Si toute prison recèle, par nature, un trésor d’histoires secrètes, mêlées de souffrances, de violences et de larmes, la prison Saint-Michel a cela d’exceptionnel d’avoir été pendant la seconde guerre mondiale une pièce essentielle de la répression qui en fait aujourd’hui un haut lieu de mémoire.
Cette prison était le lieu d’enfermement de tous ceux que le régime de Vichy considérait comme les responsables de la défaite et les ennemis du nouveau régime de « révolution nationale ». Ainsi, prisonniers politiques, étrangers, dont beaucoup d’Espagnols, des Juifs étrangers, hommes, femmes et enfants furent jetés dans les geôles de Saint-Michel. A partir de novembre 1942, l’occupation allemande en fait l’un des lieux de souffrance de toute la région. L’ensemble des résistantes et résistants arrêtés dans les 9 départements que comptait la région R4 (région militaire de Toulouse définie par la résistance) étaient invariablement conduits à la maison d’arrêt de Toulouse.
La cour du Castelet a abrité des regards indiscrets l’exécution du chef de la brigade FTP-MOI Mendel Marcel Langer, guillotiné. Les tours ont dissimulé les cours martiales de la milice française qui expédiaient la justice contre les « terroristes », systématiquement condamnés à mort et exécutés dans la foulée. Dans les derniers jours de l’Occupation, les prisonniers ont été considérés comme témoins gênants, au même titre que les documents compromettants, et 54 d’entre eux ont été fusillés et brûlés en forêt de Buzet-sur-Tarn. Interrogatoires, tortures, mauvais traitements, déportations, exécutions, faim et froid ont été le quotidien de ceux qui eurent à connaître les cachots de la prison Saint-Michel.
Le régime de Vichy
Avant l’arrivée des Allemands à Toulouse, la prison Saint-Michel permettait d’enfermer tous ceux qui étaient jugés dangereux pour la sécurité intérieure de l’Etat, principalement des militants communistes, des étrangers et des Juifs. A mesure que la législation répressive du régime de Vichy est mise en place la prison se remplit. Politiques et prisonniers de droit commun se côtoient dans l’exiguïté des cellules de la maison d’arrêt.
Angèle Del Rio Bettini est la plus jeune prisonnière politique de Saint-Michel, arrêtée après une opération retentissante de tracts dispersés depuis un immeuble de la rue Alsace-Lorraine sur la foule rassemblée autour du convoi du Maréchal Pétain en visite à Toulouse le 5 novembre 1940. Angèle est enfermée quelques mois dans le quartier des femmes dans une grande cellule commune. Parmi ces femmes arrêtées pour prostitution et autres délits de droit commun, elle partage sa paillasse avec Batia Mittelman et son nourrisson. Libérée au bout de quelques mois, Angèle fut de nouveau arrêtée en raison de la loi du 22 juillet 1940 qui la déchoit de sa nationalité française. Angèle connaît alors une autre forme de détention et de répression dans les camps d’internement de la région pendant quatre longues années.
La législation antisémite du régime de Vichy, en particulier les statuts des juifs d’octobre 1940 et juin 1941, contribue largement à remplir la prison de Juifs étrangers qui sont ensuite envoyés vers les camps d’internement. La loi permet aux préfets d’interner les Juifs français. Les rafles s’intensifient au cours de l’hiver 1941-1942 et les premiers convois vers les camps de la mort partent de la région dès l’été 1942.
La prison sous occupation allemande
Le 11 novembre 1942, les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et envahissent la zone sud, au prétexte du débarquement allié en Afrique du Nord. Les nazis s’installent dans Toulouse et réquisitionnent hôtels, grands immeubles, bâtiments et prisons. Ils prennent alors le contrôle d’une partie de la prison Saint-Michel qui est divisée en deux sections, l’une française et l’autre allemande.
En l’état des connaissances actuelles, marqué par l’absence d’archives, en particulier des registres d’écrou allemands, il semble que deux des cinq quartiers étaient sous contrôle exclusif allemand. Le témoignage précis d’un détenu interrogé peu après la guerre rapporte que les quartiers II et III, rez-de-chaussée et étage, composaient la section allemande.(Archives de la Commission d’enquête des crimes de guerre, témoignage de Jacques Quintana, Archives départementales de la Haute-Garonne). Un témoin, resté anonyme, évoque trois quartiers dédiés aux Allemands dans un article intitulé « Souvenirs de Saint-Michel », la République daté du 21 août 1944.
Les résistants arrêtés dans une même affaire étaient toujours séparés. Il n’y avait quasiment pas de communication ni avec l’extérieur ni entre les détenus, par peur des « moutons », des délateurs au service de la police. L’isolement était quasi total, les détenus de cellules différentes n’ayant aucun moment commun. Les toilettes se faisaient cellule après cellule. Les conditions de vie y étaient très précaires, surtout pour ceux qui ne recevaient pas de colis. Les témoignages des prisonniers abordent tous le sentiment de faim intolérable. Les prisonniers, trop nombreux, dorment sur le sol, dans de grandes cellules ou dans des cellules conçues pour une seule personne, où ils dorment à six. Certains reçoivent des colis de vêtement de rechange ou de denrées. Le service social de mouvements de Résistance organise parfois l’aide aux résistants arrêtés, et transmet quelques pauvres colis. Le grand mathématicien Albert Lautman, membre du réseau Françoise et responsable de l’Armée secrète en Haute-Garonne, est arrêté le 15 mai 1944 alors qu’il vient déposer un colis à la prison pour son frère. François Verdier reçoit lui aussi des colis tout d’abord de sa femme Jeanne, puis de ses amis proches après l’arrestation de cette dernière.
La prison, antichambre de la déportation
Pendant l’hiver 1943-1944, les arrestations se multiplient. Des enfants se retrouvent avec leurs parents en prison. C’est le cas du champion de natation Alfred Nakache enfermé à Saint-Michel avec sa femme Paule et leur fille de 2 ans après avoir été dénoncé comme Juif à la Gestapo, la police allemande, en novembre 1943. La famille est déportée au camp d’extermination d’Auschwitz. Seul Alfred a survécu.
Le nombre d’arrestations est également représentatif de la montée en puissance de la Résistance. La présence à Toulouse de la 35e brigade FTP-MOI et du Réseau Morhange accentuent l’angoisse des autorités allemandes par la multiplication des disparations d’agents, de miliciens, de collaborateurs, des attentats contre les soldats du Reich, et autres actions d’éclat. Les nazis accentuent la répression et remplissent frénétiquement les cellules. La prison est rapidement surpeuplée. Mais les cachots de Saint-Michel se vident très régulièrement au rythme des convois qui partent de la gare Raynal.
Raymond Naves, professeur de lettres et chef de la Résistance désigné comme futur maire de Toulouse libérée, est arrêté le 24 février 1944 par la Gestapo. Il est emprisonné jusqu’en avril avant d’être déporté à Auschwitz où il meurt de maladie et d’épuisement deux semaines plus tard. La cadence de rotation des détenus est ainsi très élevée. L’enquête des services allemands terminés, le suspect est désigné pour la déportation, à un degré différent selon les cas, NN (« Nacht und Nebel » nuit et brouillard, afin que nul ne sache ce qu’il est devenu) ou part en direction d’un camp de concentration-extermination. Les détenus voués à la déportation quittaient apparemment leur cellule l’après-midi pour rejoindre en camion bâché la gare Raynal, transitaient par les camps de Drancy ou Compiègne, puis vers l’Allemagne ou la Pologne, Auschwitz, Dachau, Ravensbrück ou Mauthausen…
Une jeune résistante ariègeoise, Conchita Grangé Ramos a ainsi été arrêtée en mai 1944, conduite à Saint-Michel puis à la caserne Compans Caffarelli avant déportation. Elle a connu le sinistre convoi parti de Toulouse le 2 juillet 1944. Ce convoi a vidé une partie de la prison Saint-Michel, hommes et femmes confondus, les malades et vieillards du camp de Noé et du camp du Vernet d’Ariège.
Le trajet a duré deux mois entre Toulouse et Dachau. Ce convoi a été surnommé le « train fantôme » : transportant 800 personnes, il a erré sur des voies bombardées par les Alliés entre juillet et août 1944. Des dizaines de prisonniers furent tués, d’autres sont parvenus à s’évader par le plancher. Mais Conchita Ramos, elle, n’a pu se soustraire au camp de Ravensbrück où elle a vécu le pire des cauchemars.
Exécutions à la prison Saint-Michel
L’exécution la plus célèbre est sans nul doute celle de Mendel Marcel Langer, fondateur de la 35e Brigade FTP-MOI, guillotiné. L’arrestation, les interrogatoires, la condamnation, l’emprisonnement de Langer est une affaire exclusivement française, à laquelle les Allemands ne se sont pas mêlés.
Marcel Langer avait été arrêté le 6 février 1943 à la gare Saint-Agne après avoir réceptionné une valise contenant des explosifs. Arrêté par un gardien de la paix, conduit au commissariat de la rue du Rempart, interrogé, battu, il n’a reconnu que ce que les policiers savaient déjà. C’est-à-dire peu de choses. Jugé par la section spéciale de la Cour d’Appel de Toulouse, il est condamné à mort après un réquisitoire sévère du procureur. Condamné à la peine capitale pour simple transports d’explosifs, il l’est surtout parce qu’étranger, juif, militant communiste, et désormais « terroriste ».
Le 23 juillet 1943, la guillotine est élevée dans la cour d’honneur de la prison. Les « bois de justice » ont été amenés de Paris par le bourreau en titre. A l’aube, magistrats, avocats, rabbin attendent Marcel Langer. Installé dans une cellule dédiée aux condamnés à mort, Marcel Langer quitte sa geôle sous la rumeur qui se répand de cellule en cellule. Les murmures se font de plus en fort et la clameur de la Marseillaise finit par accompagner les pas de Langer. Ses codétenus entonnent alors avec force le chant patriotique. Selon les témoignages du rabbin, de l’avocat, et même du président de la Cour d’appel, le courage de Langer a été d’une rare expression.
La cour d’honneur, dite du Castelet, a également été le décor des simulacres de justice orchestrés par la milice de Vichy et ses cours spéciales. Cette « juridiction » n’aboutissait qu’à la peine capitale. L’inculpé n’avait pas d’avocat.
Le jeune Enzo Godéas, combattant de la 35e brigade FTP-MOI avait été arrêté après une action contre un cinéma du centre-ville qui diffusait des films antisémites en mars 1944. Gravement blessé au cours de l’opération, il avait été jeté en cellule sans soin. Ses camarades de la brigade, emprisonnés également, étaient parvenus à trouver des complicités pour le soulager. Puis, ils imaginèrent pouvoir le sauver en aggravant son état de santé, pour qu’il ne soit pas fusillé. Ils n’imaginaient pas qu’un homme qui ne tenait plus debout, puisse l’être. Mais le 23 juin 1944, Enzo Godéas est traîné dans la cour, où, enchaîné à une chaise, il meurt sous les balles d’un peloton de gardes mobiles français (GMR). Enzo Godéas avait 19 ans.
Côté allemand, la fin de la détention était également expéditive. Des prisonniers pouvaient rester enfermés des semaines voire des mois, au secret ou dans des cellules communes, alternant les interrogatoires au siège de la Gestapo à quelques centaines de mètres, ou parfois au sein même de la prison.
Le chef de la Résistance régionale, François Verdier, dit Forain, patron des Mouvements unis de Résistance, vécut ainsi une détention de 44 jours rythmés par les interrogatoires et l’isolement. Arrêté dans un coup de filet de la police allemande qui fit plus de 110 arrestations dans la région, il n’a jamais rien avoué. Dans son « journal carcéral » qu’il a soigneusement protégé, Verdier raconte ses longs interrogatoires, sa vie entre terreur, peur pour sa famille et pour sa vie. Le 27 janvier 1944, deux policiers allemands l’extraient de sa cellule et le conduisent discrètement en forêt de Bouconne. François Verdier est abattu le long d’un chemin forestier et une grenade fait exploser son visage.
Le Tribunal militaire allemand (Commandement HVS 564) s’est réuni à cinq reprises dans la prison et a condamné 28 résistants à mort. Des recherches récentes montrent qu’ils auraient été fusillés dans l’enceinte de la prison et leurs corps ensevelis discrètement à l’extérieur de la ville, à Bordelongue.
La Gestapo s’embarrassait de moins de moins de procédures : les forêts de Bouconne et de Buzet-sur-Tarn ont ainsi été le théâtre d’exécutions lâches et discrètes et il n’était pas rare qu’elle fasse usage du moindre fossé pour se débarrasser d’un témoin trop encombrant. Telle fut l’expérience vécue par le résistant René Cabau qui après avoir été laissé pour mort dans un fossé, a réussi à sauver sa vie malgré une balle dans la tête.
Les massacres
Par deux fois, les Allemands ont secrètement extrait des groupes de prisonniers pour les exécuter dans des forêts alentours. Le 27 juin 1944, quinze résistants enfermés à Saint-Michel depuis des semaines sont sortis par petits groupes de la prison. Nulle question pour eux de déportation. Ils sont conduits dans des camions ou dans des voitures en direction de Castelmaurrou, dans le nord-est toulousain. Là, certains poursuivent leur chemin vers un petit bois au milieu des champs, le bois de la Reulle, tandis que d’autres sont amenés au bar du village, sous la garde de soldats de la division SS das Reich. Arrivés au bois, les Allemands leur donnent des pelles et des pioches et les contraignent à creuser leur propre tombe. Les résistants sont ensuite exécutés par des rafales de mitraillettes. Un homme est parvenu à leur échapper, un Espagnol, Jaïme Soldevilla qui a pu témoigner après la guerre.
Le 17 août 1944, deux jours avant la Libération, ce sont 54 prisonniers qui sont extirpés de Saint-Michel. Il semble qu’ils aient tous quitté la prison en même temps, en fin d’après-midi. Le convoi était formé de deux voitures particulières, à leurs bords des officiers allemands et la Gestapo, et de trois camions dont certains bâchés transportant les soldats allemands et leurs 54 prisonniers. Nous ne disposons que de très peu d’éléments sur ce massacre. Certains témoins évoquent également la présence de deux femmes. Les prisonniers sont amenés en bordure d’une forêt, à Buzet-sur-Tarn, près d’un lieu où il y avait déjà eu des massacres en juillet 1944.
Les détenus sont fusillés dans une grange et dans une écurie et leurs corps brûlés. Un témoignage rapporte que les Allemands sont restés toute la nuit pour attiser le feu. Parmi les suppliciés, de nombreux résistants, mais aujourd’hui encore 35 personnes ne sont pas identifiées. Un élément de corset féminin a été retrouvé dans les cendres mais n’a pas permis d’identification. De nombreux petits objets personnels, comme des bijoux, ont également été retrouvés.
Libération de la prison
Deux jours plus tard, le 19 août les gardiens allemands quittent progressivement, non sans désordre, la prison. Les gardiens français se retrouvent seuls. Des clefs de cellule commencent à circuler, timidement d’abord, plus rapidement ensuite à mesure que les familles de prisonniers tambourinent à la porte d’entrée. Les premiers détenus s’échappent, courent se réfugier dans les rues avoisinantes, les jardins. Au fil de la matinée, le mouvement s’accélère, les ex-détenus sont devant la prison, prenant garde tout de même aux rafales qui s’échangent dans la ville et aux convois allemands qui passent. Parmi les prisonniers, l’ancien ministre et journaliste, André Malraux, qui raconte cet épisode dans ses « anti-mémoires » et crée ainsi une légende autour de la libération de la prison Saint-Michel. Légende tenace perpétuée encore aujourd’hui. Une autre légende circule toujours :celle qui affirme que ce sont les femmes qui auraient libéré la prison. Cette version repose sur la présence aux portes de la prison des épouses, des sœurs, des compagnes parmi les proches qui souhaitaient voir sortir les prisonniers.
Les lendemains de la Libération à Toulouse
La prison se remplit de nouveau dans les semaines qui suivent la Libération. Les FFI (Forces françaises de l’Intérieur) ont procédé à de très nombreuses arrestations. C’est au tour des personnes soupçonnées de collaboration d’être entassées dans les cellules de Saint-Michel, rapidement saturées. Les camps de Noé, du Vernet d’Ariège ou du Récébédou sont également vite remplis, le temps que la justice de la Résistance s’organise. Des commissions d’épuration sont créées pour faire le tri parmi les arrestations qui s’enchaînent. Les cas les plus graves sont jugés dès le 2 septembre 1944 par des juridictions militaires. La Cour de justice de Toulouse fonctionne d’octobre 1944 à 1953, examinant les cas d’intelligence avec l’ennemi et les cas de collaboration les plus graves, pour l’ensemble de la région. Les prévenus sont détenus à la prison Saint-Michel.
Le procès le plus retentissant de la collaboration fut celui de Pierre Marty, intendant régional de police à Toulouse en mai 1944. Il était à la tête d’une équipe surnommée « la brigade sanglante ». Marty a multiplié les infiltrations de la Résistance, organisant la trahison et les pièges, participant aux attaques contre les maquis aux côtés des nazis. Avant d’arriver à Toulouse, il avait détruit une partie de la Résistance dans la région de Montpellier en travaillant étroitement avec les services de la Gestapo. C’est un modèle de l’ultra-collaboration. La rumeur publique se répandait que Marty ne serait jamais jugé à Toulouse (Marty a été arrêté en Allemagne par les Américains). En 1948, les Toulousains furent soulagés quand ils le surent enfermé à la prison Saint-Michel. Marty a été condamné à mort par la Cour de justice de Toulouse et fusillé en 1949.
Mémoire
Une cérémonie du Souvenir a lieu chaque année le 19 août dans la cour intérieure de la prison.
Aujourd’hui, à marcher sur les galets de la cour d’honneur, encadrée par ces tourelles à créneaux et ces murs de briques rouges, il est difficile de ne pas penser au sang qui a coulé, à la souffrance et à la peur. Si l’ensemble du bâtiment est aujourd’hui inaccessible aux visiteurs, la cour d’honneur, dite cour des fusillés, garde en son sein la mémoire de toutes celles et tous ceux qui sont passés entre les murs de la prison Saint-Michel pendant la guerre.
Elérika Leroy
A lire et à écouter : Une prison à Toulouse
Écouter les entretiens réalisés par Pierre Lasry:
En savoir plus en consultant la plaquette réalisée par le Musée de la Résistance et de la Déportation de Haute-Garonne.
projet actuel du Castelet (seule partie de la prison sauvegardée grâce à la mobilisation du Comité de quartier Saint-Michel et ses habitants):
La Dépêche du 21 décembre 2017