« La justice et la vérité comptent plus que n’importe quel intérêt politique. »
Vidéos des trois interventions:
Interventions des élèves de troisième du collège du Bois de la Barthe de Pibrac
Discours de M. Pascal Mailhos, Préfet de région
« Celui qui croyait au ciel
celui qui n’y croyait pas
tous deux adoraient la belle
prisonnière des soldats
fou qui songe à ses querelles
au cœur du commun combat
tous les deux étaient fidèles
des lèvres du cœur, des bras ».
Louis Aragon, La Rose et le Réséda, extrait cité par l’orateur, le préfet Pascal Mailhos
Le mot du Président du Mémorial, Alain Verdier
Comme m’écrivait récemment Paul Arrighi : L’obscurantisme et le fanatisme rodent, bien loin des nouvelles lumières que l’état de nos connaissances, de nos sciences, de notre technologie nous permettent d’espérer.
Encore imprégnés par les douloureux souvenirs des attentats perpétrés au cœur de notre pays, cette commémoration annuelle, prend une dimension particulière.
Dans cette forêt de Bouconne, plane le souvenir d’un homme d’exception.
Forain François Verdier Chef Régional des Mouvements Unis de la Résistance, dont le corps supplicié fut ici retrouvé le 27 janvier 1944 assassiné par la Gestapo et la Milice.
Toujours aussi nombreux, nous voici rassemblés pour ne pas oublier, mieux appréhender le présent et bien préparer l’avenir.
Nous rappeler que la Paix toute relative de notre monde occidental actuel fut précédée des plus terribles monstruosités.
Le temps qui passe, nos consciences endormies, n’ont pu empêcher les menaces d’aujourd’hui. A nous d’en tirer les enseignements. D’apprendre à lutter contre toutes les petites dérives humaines qui s’additionnant, peuvent déboucher sur des catastrophes.
François Verdier était mon grand-père, il aimait la vie, sa famille, il aimait sa région, son pays, aimait l’Humanité, la République Française qui lui garantissait la Liberté, l’Egalité, la Fraternité.
Juge au tribunal de commerce de Toulouse, Secrétaire de la Ligue des Droits de l’homme, Franc-maçon du Grand-Orient de France, il avançait en homme libre, engagé, croquant la vie à pleine dent, quand ses idéaux furent attaqués, la république abolie, les libertés bafouées.
Comment accepter la collaboration avec ceux qui vous privent de liberté ? Comment accepter la xénophobie, le racisme, la barbarie ?
Devant tant d’injustice, d’intolérance il va choisir la Résistance.
En suivant ce que son cœur, son âme lui dictait, naturellement, il va assumer ses choix, ne renonçant à rien, prouvant que : Liberté, République et humanisme ne sont pas de vain mots. Trois valeurs qui ont guidé sa vie.
Liberté : Liberté d’apprendre, de chercher et de choisir ce que nous voulons faire. Liberté de conscience.
République laïque, Une et indivisible. Qui ne peut laisser de place aux privilèges, aux communautarismes, aux sectarismes sans créer des inégalités et réduire la solidarité .
Humanisme : Objet de développement essentiel des qualités de l’homme.
Fraternité : ciment indispensable de cohésion qui fait que de nos différences naissent des richesses, notre citoyenneté.
Comme François Verdier, nous gardons confiance en l’homme et son esprit.
Nous croyons en la Victoire :
De la culture sur la barbarie
De la tolérance sur l’intolérance
De l’amour sur la haine
Comme Forain nous faisons le pari de l’humain,
Parce que c’est faire le pari de la vie.
Je vous remercie de votre attention.
Interventions des collégiens du Bois de la Barthe de Pibrac
Des noms, rarements cités, ont été prononcés par les élèves. Ceux de résistantes en particulier, sur l’hsitoire desquelles les élèves ont travaillé: Marie-Louise Dissard « Françoise », Jeanne Verdier et Olga Sfedj, secrétaire clandestine de François Verdier, oubliée.
La Complainte du Partisan, chanson écrite par Anna Marly et Emmanuel d’Astier de la Vigerie à Londres en 1943.
Les Allemands étaient chez moi
On m´a dit « Résigne-toi »
Mais je n´ai pas pu
Et j´ai repris mon arme
Personne ne m´a demandé
D´où je viens et où je vais
Vous qui le savez
Effacez mon passage
J´ai changé cent fois de nom
J´ai perdu femme et enfants
Mais j´ai tant d´amis
Et j´ai la France entière
Un vieil homme dans un grenier
Pour la nuit nous a cachés
Les Allemands l´ont pris
Il est mort sans surprise
Hier encore, nous étions trois
Il ne reste plus que moi
Et je tourne en rond
Dans la prison des frontières
Le vent souffle sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l´ombre
Les élèves de troisième du collège du Bois de la Barthe de Pibrac et leur professeur de musique ont interprété cette chanson, présente dans les mémoires par l’nterprétations de Léonard Cohen. Extrait (vidéo réalisée par Pierre Lasry)
Que François Verdier, qui mourut pour que vive la France, soit fier du pays pour lequel il a tout donné.
Pascal Mailhos
Discours de Pascal Mailhos, préfet de la Haute-Garonne et de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées
Cérémonie d’hommage à François Verdier, dit « Forain » – 31 janvier 2016
Il y a soixante-douze ans, presque jour pour jour, par un froid matin de janvier 1944, un corps est découvert dans cette forêt de Bouconne. Il n’a plus de tête : les Allemands ont placé une grenade dans la bouche du prisonnier qu’ils venaient d’abattre d’une balle dans le ventre.
Terrible symbole ! Car c’est bien la tête de la Résistance dans le Sud-Ouest de la France que les Allemands viennent de faire disparaître. Ce cadavre méconnaissable, c’est celui de l’industriel François Verdier, dit « Forain », chef des mouvements unis de la Résistance à Toulouse, héros et martyr de la libération de la France.
Sept décennies plus tard, nous continuons à nous réunir chaque année dans cette forêt pour faire revivre cette figure, ce visage que les nazis avaient voulu effacer à jamais.
C’est pour moi un honneur tout particulier de lui rendre aujourd’hui hommage. En effet, le général de Gaulle avait prévu que François Verdier, à la Libération, devienne à Toulouse le Commissaire de la République. Dans l’une des salles de la préfecture, il y a une galerie de portraits : on y voit une photographie de chaque préfet depuis la Libération. Je ne peux m’empêcher de penser que celle de François Verdier aurait pu ouvrir cette galerie.
En rétablissant la République, il aurait achevé au grand jour le travail commencé dans l’ombre, dès les premiers temps de l’occupation, pour libérer la patrie et y restaurer les valeurs républicaines bafouées.
Je ne doute pas qu’il aurait déployé dans la paix les mêmes éminentes qualités qu’il mit au service du combat contre l’occupant nazi : le courage, la droiture, l’énergie, la détermination, le sens de l’intérêt général et l’obsession de l’unité.
Car Verdier, organisateur hors pair, tout à la fois chef et médiateur, fut avant tout l’homme de l’unification de la Résistance dans le Sud-Ouest – un récent ouvrage le présente à juste titre comme le Jean Moulin de notre région – Résistance qui n’était alors, pour reprendre le mot de Malraux, qu’un « désordre de courages ».
Nous oublions souvent la méfiance, le ressentiment, et même parfois la haine que se vouaient les différents mouvement de Résistance, séparés qu’ils étaient par les ambitions personnelles ou les convictions politiques. Nous oublions le travail acharné qu’il fallut pour réunir des hommes et des factions si dissemblables.
J’ai célébré plus d’une fois, en Bretagne, la haute et claire figure d’Honoré d’Estienne d’Orves, l’un des premiers héros de la Résistance, officier de marine royaliste et catholique, marqué par les idées de l’Action française. François Verdier, lui, était un industriel, républicain et franc-maçon.
Mais quelle importance ont ces distinctions ? Comme le dit Aragon, « celui qui croyait au ciel / celui qui n’y croyait pas / tous deux adoraient la belle / prisonnière des soldats / fou qui songe à ses querelles / au cœur du commun combat / tous les deux étaient fidèles / des lèvres du cœur, des bras ».
Cette fidélité à la France, par-delà les convictions philosophiques ou politiques, qu’avait Verdier, engagé volontaire à dix-huit ans lors de la première guerre mondiale, le met au rang des héros de la Résistance dont elle est le commun dénominateur. Comme le disait Pierre Brossolette, évoquant les martyrs qu’il devait lui-même rejoindre, « ce qu’ils étaient hier, ils ne se le demandent point l’un à l’autre. Sous la Croix de Lorraine, le socialiste d’hier ne demande pas au camarade qui tombe s’il était hier Croix-de-Feu. Dans l’argile fraternelle du terroir, d’Estiennes d’Orves et Péri ne se demandent point si l’un était hier royaliste et l’autre communiste. Compagnons de la même Libération, le père Savey ne demande pas au lieutenant Dreyfus quel Dieu ont invoqué ses pères. Des houles de l’Arctique à celles du désert, des ossuaires de France aux cimetières des sables, la seule foi qu’ils confessent, c’est leur foi dans la France écartelée mais unanime ».
Mais cette foi ardente au nom de laquelle des hommes comme Verdier accordaient peu d’importance aux divergences politiques, tant que la patrie était sous le joug d’un occupant barbare, n’était hélas pas unanimement partagée. Dans les moments les plus difficiles, alors que les tensions entre les différentes factions devenaient si fortes que sa tâche lui semblait impossible, Verdier lui-même explosait, criant : « La Résistance est un repaire d’incapables… Les hommes sont admirables, mais quels exploiteurs autour d’elle ! Il faut créer un mouvement propre, indépendant, nouveau. »
Ce mouvement, il ne put le voir vivre : victime d’une trahison, il fut arrêté à l’hiver 1943 par les nazis. Et c’est ici que le trait le plus marquant de sa personnalité, celui que j’ai cité en premier parce qu’il les fonde tous – le courage – se révéla pleinement.
Nous ne pouvons pas savoir ce que fut son calvaire. Comme l’a dit un résistant hollandais torturé, « celui qui voudrait faire comprendre à autrui ce que fut sa souffrance physique en serait réduit à la lui infliger et à se changer lui-même en tortionnaire ». Tout juste pouvons-nous essayer d’imaginer.
Comme l’a rappelé Pierre Vidal-Naquet, « personne n’a le droit de jeter la pierre à ceux qui ont parlé, mais Verdier ne parla pas. Eût-il parlé que c’était toute la direction Résistance civile qui risquait de tomber aux mains de l’ennemi. Mais Forain ne parla pas ».
Comme Jean Moulin dont il est le digne compagnon, Verdier a tenu bon. Il a subi son martyre jusqu’au sacrifice final sans trahir un seul des secrets qui eussent irrémédiablement condamné la résistance toulousaine.
Quelle force peut pousser un homme à endurer stoïquement la souffrance et la mort ? Pourquoi et comment un homme devient-il un héros ?
Avec la distance des années, les grandes figures de la Résistance nous apparaissent comme des figures monumentales et granitiques, des êtres hors du commun, presque des surhommes.
Pourtant, Verdier, qui n’était ni un militaire, ni un aventurier, ni une tête brûlée, avait plutôt le profil de ces « pères tranquilles » dont on sait le rôle qu’ils jouèrent dans la Résistance. C’était un homme simple. « Ces gens simples », écrivait Bertold Brecht, « qui le sont si peu ». Écoutons Pierre Brossolette parler : « À côté de vous, parmi vous sans que vous le sachiez toujours, luttent et meurent des hommes – mes frères d’armes -, les hommes du combat souterrain pour la Libération. Ces hommes, fusillés, arrêtés, torturés, chassés toujours de leur foyer, coupés souvent de leurs familles, combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards, régiment sans drapeau dont les sacrifices et les batailles ne s’inscriront point en lettres d’or dans le frémissement de la soie mais seulement dans la mémoire fraternelle et déchirée de ceux qui survivront ; saluez-les. La gloire est comme ces navires où l’on ne meurt pas seulement à ciel ouvert mais aussi dans l’obscurité pathétique des cales. C’est ainsi que luttent et que meurent les hommes du combat souterrain de la France. Saluez-les, Français ! Ce sont les soutiers de la gloire ».
Pour comprendre la force qui a pu élever cet homme à une telle grandeur, il nous faut revenir au fil conducteur de tous les engagements de François Verdier – pour la cité, pour la cause des femmes, dont il fut un précurseur, pour la république espagnole, pour la Libération enfin : un goût passionné des autres, qui le rendait prodigue de tout, et d’abord de lui-même.
Pour citer à nouveau André Malraux, « le sentiment profond, organique, millénaire, sans lequel la Résistance n’eut jamais existé et qui nous réunit aujourd’hui, c’est peut-être simplement l’accent invisible de la fraternité ».
Le plus bel hommage que nous puissions rendre à François Verdier et à ses compagnons héroïques, célèbres ou anonymes, c’est de faire vivre ici et maintenant cette fraternité. Comme l’affirmait Honoré d’Estiennes d’Orves dans sa dernière lettre à ses enfants, « N’ayez à cause de moi de haine pour personne, chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaître et à comprendre mieux le caractère des peuples voisins de la France » .
Sachons porter cet élan aujourd’hui. Sachons nous montrer unis, malgré les crises, malgré la tentation du repli sur soi. Sachons nous montrer grands face à l’adversité. Sachons ensemble sauvegarder et transmettre l’héritage et les valeurs des générations qui nous ont précédés, pour construire ensemble un avenir digne de notre vieille nation.
Que François Verdier, qui mourut pour que vive la France, soit fier du pays pour lequel il a tout donné.
Vive la République !
Vive la France !
Pascal Mailhos
Préfet de la Haute-Garonne
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