Le charnier de Bordelongue

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Il s’appelaient Henri, Edmond, Jacques, André, Louis, Noël, Paul-Auguste, Raoul, Ernest, Roland, Édouard les premiers fusillés ; suivis à partir d’avril 1944 par Marcel, Jean, Maurice, Franck, etc. Au total ils sont 28, tous exécutés à la prison de Saint-Michel de Toulouse souvent après avoir été affreusement torturés… »

Jacques David,

Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance , 7 septembre 2019

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La « Stèle des Martyrs de Bordelongue »

Dissimulé derrière le périphérique toulousain, à proximité de l’ancienne usine AZF, le monument des martyrs de Bordelongue est un lieu de mémoire méconnu et très peu fréquenté.

Entre 1943 et 1944, les nazis se sont servis de cet endroit pour y jeter, loin de la ville, les corps de condamnés à mort de leurs tribunaux militaires.

Le 4 septembre 1944, le charnier est découvert par les autorités françaises sur les indications d’une fermière qui habitait à proximité. Madame Ramon a témoigné des allers-retours macabres, de ces corps qu’on enterre à la va-vite, le sang, partout autour.

Les corps de 28 résistants sont sortis de terre. Ils sont quasiment tous identifiés immédiatement, mais des doutes subsistent pour un corps. Il y avait néanmoins très peu d’informations sur l’activité judiciaire des nazis, ces derniers ayant donné peu d’éléments aux autorités françaises. Jugements et exécutions se firent dans la partie allemande de la prison Saint-Michel. La population française en fut informée par des avis ou entrefilets dans la presse qui suivaient régulièrement les séances du tribunal militaire allemand.

Les corps retrouvés à Bordelongue concernent une série de 5 jugements prononcés entre octobre 1943 et avril 1944 par le Tribunal d’état-major principal de liaison 564 (STAB 564) installé pour l’occasion dans l’enceinte de la prison Saint-Michel . Les jugements ont été suivis d’exécutions rapprochées à mesure que la politique répressive des autorités militaires allemandes s’accentue.

D’après les travaux de l’historienne Gaël Eismann, « 3 000 personnes – ont été – fusillées à la suite de condamnations à mort prononcées par les tribunaux militaires allemands » en France occupée (voir l’article : Gaël Eismann, Maintenir l’ordre. Le « Militärbefehlshaber in Frankreich » (MBF) et la sécurité locale en France occupée

Pourtant, aujourd’hui nulle plaque à la prison Saint-Michel pour rappeler le sort de ces vingt-huit résistants, très vraisemblablement fusillés en ses murs.

Le travail rigoureux du Maîtron des fusillés permet aujourd’hui d’en savoir plus sur le fonctionnement du tribunal militaire allemand à Toulouse :  prison Saint-Michel et charnier de Bordelongue, 9 novembre 1943 – 18 avril 1944

 

Condamnations du Tribunal d’état-major principal de liaison 564 pour « intelligence avec l’ennemi » ou « activité de franc-tireur et activité en faveur de l’ennemi »

Jugement du 24 octobre 1943.

Quatre jeunes résistants, étudiants toulousains pour la plupart, avaient rejoint le maquis de Bir Hakeim de l’Armée secrète en Aveyron puis dans l’Hérault. Le maquis fut attaqué par les nazis le 10 septembre 1943, deux maquisards furent tués et 4 autres furent capturés « les armes à la main ». Henri Arlet, 21 ans et André Vasseur, 21 ans furent arrêtés sous leurs fausses identités de « Hubert Arnaux » et « André Jaxerre». Jacques Sauvegrain, 22 ans et Edmond Guyaux, 21 ans, brillants élèves des classes préparatoires furent également capturés. Interrogés à Perpignan, ils furent conduits à la prsion Saint-Michel de Toulouse et jugés le 24 ocotobre 1943.

Le témoin, Madame Ramon, a pu assister à l’arrivée d’un camion allemand le 9 novembre 1943 au matin (elle a remarqué, après le départ des Allemands, qu’il y avait du sang frais près de la fosse.)

Les autorités allemandes annoncèrent leur exécution dans un avis publié dans La Dépêche du 13 novembre 1943.

Jugement du 2 décembre 1943.

Le tribunal prononça les condamnations à mort de trois résistants du Béarn (Basses-Pyrénées) pour « intelligence avec l’ennemi ».

Henri Fraisse, 30 ans, Henri Lacabanne, 34 ans et Louis Mantien, 24 ans furent exécutés le 28 décembre 1943.

Leurs corps furent déposés à Bordelongue dans la nuit du 27 au 28 décembre 1943 peu de temps après leur exécution (selon le témoignage de Madame Ramon)

 

Jugement du 4 décembre 1943

Neuf résistants du Lot-et-Garonne sont condamnés à mort. Tous furent arrêtés « activité de franc-tireur et activité en faveur de l’ennemi » par les services de la Gestapo d’Agen puis conduits à la prison Saint-Michel.

Ils sont exécutés un mois plus tard, le 5 janvier 1944 « puis le 5 janvier au matin, deux camions portant les corps des neuf membres d’un groupe de Lot-et-garonnais condamnés à mort le 4 décembre 1943 par un conseil de guerre allemand de l’armée du sud de la France comme « francs-tireurs et pour avoir favorisé l’ennemi et pris part à la résistance armée contre l’armée allemande » (jugement envoyé le 10 janvier 1944 au Préfet à Agen, 5278 W5 – Archives départementales de Haute-Garonne)

Les autorités allemandes annoncèrent leur exécution dans un avis publié dans La Dépêche du 17 janvier 1944.

  • Ernest COUDERC, 46 ans
  • Louis COULANGES, 46 ans
  • Aurélien DESBARATS, 56 ans
  • Rolland GOUMY, 27 ans
  • Maurice LASSAUQUE, 35 ans
  • Adrien PORTE, 37 ans
  • Noël PUJOS, 44 ans
  • Paul QUANDALLE, 35 ans
  • Raoul ROGALE , 45 ans

 

Jugement du 8 avril 1944

Neuf résistants originaires de l’Aude, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, de la Gironde et du Lot-et-Garonne  furent condamnés à mort. Le même jour, ces derniers furent fusillés comme  otages après un attentat commis à Toulouse le même jour. La procédure fut particulièrement rapide.

  • Émile BÉTEILLE, 35 ans
  • Roger ARNAUD, 30 ans
  • Fernand DUCÈS, 54 ans
  • Paul MATHOU, 22 ans
  • Jean BLANCHETON, 35 ans
  • Jean BRISSEAU, 34 ans
  • Pierre DUBOIS, 32 ans
  • François LAGUERRE, 34 ans
  • Roger LÉVY, 43 ans

 

La lettre de Paul Mathou nous apporte un éclairage sur la façon dont se sont déroulés les événements le 8 avril 1944.

« Bien chers parents chéris,
Et petite mère chérie,
Lorsque vous recevrez cette lettre, vous serez bien attristés, mais j’espère que vous supporterez l’épreuve aussi bien que je la supporte. Il y a une demi-heure, j’ai été condamné à mort par la cour martiale allemande. Je m’en serais peut-être sorti mais il y a eu un attentat à Toulouse et je crois que nous sommes pris comme otages. Nous sommes neuf qui devons être exécutés aujourd’hui, à 17 heures. Il y a onze jours que je m’attendais à cela. J’ai été amené de Banios, le 29 mars à 8 heures. Je n’ai pas pu m’échapper car j’ai été blessé à l’épaule. Ils m’ont emmené à Tarbes en camion et j’ai été soigné en arrivant, je n’ai pas souffert. Trois jours après, le 1er avril (ce poisson) ils m’ont emmené à Toulouse et j’ai été mis en cellule. La nourriture n’était pas mauvaise…… Censure. On m’a fait raser, on m’a donné une chemise propre et vers 10 heures, on m’a emmené devant le tribunal. La séance a duré une heure et quarante minutes. On nous a distribué des colis de la Croix-Rouge. Nous avons fait un excellent repas, le dernier, tous les neuf, bons Français et bons camarades. Personne ne s’est plaint. Nous avons tous accepté notre sort avec courage. Nous sommes tous les neuf dans une même pièce. Nous faisons notre courrier. Nous avons touché cinq cigarettes et je vous écris en fumant ma deuxième. Je supporte mon sort avec courage, je suis prêt à affronter la mort. J’ai fait mon examen de conscience, je meurs, en bon Français. Je me suis montré toujours attaché à ma France si belle que j’aime tant.
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Jugement du 18 avril 1944.

Trois résistants du Lot, Charles BOIZARD, 22 ans, Émile COIRY, 23 ans et  Georges LARRIVE, 21 ans sont jugés et exécutés à l’issue de la séance.

Madame Ramon témoigne avoir vu les trois corps jetés dans la fosse le 18 avril à dix-huit heures.

 

 

Stèle des Martyrs de Bordelongue, dos

Stèle des Martyrs de Bordelongue, dos

 

 

 

MÉMOIRE

 

Une cérémonie est organisée chaque année par le Comté d’entente des anciens combattants du quartier de Lafourguette et l’association des familles de fusillés autour de la date anniversaire de la découverte du charnier le 7 septembre 1944.

La « stèle des Martyrs de Bordelongue » est située le long du périphérique, au bout d’une impasse fermée par une grille. Autant dire, inaccessible la majorité du temps. Les noms de ces 28 résistants sont rappelés à ce seul endroit.

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Jacques David, Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance

Jacques David, Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance

75 ans après, le 7 septembre 2019 une cérémonie était organisée.

Discours de M. David, parent de Jacques Sauvegrain fusillé le 8 novembre 1943.

Il s’appelaient Henri, Edmond, Jacques, André, Louis, Noël, Paul-Auguste, Raoul, Ernest, Roland, Édouard les premiers fusillés ; suivis à partir d’avril 1944 par Marcel, Jean, Maurice, Franck, etc. Au total ils sont 28, tous exécutés à la prison de Saint-Michel de Toulouse souvent après avoir été affreusement torturés.

Les plus jeunes avaient 21 ans beaucoup n’avaient pas dépassé la trentaine, le plus âgé, un peu plus de 50 ans.

Ils étaient étudiants, employés, ouvriers, commerçants, agriculteurs, serrurier, fonctionnaires, officier de réserve, chef de gare… A vingt-huit, ils représentaient une France dont ils ne voulaient pas voir la flamme s’éteindre. Leur conscience et leur patriotisme ne l’auraient pas souffert.

Vous ne les connaîtriez pas si leurs noms ne figuraient pas sur cette stèle. La plupart ne sont pas sur les pages des livres d’histoire, ils ne portaient pas d’uniforme, ce sont des combattants anonymes dont l’engagement a d’abord été le fruit d’une prise de conscience individuelle. Ils ont été bien vite rejoint par d’autres… et de constater « qu’ils étaient vingt et cent, qu’ils étaient des milliers » comme l’a chanté Jean Ferrat

Ces combattants de l’ombre qui n’ont jamais si bien mérité leur nom se sont levés nombreux dans le Sud-Ouest. J’en profite pour saluer les représentants de l’ANACR de Lot et Garonne et en particulier Mme Carmen Lorenzi, jeune résistant de la 35e brigade FTP-MOI, 13 martyrs sur les 28 sont issus de ce département ! Mais c’est toute la Résistance qui a payé un lourd tribut comme le montre ce monument.

A l’engagement individuel initial a succédé ensuite la participation, plus efficace face à l’ennemi nazi, aux mouvements de Résistance : Les martyrs de Bordelongue appartenaient : au Maquis de Bir-Hakeim, Main d’œuvre Etrangère Immigré (MOI), Réseau Hilaire Wheelwright du SOE, Maquis FTP, réfractaires au STO etc. Plusieurs se sont battus les armes à la main, d’autres prenaient en charge des aviateurs alliés pour les faire passer en Espagne… Tous ont contribué à la Libération de la France du fascisme et de l’envahisseur !

Simone Veil décédée déclarait :

« Je n’aime pas l’expression devoir de mémoire. Le seul «devoir» c’est d’enseigner et de transmettre. »

Ce devoir ne doit jamais s’oublier. Les raisons des combats de la Résistance ne se sont pas éteintes le 8 mai 1945. Ces actes glorieux de patriotisme : combattre les armes à la main pour libérer territoire, exfiltrer des aviateurs alliés vers l’Espagne, récupérer un parachutage ou transmettre un message, donnent aux jeunes de 2019 la force de leur combat d’aujourd’hui. Le nationalisme qui mène TOUJOURS a la guerre renaît en plusieurs endroits en Europe. Que le combat de la RESISTANCE ne s’éteigne pas. Il est toujours d’actualité !

 

Jacques DAVID

Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance

 

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Texte et photos E. Leroy

La prison Saint-Michel pendant la guerre

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Si toute prison recèle, par nature, un trésor d’histoires secrètes, mêlées de souffrances, de violences et de larmes, la prison Saint-Michel a cela d’exceptionnel d’avoir été pendant la seconde guerre mondiale une pièce essentielle de la répression qui en fait aujourd’hui un haut lieu de mémoire.

Photo0341Cette prison était le lieu d’enfermement de tous ceux que le régime de Vichy considérait comme les responsables de la défaite et les ennemis du nouveau régime de « révolution nationale ». Ainsi, prisonniers politiques, étrangers, dont beaucoup d’Espagnols, des Juifs étrangers, hommes, femmes et enfants furent jetés dans les geôles de Saint-Michel. A partir de novembre 1942, l’occupation allemande en fait l’un des lieux de souffrance de toute la région. L’ensemble des résistantes et résistants arrêtés dans les 9 départements que comptait la région R4 (région militaire de Toulouse définie par la résistance) étaient invariablement conduits à la maison d’arrêt de Toulouse.

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Plaque extérieure sur la façade de la prison

La cour du Castelet a abrité des regards indiscrets l’exécution du chef de la brigade FTP-MOI Mendel Marcel Langer, guillotiné. Les tours ont dissimulé les cours martiales de la milice française qui expédiaient la justice contre les « terroristes », systématiquement condamnés à mort et exécutés dans la foulée. Dans les derniers jours de l’Occupation, les prisonniers ont été considérés comme témoins gênants, au même titre que les documents compromettants, et 54 d’entre eux ont été fusillés et brûlés en forêt de Buzet-sur-Tarn. Interrogatoires, tortures, mauvais traitements, déportations, exécutions, faim et froid ont été le quotidien de ceux qui eurent à connaître les cachots de la prison Saint-Michel.

Le régime de Vichy

Avant l’arrivée des Allemands à Toulouse, la prison Saint-Michel permettait d’enfermer tous ceux qui étaient jugés dangereux pour la sécurité intérieure de l’Etat, principalement des militants communistes, des étrangers et des Juifs. A mesure que la législation répressive du régime de Vichy est mise en place la prison se remplit. Politiques et prisonniers de droit commun se côtoient dans l’exiguïté des cellules de la maison d’arrêt.

Angèle Del Rio BettiniAngèle_1940 est la plus jeune prisonnière politique de Saint-Michel, arrêtée après une opération retentissante de tracts dispersés depuis un immeuble de la rue Alsace-Lorraine sur la foule rassemblée autour du convoi du Maréchal Pétain en visite à Toulouse le 5 novembre 1940. Angèle est enfermée quelques mois dans le quartier des femmes dans une grande cellule commune. Parmi ces femmes arrêtées pour prostitution et autres délits de droit commun, elle partage sa paillasse avec Batia Mittelman et son nourrisson. Libérée au bout de quelques mois, Angèle fut de nouveau arrêtée en raison de la loi du 22 juillet 1940 qui la déchoit de sa nationalité française. Angèle connaît alors une autre forme de détention et de répression dans les camps d’internement de la région pendant quatre longues années.

La législation antisémite du régime de Vichy, en particulier les statuts des juifs d’octobre 1940 et juin 1941, contribue largement à remplir la prison de Juifs étrangers qui sont ensuite envoyés vers les camps d’internement. La loi permet aux préfets d’interner les Juifs français. Les rafles s’intensifient au cours de l’hiver 1941-1942 et les premiers convois vers les camps de la mort partent de la région dès l’été 1942.

La prison sous occupation allemande

Le 11 novembre 1942, les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et envahissent la zone sud, au prétexte du débarquement allié en Afrique du Nord. Les nazis s’installent dans Toulouse et réquisitionnent hôtels, grands immeubles, bâtiments et prisons. Ils prennent alors le contrôle d’une partie de la prison Saint-Michel qui est divisée en deux sections, l’une française et l’autre allemande.

En l’état des connaissances actuelles, marqué par l’absence d’archives, en particulier des registres d’écrou allemands, il semble que deux des cinq quartiers étaient sous contrôle exclusif allemand. Le témoignage précis d’un détenu interrogé peu après la guerre rapporte que les quartiers II et III, rez-de-chaussée et étage, composaient la section allemande.(Archives de la Commission d’enquête des crimes de guerre, témoignage de Jacques Quintana, Archives départementales de la Haute-Garonne). Un témoin, resté anonyme, évoque trois quartiers dédiés aux Allemands dans un article intitulé « Souvenirs de Saint-Michel », la République daté du 21 août 1944.

Collection Archives municipales de Toulouse

« ma 1ère cellule » François Verdier à sa femme Jeanne. Collection Archives municipales de Toulouse

Les résistants arrêtés dans une même affaire étaient toujours séparés. Il n’y avait quasiment pas de communication ni avec l’extérieur ni entre les détenus, par peur des « moutons », des délateurs au service de la police. L’isolement était quasi total, les détenus de cellules différentes n’ayant aucun moment commun. Les toilettes se faisaient cellule après cellule. Les conditions de vie y étaient très précaires, surtout pour ceux qui ne recevaient pas de colis. Les témoignages des prisonniers abordent tous le sentiment de faim intolérable. Les prisonniers, trop nombreux, dorment sur le sol, dans de grandes cellules ou dans des cellules conçues pour une seule personne, où ils dorment à six. Certains reçoivent des colis de vêtement de rechange ou de denrées. Le service social de mouvements de Résistance organise parfois l’aide aux résistants arrêtés, et transmet quelques pauvres colis. Le grand mathématicien Albert Lautman, membre du réseau Françoise et responsable de l’Armée secrète en Haute-Garonne, est arrêté le 15 mai 1944 alors qu’il vient déposer un colis à la prison pour son frère. François Verdier reçoit lui aussi des colis tout d’abord de sa femme Jeanne, puis de ses amis proches après l’arrestation de cette dernière.

La prison, antichambre de la déportation

Alfred Nakache (1915-1983)

Alfred Nakache (1915-1983)

Pendant l’hiver 1943-1944, les arrestations se multiplient. Des enfants se retrouvent avec leurs parents en prison. C’est le cas du champion de natation Alfred Nakache enfermé à Saint-Michel avec sa femme Paule et leur fille de 2 ans après avoir été dénoncé comme Juif à la Gestapo, la police allemande, en novembre 1943. La famille est déportée au camp d’extermination d’Auschwitz. Seul Alfred a survécu.

Archives départementales de Haute-Garonne - photo G. Drijard

« Remis aux autorités allemandes » – Registre d’écrou – Archives départementales de Haute-Garonne – photo G. Drijard

Le nombre d’arrestations est également représentatif de la montée en puissance de la Résistance. La présence à Toulouse de la 35e brigade FTP-MOI et du Réseau Morhange accentuent l’angoisse des autorités allemandes par la multiplication des disparations d’agents, de miliciens, de collaborateurs, des attentats contre les soldats du Reich, et autres actions d’éclat. Les nazis accentuent la répression et remplissent frénétiquement les cellules. La prison est rapidement surpeuplée. Mais les cachots de Saint-Michel se vident très régulièrement au rythme des convois qui partent de la gare Raynal.

Raymond Naves, professeur de lettres et chef de la Résistance désigné comme futur maire de Toulouse libérée, est arrêté le 24 février 1944 par la Gestapo. Il est emprisonné jusqu’en avril avant d’être déporté à Auschwitz où il meurt de maladie et d’épuisement deux semaines plus tard. La cadence de rotation des détenus est ainsi très élevée. L’enquête des services allemands terminés, le suspect est désigné pour la déportation, à un degré différent selon les cas, NN (« Nacht und Nebel » nuit et brouillard, afin que nul ne sache ce qu’il est devenu) ou part en direction d’un camp de concentration-extermination. Les détenus voués à la déportation quittaient apparemment leur cellule l’après-midi pour rejoindre en camion bâché la gare Raynal, transitaient par les camps de Drancy ou Compiègne, puis vers l’Allemagne ou la Pologne, Auschwitz, Dachau, Ravensbrück ou Mauthausen…

Conchita Grangé Ramos

Conchita Grangé Ramos

Une jeune résistante ariègeoise, Conchita Grangé Ramos a ainsi été arrêtée en mai 1944,  conduite à Saint-Michel puis à la caserne Compans Caffarelli avant déportation. Elle a connu le sinistre convoi parti de Toulouse le 2 juillet 1944. Ce convoi a vidé une partie de la prison Saint-Michel, hommes et femmes confondus, les malades et vieillards du camp de Noé et du camp du Vernet d’Ariège.

Jacob Insel  Collection ADHG

Jacob Insel, tué le 19 août 1944 dans le convoi du Train fantôme, détenu à Saint-Michel de décembre 1943 à juillet 1944.
Collection ADHG

Le trajet a duré deux mois entre Toulouse et Dachau. Ce convoi a été surnommé le « train fantôme » : transportant 800 personnes, il a erré sur des voies bombardées par les Alliés entre juillet et août 1944. Des dizaines de prisonniers furent tués, d’autres sont parvenus à s’évader par le plancher. Mais Conchita Ramos, elle, n’a pu se soustraire au camp de Ravensbrück où elle a vécu le pire des cauchemars.

Exécutions à la prison Saint-Michel

L’exécution la plus célèbre est sans nul doute celle de Mendel Marcel Langer, fondateur de la 35e Brigade FTP-MOI, guillotiné. L’arrestation, les interrogatoires, la condamnation, l’emprisonnement de Langer est une affaire exclusivement française, à laquelle les Allemands ne se sont pas mêlés.

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Archives départementales HG3808_W_18_carte identité étranger

Marcel Langer avait été arrêté le 6 février 1943 à la gare Saint-Agne après avoir réceptionné une valise contenant des explosifs. Arrêté par un gardien de la paix, conduit au commissariat de la rue du Rempart, interrogé, battu, il n’a reconnu que ce que les policiers savaient déjà. C’est-à-dire peu de choses. Jugé par la section spéciale de la Cour d’Appel de Toulouse, il est condamné à mort après un réquisitoire sévère du procureur. Condamné à la peine capitale pour simple transports d’explosifs, il l’est surtout parce qu’étranger, juif, militant communiste, et désormais « terroriste ».

Marcel Langer en 1944 Archives départementales de la Haute-Garonne

Marcel Langer en 1943
Coll. ADHG

Le 23 juillet 1943, la guillotine est élevée dans la cour d’honneur de la prison. Les « bois de justice » ont été amenés de Paris par le bourreau en titre. A l’aube, magistrats, avocats, rabbin attendent Marcel Langer. Installé dans une cellule dédiée aux condamnés à mort, Marcel Langer quitte sa geôle sous la rumeur qui se répand de cellule en cellule. Les murmures se font de plus en fort et la clameur de la Marseillaise finit par accompagner les pas de Langer. Ses codétenus entonnent alors avec force le chant patriotique. Selon les témoignages du rabbin, de l’avocat, et même du président de la Cour d’appel, le courage de Langer a été d’une rare expression.

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Le poteau d’exécutions de la prison

La cour d’honneur, dite du Castelet, a également été le décor des simulacres de justice orchestrés par la milice de Vichy et ses cours spéciales. Cette « juridiction » n’aboutissait qu’à la peine capitale. L’inculpé n’avait pas d’avocat.

Enzo Godéas

Enzo Godéas

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Registre d’écrou de la prison – coll. Archives départementales de Haute-Garonne – photo Guillaume Drijard

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Collection Musée de la résistance et de la déportation de Haute-Garonne

Le jeune Enzo Godéas, combattant de la 35e brigade FTP-MOI avait été arrêté après une action contre un cinéma du centre-ville qui diffusait des films antisémites en mars 1944. Gravement blessé au cours de l’opération, il avait été jeté en cellule sans soin. Ses camarades de la brigade, emprisonnés également, étaient parvenus à trouver des complicités pour le soulager. Puis, ils imaginèrent pouvoir le sauver en aggravant son état de santé, pour qu’il ne soit pas fusillé. Ils n’imaginaient pas qu’un homme qui ne tenait plus debout, puisse l’être. Mais le 23 juin 1944, Enzo Godéas est traîné dans la cour, où, enchaîné à une chaise, il meurt sous les balles d’un peloton de gardes mobiles français (GMR). Enzo Godéas avait 19 ans.

Côté allemand, la fin de la détention était également expéditive. Des prisonniers pouvaient rester enfermés des semaines voire des mois, au secret ou dans des cellules communes, alternant les interrogatoires au siège de la Gestapo à quelques centaines de mètres, ou parfois au sein même de la prison.

Le chef de la Résistance régionale, François Verdier, dit Forain, patron des Mouvements unis de Résistance, vécut ainsi une détention de 44 jours rythmés par les interrogatoires et l’isolement. Arrêté dans un coup de filet de la police allemande qui fit plus de 110 arrestations dans la région, il n’a jamais rien avoué. Dans son « journal carcéral » qu’il a soigneusement protégé, Verdier raconte ses longs interrogatoires, sa vie entre terreur, peur pour sa famille et pour sa vie. Le 27 janvier 1944, deux policiers allemands l’extraient de sa cellule et le conduisent discrètement en forêt de Bouconne. François Verdier est abattu le long d’un chemin forestier et une grenade fait exploser son visage.

aFF hvs 564 _dafanch98_numl000226_2Le Tribunal militaire allemand (Commandement HVS 564) s’est réuni à cinq reprises dans la prison et a condamné 28 résistants à mort. Des recherches récentes montrent qu’ils auraient été fusillés dans l’enceinte de la prison et leurs corps ensevelis discrètement à l’extérieur de la ville, à Bordelongue.

La Gestapo s’embarrassait de moins de moins de procédures : les forêts de Bouconne et de Buzet-sur-Tarn ont ainsi été le théâtre d’exécutions lâches et discrètes et il n’était pas rare qu’elle fasse usage du moindre fossé pour se débarrasser d’un témoin trop encombrant. Telle fut l’expérience vécue par le résistant René Cabau qui après avoir été laissé pour mort dans un fossé, a réussi à sauver sa vie malgré une balle dans la tête.

Les massacres

Par deux fois, les Allemands ont secrètement extrait des groupes de prisonniers pour les exécuter dans des forêts alentours. Le 27 juin 1944, quinze résistants enfermés à Saint-Michel depuis des semaines sont sortis par petits groupes de la prison. Nulle question pour eux de déportation. Ils sont conduits dans des camions ou dans des voitures en direction de Castelmaurrou, dans le nord-est toulousain. Là, certains poursuivent leur chemin vers un petit bois au milieu des champs, le bois de la Reulle, tandis que d’autres sont amenés au bar du village, sous la garde de soldats de la division SS das Reich. Arrivés au bois, les Allemands leur donnent des pelles et des pioches et les contraignent à creuser leur propre tombe. Les résistants sont ensuite exécutés par des rafales de mitraillettes. Un homme est parvenu à leur échapper, un Espagnol, Jaïme Soldevilla qui a pu témoigner après la guerre.

Le 17 août 1944, deux jours avant la Libération, ce sont 54 prisonniers qui sont extirpés de Saint-Michel. Il semble qu’ils aient tous quitté la prison en même temps, en fin d’après-midi. Le convoi était formé de deux voitures particulières, à leurs bords des officiers allemands et la Gestapo, et de trois camions dont certains bâchés transportant les soldats allemands et leurs 54 prisonniers. Nous ne disposons que de très peu d’éléments sur ce massacre. Certains témoins évoquent également la présence de deux femmes. Les prisonniers sont amenés en bordure d’une forêt, à Buzet-sur-Tarn, près d’un lieu où il y avait déjà eu des massacres en juillet 1944.

Francisco Ponzan Vidal, passeur de 33 ans, arrêté en avril 1943.

Francisco Ponzan Vidal, passeur de 33 ans, arrêté en avril 1943, tué à Buzet le 17 août 1944.

Les détenus sont fusillés dans une grange et dans une écurie et leurs corps brûlés. Un témoignage rapporte que les Allemands sont restés toute la nuit pour attiser le feu. Parmi les suppliciés, de nombreux résistants, mais aujourd’hui encore 35 personnes ne sont pas identifiées. Un élément de corset féminin a été retrouvé dans les cendres mais n’a pas permis d’identification. De nombreux petits objets personnels, comme des bijoux, ont également été retrouvés.

Libération de la prison

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Deux jours plus tard, le 19 août les gardiens allemands quittent progressivement, non sans désordre, la prison. Les gardiens français se retrouvent seuls. Des clefs de cellule commencent à circuler, timidement d’abord, plus rapidement ensuite à mesure que les familles de prisonniers tambourinent à la porte d’entrée. Les premiers détenus s’échappent, courent se réfugier dans les rues avoisinantes, les jardins. Au fil de la matinée, le mouvement s’accélère, les ex-détenus sont devant la prison, prenant garde tout de même aux rafales qui s’échangent dans la ville et aux convois allemands qui passent. Parmi les prisonniers, l’ancien ministre et journaliste, André Malraux, qui raconte cet épisode dans ses « anti-mémoires » et crée ainsi une légende autour de la libération de la prison Saint-Michel. Légende tenace perpétuée encore aujourd’hui. Une autre légende circule toujours :celle qui affirme que ce sont les femmes qui auraient libéré la prison. Cette version repose sur la présence aux portes de la prison des épouses, des sœurs, des compagnes parmi les proches qui souhaitaient voir sortir les prisonniers.

 

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Les lendemains de la Libération à Toulouse

La prison se remplit de nouveau dans les semaines qui suivent la Libération. Les FFI (Forces françaises de l’Intérieur) ont procédé à de très nombreuses arrestations. C’est au tour des personnes soupçonnées de collaboration d’être entassées dans les cellules de Saint-Michel, rapidement saturées. Les camps de Noé, du Vernet d’Ariège ou du Récébédou sont également vite remplis, le temps que la justice de la Résistance s’organise. Des commissions d’épuration sont créées pour faire le tri parmi les arrestations qui s’enchaînent. Les cas les plus graves sont jugés dès le 2 septembre 1944 par des juridictions militaires. La Cour de justice de Toulouse fonctionne d’octobre 1944 à 1953, examinant les cas d’intelligence avec l’ennemi et les cas de collaboration les plus graves, pour l’ensemble de la région. Les prévenus sont détenus à la prison Saint-Michel.

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Procès Marty (en bas à droite) – Archives départementales de Haute-Garonne

Le procès le plus retentissant de la collaboration fut celui de Pierre Marty, intendant régional de police à Toulouse en mai 1944. Il était à la tête d’une équipe surnommée « la brigade sanglante ». Marty a multiplié les infiltrations de la Résistance, organisant la trahison et les pièges, participant aux attaques contre les maquis aux côtés des nazis. Avant d’arriver à Toulouse, il avait détruit une partie de la Résistance dans la région de Montpellier en travaillant étroitement avec les services de la Gestapo. C’est un modèle de l’ultra-collaboration. La rumeur publique se répandait que Marty ne serait jamais jugé à Toulouse (Marty a été arrêté en Allemagne par les Américains). En 1948, les Toulousains furent soulagés quand ils le surent enfermé à la prison Saint-Michel. Marty a été condamné à mort par la Cour de justice de Toulouse et fusillé en 1949.

Mémoire

Une cérémonie du Souvenir a lieu chaque année le 19 août dans la cour intérieure de la prison.DSCN1671

 

Cérémonie 1945, Jean-Pierre Vernant, par Jean Dieuzaide

Cérémonie 1945, Jean-Pierre Vernant, par Jean Dieuzaide

Aujourd’hui, à marcher sur les galets de la cour d’honneur, encadrée par ces tourelles à créneaux et ces murs de briques rouges, il est difficile de ne pas penser au sang qui a coulé, à la souffrance et à la peur. Si l’ensemble du bâtiment est aujourd’hui inaccessible aux visiteurs, la cour d’honneur, dite cour des fusillés, garde en son sein la mémoire de toutes celles et tous ceux qui sont passés entre les murs de la prison Saint-Michel pendant la guerre.

Elérika Leroy

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A lire et à écouter : Une prison à Toulouse

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Écouter les entretiens réalisés par Pierre Lasry:

Jeanine Messerli

Angèle Del Rio Bettini

Michèle Cros Dupont

Freddy Szpilvogiel

Lucien Vieillard

Monique Lise-Cohen

Monique Delattre Attia

Alain Verdier

Yvette Benayoun-Nakache

Charles Epstein

En savoir plus en consultant la plaquette réalisée par le Musée de la Résistance et de la Déportation de Haute-Garonne.

projet actuel du Castelet (seule partie de la prison sauvegardée grâce à la mobilisation du Comité de quartier Saint-Michel et ses habitants):

La Dépêche du 21 décembre 2017

Le Parisien du 29 août 2017

Libération de la prison Saint-Michel – commémoration

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Prison st Michel Plaque exterieureLa prison Saint-Michel a été libérée au cours de la journée du 19 août 1944 à la faveur du chaos général qui régnait dans la ville abandonnée par les Allemands.

Des prisonniers dans leurs cachots et des familles de résistants ont convaincu les gardiens français d’ouvrir les portes de cette sinistre prison.

La prison Saint-Michel a été un des lieux de répression majeur dans la région des Pyrénées. Toutes celles et tous ceux qui avaient été arrêtés pour des activités de Résistance, du Lot et Garonne aux basses Pyrénées, de l’Aveyron à l’Ariège, étaient directement conduits à Saint-Michel. Ses murs et ses pavés ont vu défiler tous ceux qui étaient bannis par le régime de Vichy et par les nazis: étrangers, Juifs, résistants, communistes, hommes, femmes et parfois même enfants.

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La cour martiale de la milice a jugé et fusillé plusieurs résistants dans cette enceinte. Nombre de patriotes ont été discrètement extraits pour être fusillés par les nazis dans des lieux discrets, comme les forêts de Buzet ou de Bouconne, ou encore à Bordelongue.

De nombreux prisonniers ont été déportés depuis la prison Saint-Michel.

La prison Saint-Michel est un haut-lieu de mémoire de la Résistance et de la Déportation à Toulouse.

Conchita Ramos et Angèle Bettini. Conchita fut arrêtée pour ses activités de résistance puis déportée au camp de Dachau par le convoi du Train fantôme en juillet 1944. Angèle était la plus jeune femme de la prison quand elle a été arrêtée en décembre 1940, elle a ensuite été déportée dans les camps du Récébédou, de Brens et de Gurs.

Conchita Ramos et Angèle Del Rio Bettini en 2010.
Conchita fut arrêtée pour ses activités de résistance puis déportée au camp de Dachau par le convoi du Train fantôme en juillet 1944.
Angèle était la plus jeune femme de la prison quand elle a été arrêtée en décembre 1940, elle a ensuite été internée dans les camps du Récébédou, de Brens et de Gurs.

Journal carcéral de François Verdier

Collection Archives municipales de Toulouse
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François Verdier est arrêté le soir du 13 décembre 1943 et immédiatement conduit au siège de la Gestapo. Il est transféré par la suite à la prison Saint-Michel. D’abord placé à l’isolement, il alterne les jours et les nuits dans des cellules avec d’autres prisonniers ou conduits pour interrogatoire à la Gestapo et dans les caves de cette sinistre villa.

 

Journal carcéral

Voici ici les mots retranscrits du journal carcéral de François Verdier du 6 au 26 janvier 1944, veille de son exécution.
Ce « journal carcéral » est composé de bouts de papier, dont une lettre adressée à son fils et son enveloppe qu’il avait pu garder dans sa poche. Puis le papier devenu bien précieux, François Verdier écrit sur du papier hygiénique et des feuilles de cigarette. Le jour où François Verdier a quitté sa cellule, il a dû soigneusement le ranger avec sa paillasse. Toujours est-il que ses derniers mots furent retrouvés dans le colis envoyés de la prison avec ses effets personnels. Odette Dupuy se souvient précisément du jour où le colis fut remis à son père à Saint-Orens.

Le crayon utilisé par François Verdier en prison, retrouvé dans le colis après sa mort.

Le crayon utilisé par François Verdier en prison, retrouvé dans le colis après sa mort.

François Verdier ne perd pas de vue le danger potentiel que représentant ses écrits. Souhaitant protéger sa famille, ses amis, la Résistance… ses courriers ne parlent que d’amour et traduisent le besoin de se raccrocher à la vie, de dire à quel point il aimait les siens et la vie même. Ces derniers mots sont ses derniers contacts avec la vie.
Ses courriers traduisent aussi sa profonde solitude face aux sévices et autres tortures qu’il endure. Par ses derniers mots, il dit à ses amis et à sa femme, qu’il a choisi de tout nier, jusqu’au bout.

 

Les mots de François Verdier

Collection Archives municipales de Toulouse

Collection Archives municipales de Toulouse

« Mes chéries,
Noël et le jour de l’an sont passés, augmentant encore le déchirement atroce d’une séparation aussi brutale, aussi féroce qu’inattendue.
Toi, ma Jeanne adorée, en prison. Toi, toute de bonté, de sourires, de finesse et d’esprit en prison ! Mais pourquoi cette injustice. Sur la foi de quelle odieuse calomnie. Et notre adorée petite, l’objet précieux de tous nos soins, notre raison d’être et de vivre. Seule et perdue, ignorant tout de la félonie et du machiavélisme des hommes et ne comprenant pas pourquoi son Papa et sa Maman ne sont pas près d’elle pour la choyer encore. Je pense ardemment à vous deux. J’y pense en pleurant à toutes les minutes de ces interminables journées de cellule. J’y pense en maudissant les êtres inconnus auxquels je dois cette honte et ces souffrances insensées.

Je n’ai jamais rien fait de mal, contre personne, tout occupé de nous et rien que de nous. Je suis cependant accusé de terrorisme.*souligné dans la lettre par François Verdier Oui, vous avez bien lu, de terrorisme. Moi, accusé de terrorisme. Tout mais pas cette odieuse chose qui consiste à abattre dans l’ombre. Tout mais pas ça n’est-ce pas ! Moi qui ne rêve que d’amour et qui ne vis que pour les miens. Je suis innocent je le jure, de l’infâme accusation. J’espère arriver à le prouver à mes juges qui hélas ne me connaissent pas.

Je suis accablé et j’ai peur de n’être pas compris. J’ai peur de ne pas vous revoir ou de ne pas nous revoir avant longtemps. Bientôt, ma Jeanne aimée, toi tu sortiras de prison. Reprends vite notre fille. Fuyez la ville et les méchants maudits. Vivez jalousement toutes deux et pensez à Papa qui, tout innocent, ne sait rien de ce qu’il va devenir. Et aimez sa mémoire s’il lui arrivait malheur. Il n’a vécu que pour vous et pour votre bonheur. La calomnie l’atteint. Mais pour vous qui le connaissez bien, sachez qu’il est innocent, qu’il est père et mari rempli de tendresse et rien que cela. Si je pouvais sortir, j’irais loin, très loin de ces mensonges, de ces dénonciations, mais je ne sais rien de ce qui m’attend. Je suis à toutes les minutes près de vous, avec vous. Je suis comme fou. Je vous aime et mon cœur est tout déchiré. Ah ! savoir d’où vient, de qui vient tout ce mal.
Ma Jeanne adorée, ma Mounette chérie, mon pauvre Jacques, personne au monde ne souffre comme moi.
Ma Jeanne, ma Mounette, je vous aime, je vous aime. Je suis innocent de tout. Je pense le faire admettre. Soyez heureuses autant qu’une situation aussi navrante puisse permettre de l’être. Je ne sais pas ce que sera pour moi demain. Mais quels affreux moments.
Si cette lettre vous parvient, sachez qu’elle est le meilleur, le plus tendre de moi.
Je vous aime, je vous aime, je vous aime
Papa
6 janvier
M. Couronne a des fonds de la Société, demandez en, il y avait je crois de grosses disponibilités au Crédit Lyonnais. Couronne est au courant de ces rentrées dont je lui avais dit de tout garder. »
7 janvier. Peut-être vais-je sans vous revoir, partir pour Fresnes, Compiègne ou l’Allemagne. Je ne suis qu’un peu plus navré. Je vous aime, tachez de savoir par la Croix rouge ou par (illisible) Je vous aime.
9 janvier. On recommence mon interrogatoire en s’acharnant à me considérer toujours comme un grand chef. Je pleure d’impuissance à faire entendre raison et de douleur. Le soleil brille cependant et il fait beau. J’ai affreusement mal à l’âme. Je vous aime.

 

Collection Archives municipales de Toulouse

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12 janvier. Va-t-on me laisser vivre ? En attendant, je souffre au-delà de toute expression. Physiquement et moralement. L’accusation persiste, odieuse et fausse et le danger de mort. Si je meurs, sachez encore mes grands amours, mes prodigieuses amours, que vous étiez tout, tout et tout pour moi.
Maman élève notre fille. Mon Dieu que je vous ai aimées et que je vous aime. Pensez à moi aux jours de grands souvenirs. Soyez heureuses dans un monde calmé. Que Jacques devienne un homme. Mais vous, vous que j’ai idolâtrées, reprenez un peu de sérénité. Maman, Minnie, mes femmes je vous aime, je ne verrai que vous au grand moment. Je suis innocent.
Je vous aime. Vivez et souvenez-vous de Papa.
14 janvier. Toujours au secret. Je t’ai fait passer hier Maman un petit capuchon. Ma chère petite aimée. Notre Mounette. J’attends. Je vous aime. Je viens d’être interrogé !On me tient toujours pour dangereux. C’est terrible parce que je suis innocent. Il parait que ma femme est libre. Pour cela que je suis heureux. Mais pour tout le reste quels affreux, quels indescriptibles tourments. Vouloir faire avouer les choses les plus secrètes quand on n’est au courant, et par hasard que de l’accessoire. Maman s’il est vrai que tu sois libre, pense à toi, pense à notre Minnie. Vous avez encore, je crois quelques moyens. Utilisez les exclusivement à votre vie, à votre bonheur. Mes collaborateurs étaient sérieux et honnêtes. Ils continueront. Mais pour toutes les deux, gardez un minimum de garantie de vie normale. C’est atroce d’avoir à écrire cela d’un cachot. Mais c’est nécessaire. Je ne sais pas – pauvre innocent – le temps que j’ai à vivre. Je vous aime tant. Et je suis tellement malheureux. Si vous saviez !!

 

Collection Archives municipales de Toulouse

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17 janvier : Le commissaire m’avait dit que tu serais libérée. Hélas, rien dans le linge propre que je viens de recevoir ne me permet de le croire. Rien de chez nous. Tu es donc encore en prison. Et notre fille ? Mon Dieu que je suis malheureux.
23 janvier : Toujours sous la menace, je vis au secret des jours insensés ! Votre précieux souvenir me tient lieu de tout. S’il m’arrivait un malheur – pardon Maman, pardon Minnie – confiez-vous à des amis surs ou à des gens éprouvés. Maître Mercadier vous aiderait. Je vous aime mes chères chéries. Maman, fais une vraie femme de Minnie. »

Collection Archives municipales de Toulouse

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« 24 janvier. Je viens d’être interrogé une fois de plus. Ce serait parait-il la dernière avant d’être passé à d’autres mains. Physiquement j’ai peur, ayant l’expérience des systèmes. Peut-être sera ce pour un départ en Allemagne. Je ne sais rien. Je suis toujours au secret. Dans tous les cas – encore que sans aucune nouvelle- je suis plein de vous. Pour nos amis Aribaut, Mauré, Couronne, Mercadier, etc. Je vais peut-être partir pour longtemps, pour toujours. Je vous confie ma femme et ma fille. Aidez-les. Conseillez-les. Consolez-les. Le départ me sera moins affreux. Jacques a sa mère et d’ailleurs je lui donne aussi quelques conseils. Mes amis je compte sur vous. Fraternellement merci.
Jacques. Nous ne nous sommes pas toujours bien compris. Il est trop tard maintenant pour y revenir. Cependant sache que je t’aimais beaucoup. Je vais peut-être partir, sans retour. Je te demande demain, toujours dans la vie d’être un homme. Je te demande de toute mon affection d’être tendre et bon pour ta tante et pour ta sœur. Qu’aucune question, jamais ne vous sépare, ni ne vous affronte. Merci. Je vous aime.
Mon père, je t’embrasse de toute mon affection. Jeanne et les petits te feront une heureuse vieillesse. Si je ne le fais pas moi-même, c’est que je suis allé retrouver tôt ma mère chérie.
On m’accuse toujours d’être le chef d’une organisation terroriste. C’est faux, c’est faux et mon seul malheur est d’avoir laissé passer en ne le prenant pas au sérieux, une chose parait-il, bien importante. Mais j’affirme encore n’avoir jamais été chef de groupement ni de terroriste ni de communiste. Toutes mes craintes cependant viennent de là. Moi qui n’ai fait que vous aimer, vous aimer à en perdre la tête. »

Collection Archives municipales de Toulouse

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25 janvier. J’apprends que tu es encore en prison. C’est horrible. Mais toi, au moins, mon amour adoré, tiens pour notre fille, pour ma Minnie. C’est à en devenir fou, surtout quand on est innocent.
26 janvier. Il y a des départs de plus en plus fréquents pour Fresnes, Compiègne ou l’Allemagne. Je risque de partir comme cela, pour aussi horrible que cela soit. Vous le saurez par le linge qu’on ne retiendra plus. Tâchez par tous les moyens de savoir où je suis. Faites toutes les démarches ou voyages. Merci mes amis. Je vous confie ma femme et ma fille. Je vous confie tout ce qui peut rester de nos biens. Gérez les au mieux des intérêts des miens. Il restait des fonds au coffre Lyonnais, je crois. Je les avais confiés à Albert. Usez-en pour faire marcher la maison. Mais par-dessus tout, ne laissez pas souffrir, je vous en conjure, ni ma femme, ni ma fille. Aribaut, Mercadier, d’autres encore, que j’oublie, vous y aideront.
Au revoir, peut-être Adieu.
Je vous embrasse et vous suis reconnaissant. »

Collection Archives municipales de Toulouse

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