le maquis, on a retrouvé son corps, dans un champ, déjà gonflé. Un autre faisait des tracts, un autre encore transmettait des notes : ils ont été troués de balles, quand ils chantaient. D’autres ont souffert, avant la mort, des tortures qui passent en horreur les souffrances du cancéreux et du tétanique.

Et je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de chose. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois mal composé). À ceux-là il faut répondre :

C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement des doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui, c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles.”

            Je ne peux clore mon propos sans soulever une autre question qui nous intéresse, nous qui avons choisi ce jour de prendre le chemin de la forêt de Bouconne. Quelle est la raison d’être d’une commémoration comme celle qui a lieu ce 28 janvier 2024 ? D’aucuns doutent de l’utilité de telles cérémonies. Ce n’est pas mon cas parce que je fais miens ces mots de Vladimir Jankélévitch :

« Si nous cessions d’y penser, ils seraient définitivement anéantis et nous achèverions de les exterminer. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité. »

 

Discours de Florence Aubenas, Journaliste Grand reporter et écrivaine

Vidéo de l’allocution de Florence Aubenas

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Chers Amis,

Je dois vous dire d’abord mon émotion de prendre la parole devant vous et je mesure l’honneur qui m’est fait de le faire devant ce mémorial pour parler de François Verdier, sur le lieu même de son assassinat. Vous tous qui êtes ici, vous le connaissez sans doute bien que moi. Famille, amis vous savez son intimité, vous savez sa profondeur et vous avez su raconter l’homme à travers les années. Spécialistes et historiens, vous avez décrit le résistant, le franc-maçon. Vous avez parlé de son engagement et celui de son réseau, Libération-Sud. Dans la clandestinité, on écrivait peu, on effaçait toutes traces. Et comment pourrait-il en être autrement à ces heure-là où chaque mot pouvait signifier une condamnation à mort.

Grâce à vos soins à enquêter, à raconter cette vie, à raconter ces faits, cela revêt aujourd’hui une importance presque religieuse. Oui c’est grâce à vous que l’histoire et la mémoire nous reste 80 ans plus tard.

Je me souviens d’un reportage réalisé voilà quelques années dans un lycée de France, pour savoir quelles images gardaient les jeunes gens aujourd’hui des résistants d’hier. Tous ou presque ont fait le même portrait : qui étaient-ils ? l’image était à peu près celle de Che Guevara. C’étaient des jeunes gens romantiques, portant armes avec des t-shirt moulants, et ce type de figure. Aucun ne voulait croire par exemple que Jean Moulin avait pu être préfet. Sachant que je serai aujourd’hui parmi vous, j’ai voulu faire à peu près le même sondage et je suis allée dans un lycée. J’ai parlé de François Verdier. Là encore, cette semaine, j’ai obtenu les mêmes réponses et les mêmes images. Rarement on m’a dit, en découvrant le visage de François Verdier sur une photo, c’était lui le résistant ? oui c’était lui. Les résistants de la première heure ne faisaient ni politique ni exercice de style. Ils pouvaient diriger une entreprise de machines agricoles, siéger dans un tribunal de commerce, porter cravate et légère calvitie plutôt que treillis et béret. Car c’est peut-être cela le mystère d’un engagement qui nous sidère aujourd’hui, tant de décennies plus tard. De quelle pâte humaine étaient-ils faits ceux-là qui ont tout abandonné pour s’engager au moment où un pays entier s’effondrait ? Quelle foi fallait-il avoir pour y croire, pour penser que la Résistance allait gagner alors que tout semblait prédire le contraire. De même, quelles forces les portaient pour être convaincus que la défaite et l’humiliation générale ne dureraient pas toujours. Pensaient-ils aussi, comme ma grand-mère qui habitait tout près d’ici dans un village à trente kilomètres de Toulouse, que le nom du général De Gaulle qui les appelait à résister et à continuer la guerre, ne pouvait être qu’un pseudonyme. C’était trop beau pour être vrai. Se sont-ils eux-mêmes poser ces questions ?

Je voudrai ici rendre un hommage tout particulier à Jeanne Verdier et pas simplement parce qu’elle était une des dernières destinataires, avec toute sa famille, des derniers mots de son mari, retrouvés dans ses poches et écrits, nous l’avons appris par Elérika Leroy, sur les papiers qu’ils avaient pu trouver en sortant des salles de torture, sur un morceau d’enveloppe, sur du papier à cigarette, sur du papier toilette. Il s’adressait à sa famille tout ce qu’il avait pu trouver en sortant de là. Jeanne Verdier née Lafforgue, institutrice, n’était pas seulement l’épouse à qui l’on écrit. Elle-même était résistante dans le réseau Gallia, agent de renseignement. Arrêtée quelques jours après son mari, elle a été déportée dans un camp pour femmes à Ravensbrück. Libérée en 1945, elle fut élue maire et a dirigé la Fédération des déportés. Qu’elle soit saluée ici, femme de l’ombre, sortant de l’ombre.

Il me faut aussi parler de vous, vous qui êtes ici, sans autre lien avec François Verdier que votre seule conviction qu’il n’est de meilleur endroit, ce dimanche matin, que de vous rassembler ici pour parler de lui. C’est le seul moment où devant cette stèle, modeste et immense, dans une forêt de France, nous commémorons la Résistance. Votre présence ici, renouvelée d’année en année, de génération en génération, comme un témoin qu’on se passe, en a fait un endroit unique, loin de ce petit rassemblement du lendemain de la Libération de Toulouse où quelques amis sortant d’un café et allant visser une plaque célébrant François Verdier à la place du maréchal Pétain. Ici notre engagement est là essentiel comme il l’était hier. Et en vous regardant l’un après l’autre, l’une après l’autre, je vois dans chacun de vous le visage vivant de François et Jeanne Verdier. Merci à vous de m’avoir conviée dans votre chaîne humaine en ces temps où la paix en Europe paraît à nouveau si fragile.

Je me tourne ici vers un monument qui n’est pas un monument aux morts mais celui des vivants. Merci à vous tous.

Interprétation de l’Affiche Rouge par Sarah Lugassy

Vidéo de Sarah Lugassy chantant en forêt

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Les élèves ont clôturé la cérémonie en accompagnant les représentants officiels déposer les gerbes au pied du monument honorant François Verdier. A chaque fois, ils ont laissé un carnet et une fleur en mémoire du petit journal carcéral qui fut retrouvé sur le corps de François Verdier le 27 janvier 1944.

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fin

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Portrait réalisé par Matt2 SteetArt

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Cérémonie du 29 janvier 2023

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Par défaut

François Verdier est allé jusqu’au bout de ses engagements, pleinement conscient du risque, du danger qu’il encourait.
Il n’y a pas d’engagement sans risque.

Il n’y a pas de prise de risque sans courage.

Le courage absolu, la force de ne rien dire quand on sent approcher de soi la menace de la mort, confine au mystère.

Jean-Luc Moudenc

 

La cérémonie du 79ème anniversaire de la mort de François Verdier s’est déroulée le dimanche 29 janvier 2023 en présence d’un public toujours aussi nombreux. Cette fidélité à la mémoire de celui qui fut le chef de la Résistance régionale est un témoignage fort de l’attachement aux valeurs de la République pour lesquelles François Verdier et ses camarades de Résistance ont donné leur vie.

Retour en images et en vidéos

Remise du drapeau de l’association Mémorial François Verdier à Clément, élève du collège du Bois de la Barthe de Pibrac

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Vidéo : Ouverture de la cérémonie

Remise du drapeau de l’association à un élève, accueil de la présidente de l’association et évocation du résistant Achille Teste par Bernard Vinel

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Vidéo : Hommage des collégiens

Mot de Madame Richard, principale  et participation des élèves du collège de la Barthe de Pibrac à la cérémonie

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Vidéo : L’orateur

Discours de Jean-Luc Moudenc, Maire de Toulouse, Président de Toulouse Métropole

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Dépôt des gerbes

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Revue de presse

La Dépêche du Midi du 22 janvier 2023

Actu Toulouse du 28 janvier 2023

La Dépêche du Midi du 29 janvier 2023