Il s’appelaient Henri, Edmond, Jacques, André, Louis, Noël, Paul-Auguste, Raoul, Ernest, Roland, Édouard les premiers fusillés ; suivis à partir d’avril 1944 par Marcel, Jean, Maurice, Franck, etc. Au total ils sont 28, tous exécutés à la prison de Saint-Michel de Toulouse souvent après avoir été affreusement torturés… »
Jacques David,
Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance , 7 septembre 2019
La « Stèle des Martyrs de Bordelongue »
Dissimulé derrière le périphérique toulousain, à proximité de l’ancienne usine AZF, le monument des martyrs de Bordelongue est un lieu de mémoire méconnu et très peu fréquenté.
Entre 1943 et 1944, les nazis se sont servis de cet endroit pour y jeter, loin de la ville, les corps de condamnés à mort de leurs tribunaux militaires.
Le 4 septembre 1944, le charnier est découvert par les autorités françaises sur les indications d’une fermière qui habitait à proximité. Madame Ramon a témoigné des allers-retours macabres, de ces corps qu’on enterre à la va-vite, le sang, partout autour.
Les corps de 28 résistants sont sortis de terre. Ils sont quasiment tous identifiés immédiatement, mais des doutes subsistent pour un corps. Il y avait néanmoins très peu d’informations sur l’activité judiciaire des nazis, ces derniers ayant donné peu d’éléments aux autorités françaises. Jugements et exécutions se firent dans la partie allemande de la prison Saint-Michel. La population française en fut informée par des avis ou entrefilets dans la presse qui suivaient régulièrement les séances du tribunal militaire allemand.
Les corps retrouvés à Bordelongue concernent une série de 5 jugements prononcés entre octobre 1943 et avril 1944 par le Tribunal d’état-major principal de liaison 564 (STAB 564) installé pour l’occasion dans l’enceinte de la prison Saint-Michel . Les jugements ont été suivis d’exécutions rapprochées à mesure que la politique répressive des autorités militaires allemandes s’accentue.
D’après les travaux de l’historienne Gaël Eismann, « 3 000 personnes – ont été – fusillées à la suite de condamnations à mort prononcées par les tribunaux militaires allemands » en France occupée (voir l’article : Gaël Eismann, Maintenir l’ordre. Le « Militärbefehlshaber in Frankreich » (MBF) et la sécurité locale en France occupée
Pourtant, aujourd’hui nulle plaque à la prison Saint-Michel pour rappeler le sort de ces vingt-huit résistants, très vraisemblablement fusillés en ses murs.
Le travail rigoureux du Maîtron des fusillés permet aujourd’hui d’en savoir plus sur le fonctionnement du tribunal militaire allemand à Toulouse : prison Saint-Michel et charnier de Bordelongue, 9 novembre 1943 – 18 avril 1944
Condamnations du Tribunal d’état-major principal de liaison 564 pour « intelligence avec l’ennemi » ou « activité de franc-tireur et activité en faveur de l’ennemi »
Jugement du 24 octobre 1943.
Quatre jeunes résistants, étudiants toulousains pour la plupart, avaient rejoint le maquis de Bir Hakeim de l’Armée secrète en Aveyron puis dans l’Hérault. Le maquis fut attaqué par les nazis le 10 septembre 1943, deux maquisards furent tués et 4 autres furent capturés « les armes à la main ». Henri Arlet, 21 ans et André Vasseur, 21 ans furent arrêtés sous leurs fausses identités de « Hubert Arnaux » et « André Jaxerre». Jacques Sauvegrain, 22 ans et Edmond Guyaux, 21 ans, brillants élèves des classes préparatoires furent également capturés. Interrogés à Perpignan, ils furent conduits à la prsion Saint-Michel de Toulouse et jugés le 24 ocotobre 1943.
Le témoin, Madame Ramon, a pu assister à l’arrivée d’un camion allemand le 9 novembre 1943 au matin (elle a remarqué, après le départ des Allemands, qu’il y avait du sang frais près de la fosse.)
Les autorités allemandes annoncèrent leur exécution dans un avis publié dans La Dépêche du 13 novembre 1943.
Jugement du 2 décembre 1943.
Le tribunal prononça les condamnations à mort de trois résistants du Béarn (Basses-Pyrénées) pour « intelligence avec l’ennemi ».
Henri Fraisse, 30 ans, Henri Lacabanne, 34 ans et Louis Mantien, 24 ans furent exécutés le 28 décembre 1943.
Leurs corps furent déposés à Bordelongue dans la nuit du 27 au 28 décembre 1943 peu de temps après leur exécution (selon le témoignage de Madame Ramon)
Jugement du 4 décembre 1943
Neuf résistants du Lot-et-Garonne sont condamnés à mort. Tous furent arrêtés « activité de franc-tireur et activité en faveur de l’ennemi » par les services de la Gestapo d’Agen puis conduits à la prison Saint-Michel.
Ils sont exécutés un mois plus tard, le 5 janvier 1944 « puis le 5 janvier au matin, deux camions portant les corps des neuf membres d’un groupe de Lot-et-garonnais condamnés à mort le 4 décembre 1943 par un conseil de guerre allemand de l’armée du sud de la France comme « francs-tireurs et pour avoir favorisé l’ennemi et pris part à la résistance armée contre l’armée allemande » (jugement envoyé le 10 janvier 1944 au Préfet à Agen, 5278 W5 – Archives départementales de Haute-Garonne)
Les autorités allemandes annoncèrent leur exécution dans un avis publié dans La Dépêche du 17 janvier 1944.
- Ernest COUDERC, 46 ans
- Louis COULANGES, 46 ans
- Aurélien DESBARATS, 56 ans
- Rolland GOUMY, 27 ans
- Maurice LASSAUQUE, 35 ans
- Adrien PORTE, 37 ans
- Noël PUJOS, 44 ans
- Paul QUANDALLE, 35 ans
- Raoul ROGALE , 45 ans
Jugement du 8 avril 1944
Neuf résistants originaires de l’Aude, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, de la Gironde et du Lot-et-Garonne furent condamnés à mort. Le même jour, ces derniers furent fusillés comme otages après un attentat commis à Toulouse le même jour. La procédure fut particulièrement rapide.
- Émile BÉTEILLE, 35 ans
- Roger ARNAUD, 30 ans
- Fernand DUCÈS, 54 ans
- Paul MATHOU, 22 ans
- Jean BLANCHETON, 35 ans
- Jean BRISSEAU, 34 ans
- Pierre DUBOIS, 32 ans
- François LAGUERRE, 34 ans
- Roger LÉVY, 43 ans
La lettre de Paul Mathou nous apporte un éclairage sur la façon dont se sont déroulés les événements le 8 avril 1944.
« Bien chers parents chéris,
Et petite mère chérie,
Lorsque vous recevrez cette lettre, vous serez bien attristés, mais j’espère que vous supporterez l’épreuve aussi bien que je la supporte. Il y a une demi-heure, j’ai été condamné à mort par la cour martiale allemande. Je m’en serais peut-être sorti mais il y a eu un attentat à Toulouse et je crois que nous sommes pris comme otages. Nous sommes neuf qui devons être exécutés aujourd’hui, à 17 heures. Il y a onze jours que je m’attendais à cela. J’ai été amené de Banios, le 29 mars à 8 heures. Je n’ai pas pu m’échapper car j’ai été blessé à l’épaule. Ils m’ont emmené à Tarbes en camion et j’ai été soigné en arrivant, je n’ai pas souffert. Trois jours après, le 1er avril (ce poisson) ils m’ont emmené à Toulouse et j’ai été mis en cellule. La nourriture n’était pas mauvaise…… Censure. On m’a fait raser, on m’a donné une chemise propre et vers 10 heures, on m’a emmené devant le tribunal. La séance a duré une heure et quarante minutes. On nous a distribué des colis de la Croix-Rouge. Nous avons fait un excellent repas, le dernier, tous les neuf, bons Français et bons camarades. Personne ne s’est plaint. Nous avons tous accepté notre sort avec courage. Nous sommes tous les neuf dans une même pièce. Nous faisons notre courrier. Nous avons touché cinq cigarettes et je vous écris en fumant ma deuxième. Je supporte mon sort avec courage, je suis prêt à affronter la mort. J’ai fait mon examen de conscience, je meurs, en bon Français. Je me suis montré toujours attaché à ma France si belle que j’aime tant. Lire la suite...
Jugement du 18 avril 1944.
Trois résistants du Lot, Charles BOIZARD, 22 ans, Émile COIRY, 23 ans et Georges LARRIVE, 21 ans sont jugés et exécutés à l’issue de la séance.
Madame Ramon témoigne avoir vu les trois corps jetés dans la fosse le 18 avril à dix-huit heures.
MÉMOIRE
Une cérémonie est organisée chaque année par le Comté d’entente des anciens combattants du quartier de Lafourguette et l’association des familles de fusillés autour de la date anniversaire de la découverte du charnier le 7 septembre 1944.
La « stèle des Martyrs de Bordelongue » est située le long du périphérique, au bout d’une impasse fermée par une grille. Autant dire, inaccessible la majorité du temps. Les noms de ces 28 résistants sont rappelés à ce seul endroit.
75 ans après, le 7 septembre 2019 une cérémonie était organisée.
Discours de M. David, parent de Jacques Sauvegrain fusillé le 8 novembre 1943.
Il s’appelaient Henri, Edmond, Jacques, André, Louis, Noël, Paul-Auguste, Raoul, Ernest, Roland, Édouard les premiers fusillés ; suivis à partir d’avril 1944 par Marcel, Jean, Maurice, Franck, etc. Au total ils sont 28, tous exécutés à la prison de Saint-Michel de Toulouse souvent après avoir été affreusement torturés.
Les plus jeunes avaient 21 ans beaucoup n’avaient pas dépassé la trentaine, le plus âgé, un peu plus de 50 ans.
Ils étaient étudiants, employés, ouvriers, commerçants, agriculteurs, serrurier, fonctionnaires, officier de réserve, chef de gare… A vingt-huit, ils représentaient une France dont ils ne voulaient pas voir la flamme s’éteindre. Leur conscience et leur patriotisme ne l’auraient pas souffert.
Vous ne les connaîtriez pas si leurs noms ne figuraient pas sur cette stèle. La plupart ne sont pas sur les pages des livres d’histoire, ils ne portaient pas d’uniforme, ce sont des combattants anonymes dont l’engagement a d’abord été le fruit d’une prise de conscience individuelle. Ils ont été bien vite rejoint par d’autres… et de constater « qu’ils étaient vingt et cent, qu’ils étaient des milliers » comme l’a chanté Jean Ferrat
Ces combattants de l’ombre qui n’ont jamais si bien mérité leur nom se sont levés nombreux dans le Sud-Ouest. J’en profite pour saluer les représentants de l’ANACR de Lot et Garonne et en particulier Mme Carmen Lorenzi, jeune résistant de la 35e brigade FTP-MOI, 13 martyrs sur les 28 sont issus de ce département ! Mais c’est toute la Résistance qui a payé un lourd tribut comme le montre ce monument.
A l’engagement individuel initial a succédé ensuite la participation, plus efficace face à l’ennemi nazi, aux mouvements de Résistance : Les martyrs de Bordelongue appartenaient : au Maquis de Bir-Hakeim, Main d’œuvre Etrangère Immigré (MOI), Réseau Hilaire Wheelwright du SOE, Maquis FTP, réfractaires au STO etc. Plusieurs se sont battus les armes à la main, d’autres prenaient en charge des aviateurs alliés pour les faire passer en Espagne… Tous ont contribué à la Libération de la France du fascisme et de l’envahisseur !
Simone Veil décédée déclarait :
« Je n’aime pas l’expression devoir de mémoire. Le seul «devoir» c’est d’enseigner et de transmettre. »
Ce devoir ne doit jamais s’oublier. Les raisons des combats de la Résistance ne se sont pas éteintes le 8 mai 1945. Ces actes glorieux de patriotisme : combattre les armes à la main pour libérer territoire, exfiltrer des aviateurs alliés vers l’Espagne, récupérer un parachutage ou transmettre un message, donnent aux jeunes de 2019 la force de leur combat d’aujourd’hui. Le nationalisme qui mène TOUJOURS a la guerre renaît en plusieurs endroits en Europe. Que le combat de la RESISTANCE ne s’éteigne pas. Il est toujours d’actualité !
Jacques DAVID
Association des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance
Texte et photos E. Leroy